A partir de quelles constatations avez-vous voulu créer Afripedia ?
En Afrique, on consulte Internet pour des usages très utilitaires, pour lire ses mails, obtenir des renseignements pratiques. On se rend un peu sur les sites d’infos mais on ne l’utilise pas pour la culture ou pour le divertissement comme nous, on peut surfer sur Internet, prendre le temps de découvrir des choses. Parce qu’en Afrique l’accès à Internet est beaucoup trop cher. Au Mali, un abonnement coûte 30 euros pour un débit moyen, le même prix que nous pour un niveau de vie largement inférieur. Sinon, ils vont dans des cybercafés mais ils paient à l’heure donc ils ne prennent pas le temps de surfer. Et souvent, les connexions ne sont pas stables et sautent régulièrement.
L’un des volets de votre projet est de diffuser Wikipédia en Afrique francophone, comment comptez-vous vous y prendre ?
Nous nous sommes associés à l’Institut français et l’Agence universitaire de francophonie qui fédère près de 700 universités dans le monde. Toutes proposent des enseignements en français et beaucoup offrent des points informatiques, qu’on appelle les campus numériques. L’idée est de nous ancrer dans ces campus et de diffuser Wikipédia à partir d’une technologie de Wi-Fi sans connexion Internet. Il suffit de se connecter au réseau via sa carte Wi-Fi pour accéder au contenu de Wikipédia. Le procédé permet d’économiser une connexion à Internet tout en ayant accès à une version complète de Wikipédia.
Wikipédia via un réseau Wi-Fi
Cette technologie, c’est Wikimédia qui l’a développée ?
Non. On a travaillé avec une petite équipe bénévole qui a conçu un projet qui s’appelle Kiwix et qui marche depuis pas mal d’années. Il consiste à télécharger et à compresser intégralement Wikipédia, et à le distribuer via une clé USB (connectée à un petit ordinateur, le Dreamplug, qui permet l'accès au contenu de cette clé via un réseau Wi-Fi, ndlr). Cela fait déjà un moment que des gens diffusent Wikipédia hors-ligne mais sur des DVD ou des clés USB distribués et qui n’étaient jamais remis à jour. Là, on le distribue par un réseau Wi-Fi. Si un point, équipé de l’ordinateur et de la clé USB, est remis à jour, tous les mois ou tous les 6 mois, tout le monde y a accès directement, on n’a pas besoin de rechercher ceux à qui on a donné les clés ou les DVD.
Quels types ou thèmes de page seront accessibles ?
C’est la totalité de Wikipédia en Français qui est compressé et distribué. Il n’y a pas assez de pages sur l’Afrique ou rédigées par des contributeurs africains. L’idée est de leur faire mieux connaître Wikipédia et d’accompagner cette diffusion par des rencontres, des ateliers, des conseils pour les gens qui aimeraient apprendre à contribuer. Pour réellement faire progresser la contribution sur l’Afrique par les Africains. Il y a vraiment un gros déséquilibre. C’est pareil aussi en Anglais. La grande majorité du contenu de Wikipédia est écrite par des Américains ou des Européens. On veut remédier à ce déséquilibre et aider à la diversification.
L’objectif est dans un premier temps de diffuser Wikipédia pour ensuite, encourager à la contribution ?
Oui. On n’enverra pas ces ordinateurs et clés USB seuls. On y va aussi pour donner des formations, former les enseignants et les étudiants aux usages pédagogiques de Wikipédia. On espère former des petites communautés de contributeurs au niveau local. On le fait déjà en France et ça marche très bien. L’idée est d’apporter notre expérience pour monter des communautés de ce genre. Ça s’est déjà fait pour la partie anglophone, au Kenya par exemple. Et aujourd’hui on y trouve des communautés de contributeurs très actives. Bien sûr pour contribuer il faut une connexion internet, le projet offline ne concerne que la consultation. L'idée est de permettre la consultation la plus large sans besoin de connexion, et de former les gens à la contribution pour qu'ils puissent le faire lorsqu'ils ont de la connexion.
Développer Afripedia dans les écoles
Le projet est fixé aux universités. Envisagez-vous de développer la diffusion vers d’autres lieux ?
Pour l’instant on commence dans les universités parce qu’on profite du réseau de l’AUF qui nous aide logistiquement. Mais le but est d’aller bien plus loin. Parce que cette technologie est très peu consommatrice d’énergie, il suffit de brancher les petits ordinateurs à une prise électrique. On peut donc aller dans n’importe quelle école, dans n’importe quel quartier. L’objectif est de développer le procédé de manière plus massive.
Quelle est la prochaine étape ?
En ce moment, on en est au développement informatique. On achète le matériel, on le configure. On va ensuite former des gens qui après retourneront dans leur pays pour eux-mêmes former d’autres personnes. On arrive avec le matériel, on forme les participants sur ce matériel et ils rentrent. Ça, c’est pour l’automne. Pour le premier round, on installera une vingtaine de points sur une quinzaine de pays, du Sénégal jusqu’à la république démocratique du Congo.
Espérez-vous contribuer à la réduction de la fracture numérique entre le Nord et le Sud ?
Clairement oui. Moins de 5% des visites de Wikipédia en Français viennent d’Afrique. Alors que le continent compte plusieurs millions d’Africains francophones. C’est vraiment très faible. Le projet Afripedia vise à encourager, à soutenir et à aider des personnes qui ont la volonté de contribuer sans en avoir les moyens.
> Dans le monde, 200 millions de personnes parlent français. Le continent africain affiche le nombre le plus important de francophones, avec un taux de près de 10 % de sa population globale, soit plus de 100 millions de francophones. (Source : le ministère des Affaires étrangères)
> Wikipédia en français arrive en 3ème position par le nombre d'articles avec plus d'un 1,2 million d'articles en juin 2012 (Source : Wikimedia France)