Juin 1816, la Méduse quitte l’île d’Aix. La Méduse c’est une frégate, une frégate française censée rejoindre Saint-Louis, ancien comptoir français fraîchement rendu par les britanniques. Louis XVIII envoie quelques éminences afin de réinvestir les lieux. Le capitaine est un vieux de la veille, du genre qui n’a jamais navigué depuis la prise de la Bastille. Pas très au fait du parcours et des nouvelles techniques de navigation, le vieux loup de mer porté sur la picole décide de passer là où on ne passe pas, par le banc d’Arguin. Le 2 juillet 1816, la méduse s’échoue lamentablement au nord de Saint-Louis. Radeaux de fortune construits à la hâte, actes de cannibalisme, mecs qui rejoignent la terre mais se perdent dans le désert. Bilan160 morts dont 137 abandonnés sur un radeau rendu mythique par le tableau de Géricault. Les Sénégalais le savent, pas de blague sur les mers. Si c’est elle qui fait vivre, elle peut tout aussi bien faire mourir. Et à Guet Ndar plus qu’ailleurs c’est quelque chose qu’on n’oublie pas.
Un quartier fourmillant
Saint-Louis est une ancienne capitale, celle de l’Afrique occidentale française, du temps béni des culs-bénis colonisateurs. Une époque où la France arrime facile. Cependant, c’est en 1902, donc bien avant que le Sénégal obtienne son indépendance (en 1960) que la ville rose – Toulouse n’a pas le monopole du pink – perd sont statut au profit de Dakar situé 270 km plus au sud. Logiquement, les intellos locaux, certains hauts fonctionnaires et une bonne partie du gratin mettent les bouts. Saint-Louis perd de sa superbe. La ville va alors faire avec ce qui lui reste, c’est à dire l’océan et sa poiscaille mirobolante. C’est le quartier le plus à l’Ouest de la ville, du pays le plus à l’ouest de l’Afrique qui va désormais ramener un tiers de la production de poissons du pays sur ses côtes.
Situé sur la langue de Barbarie, une réserve ornithologique exceptionnelle formée par une étroite étendue de sable située entre le fleuve Sénégal et l’océan Atlantique, le quartier de Guet NDar occupe le 5ème rang mondial en terme de densité de population, près de 25 000 habitants se partagent 90 hectares. Deux voies principales coupent le quartier dans le sens de la longueur tandis que onze rues transversales sont recensées. Il faut ajouter à cela des dizaines et des dizaines de minuscules ruelles anarchiques qui viennent compléter une organisation orthogonale précaire. La métaphore qui consisterait à décrire le quartier comme une fourmilière n’a jamais eu autant de sens.
Des gens, de la volaille, des clebs et même des chèvres (animaux domestiques) zonent dans tout le quartier. Dans les ruelles sablonneuses jaunes, orangées, des baraques en bois, en tôle ou en parpaing abritent des familles nombreuses, des familles de pêcheurs. Car ici on est pêcheur ou rien.
La pêche ou bien ?
En effet, la pêche fait vivre 98% des habitants de Guet Ndar. Tout est dit. La vie s’organise presque intégralement autour de cette activité. Il y a les pêcheurs, les hommes, équipés de leur pirogue, d’un moteur de récup’ pour la faire avancer et de quelques filets de pêche maintes fois rafistolés.
Plus de 4 000 équipages vont chaque jour ramasser des milliers de vertébrés aquatiques. Soles, sardines etc. remontées à la force des bras par des équipages qui entonnent des chants au moment de la remontée des filets pour bien se coordonner. Une fois revenus sur la plage, les porteurs et les négociants prennent la relève. Puis c’est au tour des femmes de mettre la main à la patte en cuisant, salant ou séchant le poisson afin de pouvoir le conserver. D’autres sont directement acheminés vers des camions cahoteux pour être emmenés à Dakar d’où ils seront ensuite exportés. C’est toute une chaîne, souvent familiale, qui est mise en place.
Un problème si l’on en croit les professeurs du quartier qui trouvent que 30% d’enfants scolarisés, c’est trop peu. Et si le pays a entrepris une course à l’éducation pour tous depuis 10 ans, la plupart des bambins de Guet Ndar semblent passer à travers les mailles du filet. Logique, quand l’activité économique d’un quartier est régie par une seule et même activité, la perspective « d’autre chose » semble loin, voire inexistante. Depuis quelques années maintenant la quantité de poisson s’est considérablement réduite dans la région, les pêcheurs cèdent de plus en plus à la tentation du braconnage dans les eaux mauritaniennes.
Et si aujourd’hui la population toujours croissante du quartier survit toujours de la pêche, il y a fort à parier que ce ne sera plus le cas demain. Guet Ndar et ses habitants devront alors trouver une nouvelle façon de subvenir à leurs besoins. La question est « comment ? » et elle reste en suspend.
> L’indice de développement Humain (IDH), qui prend en compte l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie est de 0,459 ce qui place le pays au 155ème rang sur 187 pays