Jane Austen a-t-elle besoin de sexe ?

Jane Austen a-t-elle besoin de sexe ?

Jane Austen a-t-elle besoin de sexe ?

Jane Austen a-t-elle besoin de sexe ?

8 août 2012

Une maison d’édition anglaise vient de ressortir les romans de Jane Austen "Orgueil et préjugé" et "l’Abbaye de Northanger", auxquels ont été ajoutées des scènes érotiques et gentiment porno. Citazine a demandé à des Janeites, fans (presque) inconditionnelles de l’auteure anglaise ce qu’elles pensaient de cette initiative.

Pride and Pejudice, de Joe Wright. 2005

Sherlock Holmes n’y aura pas échappé. Le capitaine Nemo non plus. Quant à Jane Eyre et Rochester, ils s’adonneront à une séance de bondage qui pourrait bien réveiller Emily Brontë. Nous laisserons Conan Doyle et Jules Verne, qui doit cette fois regretter d’être l’auteur français le plus exporté, à leurs affaires. C’est à Jane Austen que nous nous intéresserons de près. Le 30 juillet denier, la maison d’édition Total-e-Bound, spécialisée en littérature érotique a sorti en ebook l’Abbaye de Northanger et Orgueil et préjugé, version érotique et même plus. Version mommy porn ! Des scènes sexuelles ajoutées au texte original. Sous le nom de la pudibonde Jane Austen se déroule les noms des auteurs contemporains chargés d’introduire du sexe dans l’univers chaste de l’Angleterre pré-victorienne de Jane Austen.

Nous avons demandé à des janeites, ces fans de Jane Austen, ce qu’elles pensent de ces ajouts sexuels. Ne nuisent-ils pas à l’imagination des lecteurs ? Faut-il y voir l’ombre du phénomène porno soft Fifty shades of Grey ? On ne s’attardera pas sur la question de savoir si oui ou non, les récits de Jane Austen sont dénaturés par ces intrusions pornographiques. Imaginer l’impassible Darcy trousser la prude Lizzy Bennet contre une clôture est une réelle falsification de l’œuvre d’Austen. Jane Austen,remaniée à la sauce coquine, fausse son récit puisque celui-ci ne peut pas se construire si les personnages copulent. Là n’est donc pas la question.

Ils ont osé !

« Shocking ! », lance Fadila, 34 ans.

Margaux, 21 ans. « Mon premier sentiment fut la perplexité, « ils ont osé ! ». On ne touche pas aux classiques, aux ouvrages qui nous ont construit. Mais d’un autre côté, cela peut être très intéressant de voir le travail d’écriture de ces nouvelles versions. Certes l’imaginaire romantique avec un grand R est un peu « bafoué » mais qu’importe, le sexe c’est cool et il faut vivre avec son temps. »

Vivre avec sont temps, c’est un peu l’argument avancé par Claire Siemaszkiewicz, directrice de Total-e-Bound, auprès du quotidien The Guardian : « Nous nous sommes débarrassés de toute pudeur, aujourd’hui dépassée… »

La pudeur est tellement dépassée, selon madame Claire Siedmaszkiewicz en tout cas, que Célia, 18 ans, n’a même pas été surprise par ces réinterprétations libidineuses. « Le sexe est partout et vouloir pimenter un peu ces histoires prudes est en accord avec l’esprit qui règne dans nos sociétés actuelles. »

Portrait de Jane Auste. Artiste inconnu

D’autres sont plus remontées, à l’image d’Elodie, 20 ans. « Je suis choquée : comment peut-on oser retoucher, dénaturer une œuvre pareille ? »

Cyrielle, 24 ans, dénonce quant à elle une entreprise de sape. « Cela me semble « salir » la mémoire de Jane Austen. »

Fanny, 27 ans, a vu rouge. « La colère fut mon premier sentiment. Colère envers des éditeurs qui ne font preuve d’aucune imagination, d’aucun talent. D’ailleurs ils ne cherchent même pas de nouveaux talents, ils exploitent des auteurs déjà morts, leur prose, leurs histoires romanesques mais aussi leur vie, tout cela parce que le sexe fait vendre. »

L’assassinat du fantasme

Tout de même, le beau Darcy et l’indomptable Elizabeth ont su enfouir dans nos esprits adolescents les graines du désir et du plaisir. Les gorges qui se soulèvent, les regards appuyés, les mains efflorées ont su entretenir un fantasme qui enfin se réalise. Faux !

En tout cas pour Cyrielle. « Je ne me suis jamais imaginé ce qu’il se passe dans le lit de nos héroïnes préférées de Jane Austen ou des sœurs Brontë. Ce sont des romans d’amour écrits à des époques où, le sexe, c’était un sujet ultra tabou. Pourquoi vouloir violer leur intimité et leur mémoire au nom du marketing ? »

Pour Noélie, c’est justement l’absence de sexe dans les romans de Jane Austen qui crée cette agitation intérieure, entre les personnages mais aussi pour le lecteur. « Il existe une telle tension entre les personnages que la machine à fantasmes peut marcher toute seule chez le lecteur. »

Quant à Margaux, c’est un peu comme si on lui volait ses fantasmes et sa capacité à les imaginer seule. « La littérature n’est-elle pas faite pour rêver ? Quel intérêt de rester aussi pragmatique ? Lire une scène de sexe c’est moins marrant que de l’imaginer. »

Jane Austen is better than sex

Idem pour Fadila, qui revendique son droit à imaginer la première séance de sexe entre les héros austeniens selon ses propres critères : « les œuvres originales, avec l’absence de scènes érotisées, nous laissent la possibilité d’imaginer ce qu’on veut, comme on le veut. » Tout comme Jane Austen vivait ses propres fantasmes. « Elle nous laisse imaginer ces choses-là, comme elle devait sans doute le faire vu qu’elle n’a jamais été mariée. » 

Camille, 27 ans, est loin de penser qu’assister au premier coït de Lizzy et Darcy soit un rêve pour les admiratrices de l’œuvre de Jane Austen. « Pour beaucoup de janeites, l’univers asexué de Jane Austen est très important. Comme si c’était encore un truc propre où les filles gardaient une certaine moralité. Certaines vont même jusqu’à refuser l’idée que Darcy puisse avoir eu des relations avec des petites bonnes ou d’autres filles de passage. » Mais Camille n’est pas de ces Janeites à la moralité exacerbée, et elle avoue : « je n’aurais rien contre le fait de lire ces scènes si elles sont bien écrites ! »

Alors oui, indéniablement quiconque a eu l’Abbaye de Northanger entre les mains s’est imaginé Henri Tilney chevaucher Catherine Morland. Et alors ? L’écrire, donner à manger au lecteur, n’est finalement qu’un flagrant délit de vol de fantasme !

La possibilité de charmer de nouveaux lecteurs ?

Autre argument avancé par Claire Siemaszkiewicz pour défendre ces personnages austeniens qui désormais donnent de leur corps : « Nous attirons une nouvelle génération de lecteurs qui n’auraient pas lu ces classiques ». Qu’en pensent nos janeites ? L’ajout de sexe peut-il attirer une bande de lecteurs libidineux qui n’auraient sinon, jamais lu du Jane Austen ?

Camille n’en est pas certaine, mais « si ça peut donner envie à des gens de lire les originaux (qui pour moi font parti des meilleurs livres jamais écrit) c’est une bonne chose. »

Pride and Prejudice, version olé-olé

Pour Margaux l’initiative pourrait apporter « une démocratisation de la lecture de ces romans. Ces quelques scènes n’enlèveront rien à la superbe des romans et les feront peut être connaitre du grand public pas forcément habitué à ce genre de littérature. De lire cette version les amènera peut-être à approfondir tout cela en voulant lire la version originale. Le second effet, négatif, serait la vulgarisation de ces ouvrages, qui devenus plus « accessibles » prendraient la place des originaux. »

Avis un peu plus optimiste que Célia qui craint plutôt que les livres lubriques ne prennent le pas sur les versions prudes. « Ceux qui ne les connaissaient pas et qui ont aimé la nouvelle version risquent de ne même pas s’intéresser aux anciens et ça pour la mémoire d’Austen et de Brontë, c’est triste. »

Un peu blasée, Elodie se doute bien qu’un peu de sauce salée ajoute du piquant. « Pour ceux qui ne connaissent rien à ces petits joyaux de la littérature. Forcément, une promesse de scènes pornographiques ça attire. »


Liront-elles ces versions endiablées ?

Bien sûr, elles ne sont pas convaincues. Mais elles sont et resteront des Janeites. Alors, oui, ces bouquins seront sans doute un peu bas de gamme. Oui, la mémoire de Jane Austen est foulée au pied. Mais tout de même, la curiosité est la plus forte.
Camille le reconnait sans complexe. « Je pourrais en lire un par curiosité parce que je suis une janeite, et que tout ce qui touche de près ou de loin à l’univers de Jane Austen m’intéresse. »

Pour Celia, il s’agit même d’un devoir. « En tant que fan de ces livres je pense que je me dois de suivre tout ce qui les concerne et ainsi pouvoir me faire une opinion. »

L'Abbaye de Nrhtanger, version Olé-Olé

Par contre Fadila ne sautera pas le pas. Pourtant, elle lit toujours avec enthousiasme les libres adaptations et interprétations de Jane Austen. Mais dans ce cas présent, les nouvelles versions lui semblent trop agressives. « Il ne s’agit pas vraiment d’adaptation mais d’une intrusion dans un style qui reflète une certaine époque. Et c’est ce style qui fait le charme de l’œuvre originale. »

Fanny non plus ne se laissera pas happer. « Non je ne souhaite pas lire ces livres. Je suis de nature curieuse et bibliovore, mais si je relis un de ces classiques ce ne sera pas pour une scène de sexe entre Darcy et Elizabeth. Si je veux une telle chose, il y a sur internet des fans qui adaptent eux aussi les histoires et mettent eux aussi des scènes de sexe. Sauf que dans le cas des fanfictions c’est gratuit, et souvent même très bien écrit ! »

Les fanfictions, parlons-en

La fanfiction ou fanfic est une œuvre écrite par un fan et qui reprend les éléments d’une œuvre originale pour en faire une suite, une adaptation ou une réinterprétation. Les ebooks licencieux de Total-e-bound ne sont pas des fanfics puisqu’il s’agit de simples ajouts au texte original. Les fans de Jane Austen prêts à prendre la plume pour redonner corps à leurs héros austeniens sont nombreux. Les fanfics très présents sur la toile attirent les janeites de tout poil.

Cyrielle s’enflamme. « Je les adore ! Que ce soit « Les caprices de Miss Mary » de Coleen McCullough ou « Les filles de Mr Darcy » de Elizabeth Aston, je trouve que ces romans comblent à merveille le trou béant laissé par Jane Austen qui, au final, n’a écrit que peu de romans durant sa carrière. »

Pour Elodie, c’est bien ce à quoi servent les fanfics. Ils permettent de déborder très largement sur l’histoire tout en respectant l’œuvre originale. Et pour qui voudrait vraiment savoir de quelle manière Lizzy attrapera Darcy pour la première fois, ou l’inverse, alors, « on se satisfait de fanfic. Il faut savoir faire la part des choses. »

Une fan fiction de Linda Berdoll.

Camille explique d’ailleurs que la maison d’Edition Total-e-Bound n’a rien inventé. Le sexe a déjà fait son apparition dans les œuvres adaptées de Jane Austen. « Depuis la version de Pride and Prejudice avec Colin Firth, le sexe est devenu présent dans l’univers para-austenien. Andrew Davies a demandé à Colin Firth de se conduire comme s’il avait une érection en tombant nez à nez avec Elizabeth Bennet dans le parc de Pemberley. A la suite, la première fanfic publiée  » The Bar Sinister, Pride and préjudice continues » de Linda Berdoll racontait la vie d’époux des Darcy avec des scènes de sexe. »

Pride and Pejudice, adaptation de la BBC avec Colin Firth, 1995

Fadila, pragmatique, souligne d’ailleurs certaines incohérences dans Mr. Darcy Takes a Wife: Pride and Prejudice Continues de Linda Berdoll. « On y trouve pas mal de scènes érotiques d’ailleurs mais parfois, on doute sérieusement de la crédibilité de certaines de ces scènes… Comment peuvent-ils se déshabiller en un temps record vu tout l’attirail vestimentaire de l’époque ? »

C’est vrai ça. Comment ?

La vague du Mommy Porn

Le Mommy Porn, c’est le porno de maman en français. Un phénomène auquel il est actuellement difficile d’échapper, incarné par l’incroyable succès de Fifty Shades of grey, d’E.L. James, que les ménagères émoustillées se refilent sous le manteau.
Fifty Shades est aussi une fanfiction, inspirée de Twilight, de Stephenie Meyer, et publiée sur le Net par une anglaise jusqu’ici inconnue. E.L. James, pseudonyme d’une mère de famille bien sous tous rapports. Ce porno pour maman raconte l’histoire d’une jeune fille innoncente qui découvre les joies du sado-masochisme avec le riche Christian Grey. C’est aussi l’histoire d’un incroyable succès de librairie. 20 millions d’exemplaires vendus aux Etats-Unis, 4 millions sur le site britannique d’Amazon. Et un coup marketing rondement bien ficelé, à l’image du site.

Toutes les critiques s’accordent à dire que ces livres sont mal écrits mais la mère au foyer ne recherche pas dans Fifty shades de la grande littérature. Non, ce qu’elle veut, c’est un peu d’excitation, un peu de porno ”qu’elle a le droit de lire”. Et ça, Claire Siemaszkiewicz, directrice de Total-e-Bound l’a bien compris. Des classiques de la littérature avec un peu de sexe, c’est bon pour la ménagère.

La trilogie d'E.L. James, Fifty Shades of Grey.

Camille en est convaincue, Total-e-Bound, surfe sans complexe sur cette vague. Et de préciser : « En plus comme les écrivaines de fanfics austeniennes sont souvent des « mommy » anglaises ou américaines, c’est vraiment ça. Je suis plus indulgente cette fois parce que c’est à la base une littérature que j’apprécie qui est mangée à cette sauce, mais ce n’est que du marketing pour surfer sur la vague Mommy’s porn. »

Cyrielle y voit également l’ombre du succès de E.L. James mais pointe du doigt le manque d’imagination de la maison d’édition. « Je ne comprends pas pourquoi ils se sont dit : « Tiens, si on gâchait une histoire bien connue au lieu de trouver des auteurs capables de reproduire un tel succès ? » »

Fanny reconnaît au moins à Fifty Shades la qualité, et non des moindres, de proposer du neuf sans recycler des romans du XIXe pour en faire des objets sexuels. « C’est une histoire nouvelle et qui s’assume en tant que telle ! »

Pour Elodie, il faudra toujours mieux du Jane Austen, même si elle verse dans la luxure : « Fifty Shades est vraiment mal écrit, c’est de la littérature de bas étage. Austen reste Austen, on ne joue pas sur le même plan. » Fifty Shades of Grey sort en France le 17 octobre. Voyons si quelques mois plus tard, on ne retrouve pas en tête de gondole Julien Sorel lascivement avachi sur Mme de Renal ou Quasimodo fouetté par Esmeralda.