Au deuxième étage du squat artistique de la rue de Rivoli, une poignée de jeunes femmes ont ressuscité un cabinet de curiosité. Rien à voir avec les collections d’objets bizarres d’antan. Celui-ci ressemble plus à une réunion Tupperware coquine, mots crus à l’appui. Une dizaine d’inconnues s’est réunie pour parler de sexualité librement moyennant 20 euros de participation. Les cabinets de curiosité féminine mis en place le 8 mars, c’est l’idée de Camille Emanuelle, chroniqueuse porn et jolie blonde à l’esthétique burlesque, et d’Alexia Bacouël, pimpante fondatrice de l’entreprise de sex toys Les Dessous du plaisir. « Dans les réunions que j’organisais, je me suis rendue compte qu’il y avait encore plein de tabous sur le sexe. Même entre copines, soit on n’ose pas parler de tout, soit on fanfaronne sur nos expériences », explique cette dernière. Camille peste sur les médias : « sur ces sujets, la prise de parole dans les magazines féminins était décevante, truffée de fausses idées ». Le duo espère bouleverser ça. « Mais sans donner de recettes miracles pour le sexe, juste de bons ingrédients », poursuit Alexia.
Ce vendredi 5 juillet, les jeunes femmes ont fait preuve de coquetterie. Comme si bien s’habiller permettait de mieux parler de cul. Sur la table, plusieurs bouteilles de vin blanc et rouge aident à délier les langues. Peu de « madame tout le monde » dans le lot. Alexandra a rédigé des nouvelles érotiques pour la maison d’édition La Musardine. Virginie est ambassadrice sex toys pour Les Dessous du plaisir. Deux jeunes femmes, ex salariées de Gleeden, conçoivent leur propre site de rencontre. Et trois journalistes de France 5 filment les échanges pour un prochain numéro du Magazine de la santé. Il y a bien Cécile, élégante quadra fraichement divorcée qui se décrit comme « consommatrice ». « Après 18 ans de mariage, on s’oublie un peu. Je cherche à redécouvrir ma sexualité ». Et Séverine, 36 ans, délicate et timide, venue accompagner une amie.
Causerie autour de l’orgasme féminin
A chaque atelier sa thématique. Ici, c’est l’orgasme féminin. Le planning est serré : les organisatrices démarrent par un cours d’histoire, s’appuyant sur les textes et l’expérience des sexologues, un préalable à la conversation. « Il n’y a aucune définition consensuelle de l’orgasme, elle change d’un spécialiste à l’autre. C’est la chose la moins connue en sexologie », démontre Alexia, debout dans le cercle, ses notes à la main. Elle a inventé sa propre définition : « un mélange d’abandon de soi et de sécrétion d’endorphine ». Il peut être provoqué par stimulation du clitoris – 95% des femmes y arrivent seules, 45% grâce à leur partenaire… – et de la zone G bien sûr, mais aussi du « cul-de-sac vaginal ». Sur son ordinateur, elle fait défiler un powerpoint, mélange d’images et définitions.
Au fil du cours magistral, on apprend pêle-mêle que les premiers godemiché ont été conçus en 500 avant JC, qu’Hippocrate croyait que l’orgasme féminin dégageait une substance nécessaire à la fécondation. Puis, Alexia passe aux choses sérieuses et décrit le fonctionnement de l’éjaculation féminine : un jet de liquide incolore et inodore produit par les glandes de skene lors de certains orgasmes. « Les magazines féminins n’en parlent jamais. Ca a l’air sale, ça ne passe pas auprès des annonceurs ». « Mais toutes les femmes peuvent le connaître ? », demande une participante de manière intéressée. En aparté, une autre lui explique sa première expérience et la réaction étonnée de son partenaire. « C’est peut-être ce sujet le dernier tabou du sexe », conclut-elle.
Pendant l’entracte, les curieuses remplissent un questionnaire, anonyme, sur leurs pratiques sexuelles. Toutes se prêtent au jeu. Car les organisatrices espèrent constituer, à terme, une sorte d’observatoire de la sexualité féminine. Place est faite aux babillages. Ils sont rapidement interrompus par les journalistes télé qui questionnent les participantes une par une…et réclament « l’arrêt du bruit de fonds ». Bridées, les participantes finissent par chuchoter, changent de sujet, la dynamique est cassée. Pour Séverine, c’est l’occasion d’exprimer ses regrets : « il n’y a pas vraiment d’échanges, de tour de table. C’est moins interactif que j’avais imaginé, moins intéressant pour moi. Je n’ai rien appris ». Pourtant, la conversation se termine dans une ambiance bonne enfant. Ca et là, des liens amicaux semblent se tisser. Alexandra, c’est sûr, reviendra.
Et les organisatrices ne sont pas à court d’idées. Elles se rendront bientôt en province, leur cabinet dans la valise, pour tenir des ateliers à Nantes et Marseille. Elles imaginent déjà des séances réservées aux lesbiennes, une autre pour les couples, une pour les hommes. L’idée ? Leur faire parler du plaisir féminin.