Vers la fin de l’ère dépilatoire ?

Vers la fin de l’ère dépilatoire ?

Vers la fin de l’ère dépilatoire ?

Vers la fin de l’ère dépilatoire ?

7 décembre 2012

Le XXème siècle aura connu la révolution informatique et la révolution anti-poil. Au rasoir, à la cire, à la crème, au laser, au fil, les armes de destruction massive du poil se sont multipliées. Les cultes du lisse et de l'hygiène se sont imposés. Pourtant, le vent semble tourner. Ça et là émergent des discours et des actions pro-poils. Ultime soubresaut avant l'éradication totale et définitive ou premiers signes d'un retour en grâce du poil ?

L’Homme a vécu l’âge de pierre, puis l’âge de fer. A chaque fois, ces grandes périodes ont pris fin pour laisser place à une autre. L’âge dépilatoire (Depilatory Age aux Etats-Unis) peut-il s’éteindre et laisser place à un âge plus enclin à la pousse du poil ? Les trichophobes, qui n’aiment pas les poils, peuvent-ils être mis en minorité par les tricholophiles, qui aiment les poils ?

Une Histoire qui se répète

C’est possible puisque cela s’est déjà produit. Professeur d'anthropologie à l'université d'Aix-Marseille, Christian Bromberger raconte : « Les sociétés musulmanes se sont toujours épilées, le poil y est considéré comme impur. De retour de Croisade, nous avons également pris cette habitude et du XIII au XVIe, on s’épilait en Occident. »

Le retour du poil est donc envisageable. Et il se pourrait bien que le poil connaisse d’ici peu un véritable changement de statut. Certains signes pourraient bien être les premiers symptômes d’un retour en grâce du poil.

Flickr_CC_roupiedesinge

Pourquoi une telle question ? L’épilation définitive est toujours aussi en vogue. Les hommes s’épilent et les poils disparaissent des culottes des femmes. Ce qui avait d’ailleurs poussé Stéphane Rose à prendre sa plume pour mener un véritable plaidoyer en faveur du poil, intitulé "Défense du poil",  dans un livre publié l’année dernière.

Les hommes ne sont d'ailleurs pas en reste. « Exhiber ses poils de torse était très valorisant voici une vingtaine d’années, aujourd’hui, tout a changé », poursuit Christian Bromberger. C’est vrai, prenez James Bond. Et comparez la moquette de Sean Connery aux pectoraux glabres de Daniel Craig ! Ces hommes qui s’épilent le torse, quitte à ressembler à un poulet plumé au moment de la repousse, sont nombreux !

Sean Connery le velu | Photo DR

Daniel Craig, torse glabre | Photo DR

L’hygiène et le bas nylon, pourfendeurs du poil

« Aujourd’hui l’hygiène est érigée en culte. Le culte de l’hygiène, de l’aseptisé, de l’inodore. » Un culte qui a fait une victime, le poil. Au profit du lisse. 

Les femmes, contraintes par les décolletés, les bas nylon, les mini jupes, les vacances et les bikini, ont ajusté leur espace pileux au fur et à mesure que le carcan des stéréotypes de la beauté féminine se resserrait. Emancipation de la femme grâce à la mini-jupe ou nouvel et fourbe asservissement ?

Cependant, le vent n’est-il pas en train de tourner ? Après la folie épilatoire du début des années 2000, les "Stéphane Rose" semblent moins seuls. Les pro-poils font plus de bruit. Avant-gardiste, l’actrice Julia Roberts avait déjà surpris son monde en débarquant aisselles velues à l’avant-première du film Coup de Foudre à Notting Hill en 1999. Un passage en force, auquel les mentalités n’étaient pas préparées.

Julia Roberts a chaud sous ses poils en 1999 | Photo DR

Fuck You au patriarcat

Mais depuis, les actions en faveur du poil apparaissent ça et là. En 2010 nait le pileux Hairy Pits Club, un Tumblr où les femmes postent des photos où elles portent haut les poils d’aisselles. Plus qu’un Tumblr décalé il s’agit là d’un véritable manifeste, où on peut lire :

« Le Hairy Pits Club est un blog corporel optimiste qui vise à mettre en valeur ceux qui sont fiers de leurs poils d’aisselles. Pour de nombreuses personnes, porter ces poils est une façon de dire "Fuck You" aux normes de beauté irréalistes et  voulues par une opposition systématique des sexes. Beaucoup d'entre nous sont conditionnés pour ne pas penser aux choix que nous avons (…) Ce n'est pas un "Fuck You" aux hommes, mais au patriarcat. »

On s'approchant bien, on voit quelques poils | Photo DR

En 2011, la marque American Apparel, qui n’est pas réputée pour habiller les amish, osait la publicité avec une fille un brin poilue et poussait la provoc' jusqu'à mettre en scène une jolie jeune fille et ses poils pubiens en transparence derrière sa petite culotte. Une photo qui a choqué, il est vrai, mais moins que l'aisselle prude de Julia Roberts.

La guerre des poils en Suède

Et cette année, la polémique fut farouche en Suède, pays pourtant considéré comme l’un des derniers bastions du poil, avec l'Allemagne bien sûr. Les pro-poils et les anti-poils se sont affrontés sur le Net. C’est l’histoire d’une suédoise, Lina Ehrin, qui en mars dernier se réjouit, à la Télévision que sa candidate favorite soit retenue pour le concours de l’Eurovision. De joie, elle lève les bras. Sous les bras… des poils. Une capture d’écran faite par un personnage malveillant et voici la jeune fille conspuée dans toute la Scandinavie !

Ehrin, une femme qui lève les bras, capture d'écran virale

En réaction, une page Facebook est créée : Ta Haret Tillbaka (Laissez repousser vos poils). Interrogée par Vice, la fondatrice de la page, Deidre Palacios, déclare : « À vrai dire, je n’aurais jamais imaginé que cette question toucherait autant de monde. Je pense que le débat permet aux gens de réfléchir autrement. »

Parlons également de cette journaliste, Emer O’Toole. Elle s’est laissée pousser les poils des aisselles durant 18 mois, avant de publier, le 2 mai dernier dans The Guardian un long article en faveur du poil. « Heureusement pour vous, j’ai mené une expérience de 18 mois et je peux vous dire qu’il n’y a rien d’effrayant à se laisser pousser les poils. »

Des épiphénomènes et rien d’autre ?

Pour notre spécialiste, malgré des trichophiles de plus en plus nombreux, le poil ferait bien de rester sur ses gardes. Selon lui, les actions pro-poils, la "chabalisation" des hommes, sont des épiphénomènes qui finalement ne font que renforcer la tendance. « A chaque fois qu’il y a un mouvement de fond culturel, un mouvement de mode apparaît contre, mais il reste le plus souvent un épiphénomène. Il s’agit d’un refus d’une culturalisation excessive du corps. »

Une résistance menée par un petit groupe de rebelles loin d’incarner une vraie force. L’âge dépilatoire est pour lui très loin d’arriver à son terme, le culte de l’hygiène n’ayant jamais été aussi fringant. « On refuse les mauvaises odeurs, on expulse hors des villes tout ce qui semble sale, tout ce qui sent. On ne supporte pas les odeurs fortes. Rien ne doit nous rappeler la bête, on n’aime plus les tripes mais on aime les steaks hachés ! »

Christian Bromberger n'y croit pas. Mais restons à l'affût. L’été prochain, observons les aisselles et les torses. Nous pourrions bien être pileusement surpris.

> Christian Bromberger, Trichologiques : Une anthropologie des cheveux et des poils, Bayard, 2010.