Stéphane Rose aime les femmes… et les poils ! Jusqu’à récemment, il s’épanouissait dans sa passion velue. Mais l’époque est aujourd’hui contre lui. Les sexes féminins se dégarnissent. Inexorablement, ils se déplument. Maillots brésiliens, puis tickets de métro, la tendance est désormais à l’absence totale de poils ! Et pour être bien certaines que le malotru n’osera pas repointer le bout de nez, les femmes sont de plus en plus nombreuses à opter pour l’épilation intégrale et définitive. Tandis qu’une espèce disparaît sous nos yeux, Stéphane Rose a décidé de prendre les armes. C’est par la plume qu’il entre en guerre. Dans Défense du poil, il décrypte les raisons qui poussent les femmes vers le point de non retour, « le tsunami dépilatoire ». Au fil des pages, on découvre que la condition précaire du poil en dit beaucoup plus long sur notre société qu’il n’y paraît. Entretien avec l’homme qui milite pour une « réimplantation des poils dans les petites culottes ».
Pourquoi avez-vous écrit un plaidoyer pour les poils ?
Je les aime et je découvre au fil de mes rencontres, quand je tombe les petites culottes, qu’il y en a de moins en moins, voire plus du tout. Je me suis demandé ce qui se passait et pourquoi c’est devenu presque systématique. Au départ, il s’agit d’un intérêt égoïste et personnel. Mais, suite à des recherches, j’y ai vu un intérêt presque sociologique.
Vous êtes animé par la volonté de préserver une espèce en voie de disparition ?
Oui, il me semble. De plus en plus de femmes optent pour l’épilation définitive au laser. Celles qui passent à l’acte, n’auront plus jamais de poils. Si personne ne se réveille et ne tire rapidement la sonnette d’alarme, bientôt, tous les sexes seront lisses.
Quels rôle et influence accordez-vous à la pornographie, notamment sur Internet, dans la disparition du poil ?
On constate que la mode de l’épilation, ticket de métro ou définitive, va de paire avec la généralisation de ces modes d’épilation dans la pornographie. Celle-ci est presque la première responsable. Les hommes qui regardent des films porno font pression sur leur copine, plus ou moins consciemment, pour qu’elles ressemblent aux femmes des porno. En plus, il existe un marché assez ahurissant de l’épilation, relayé par la presse féminine. C’est-à-dire que les filles sont coincées entre leur mec et entre les magazines de modes. Soit elles s’épilent, soit elles passent pour les rebelles de service.
Les magazines féminins répercutent-ils le lobbying du marché de l’épilation ?
La presse féminine dépend directement de ses annonceurs. Pour la plupart, des produits cosmétiques, dont l’épilation. Il n’est surtout pas question de se fâcher avec eux. La presse féminine ne va pas dans le sens du poil mais dans celui de sa disparition.
Derrière le vernis de féminisme, les magazines féminins sont d’un sexisme totalement cynique. Selon moi, une femme qui lit la presse féminine sans aucun second degré, n’est pas une femme libre.
Y voyez-vous un recul du féminisme ?
A défaut de recul, on se rend compte qu’il existe, en tout cas à ce niveau, une conscience féministe très peu développée. Et une nana qui ose se balader avec du poil sur le sexe ou sous les aisselles passent pour la grosse dégueulasse ou pour la lesbienne militante ! On ne donne pas du tout dans la demi-mesure ! Alors qu’on parle de quoi ? De trois poils qui trainent !
Existe-t-il un type de femmes qui s’épilent ?
Je suis très éclectique et je peux vous dire que l’épilation est généralisée chez tous types de femmes. Quand je leur pose la question : « Pourquoi t’es-tu épilée ? » La réponse est quasi systématique : « parce que c’est notre premier rendez-vous. » Il s’agit vraiment d’une soumission qu’elle que soit la femme. Et quand on leur répond : « Moi, les poils, je trouve que c’est érotique et sympa », beaucoup arrête de le faire. C’est bien la preuve qu’elles s’épilent contre leur gré. Il y en a quelques unes, bien sûr, qui ont intégré des raisons de s’épiler qui leur appartiennent vraiment.
« Il y a un tabou autour de la sexualité des enfants et des adolescents »
Le poil, c’est sale ?
Le poil n’est pas anti-hygiénique. Il suffit de le laver, comme tout le reste, en fait. C’est un argument totalement bidon ! Le poil retiendrait les mauvaises odeurs ? Depuis quand les odeurs du sexe et du corps sont-elles mauvaises ? Ce n’est pas de l’hygiène, c’est de l’aseptisation de la sensualité et de l’érotisme. Ca n’a rien à voir !
C’est très étonnant de voir les pornographes et les hygiénistes marcher ensemble, comme un seul homme, contre le poil…
C’est bien la preuve qu’on ne réfléchit pas assez à ces questions-là pour arriver à des paradoxes pareils ! Mais peut-être que je suis un vieux rétrograde, un nostalgique qui n’accepte pas une évolution inexorable de notre rapport au corps ! J’appartiens peut-être au passé !
La lutte contre le poil participe-t-il également à la lutte anti-âge ?
Bien sûr ! Maintenant, il faut être jeune, maigre et lisse. Tout ce qui dépasse de l’idéal du corps juvénile, que ce soit un bourrelet, un poil ou une ride, il faut l’enlever. Il faut maintenant être des poupées Barbie et les hommes s’y préparent aussi. C’est-à-dire qu’on va évoluer dans le monde de Barbie et Ken. Il n’y a rien de plus déprimant et anti-érotique que tous ces quadra et quinquagénaires que l’on voit dans les milieux libertins. Ils s’entretiennent à coup de bronzage, ils se font refaire les seins, ils se rasent la chatte, ils se rasent les couilles. Ils ont tous la même tronche. Ils me font penser à un mauvais film de science-fiction, c’est vraiment un cauchemar. Il y a quelques rebelles mais dans l’ensemble, ils représentent la première vitrine de la pornographie de masse.
Vraiment ?
Oui ! Ils sont persuadés d’être transgressifs parce qu’ils partouzent et qu’ils pratiquent l’échangisme mais ils ne le sont pas du tout ! Ce sont eux qui intègrent le plus facilement et avec le plus d’ostentation, ces normes qui sont les normes consuméristes de la presse féminine.
Dans votre livre, vous établissez un rapport entre la chasse aux poils et la pédophilie.
Je pense qu’on est dans une société inconsciemment pédophile mais qui le refuse. On n’a jamais autant chassé les pédophiles, il y a un tabou autour de la sexualité des enfants et des adolescents. On ne peut plus en parler, on ne peut plus dire que ça existe sans s’attirer les foudres des combattants de la pédophilie. Et pourtant, on vit dans une société où tout le monde se fait un corps de pré-adolescent et un sexe de petite fille. C’est vraiment la traduction d’un inconscient collectif pédophile, ça ne fait aucun doute.
Croyez-vous que les hommes recherchent des sexes qui ressemblent à ceux des petites filles quand ils poussent leur femme à s’épiler ?
Non, il faut plutôt faire un rapport avec la pornographie de masse. A mon époque, on regardait le porno en crypté sur Canal + ou on allait dans les sex shops. Il fallait vraiment faire la démarche de se le procurer. Maintenant en deux clics de souris, on a des giga-octets d’images pornographiques. Une majorité d’hommes en a consommé ou en consomme régulièrement, voire tous les jours. Ils intègrent un modèle. Si notre quête d’images érotiques nous montre des sexes glabres, on va intégrer les sexes glabres. C’est du panurgisme. On se comporte comme des moutons et on veut ce qu’on a vu.
Pourtant l’âge d’or du porno, ce sont des sexes avec des poils.
Oui, mais c’est fini. Les Etats-Unis, et notamment la pornographie californienne, ont donné le la pour la pornographie internationale. Les actrices ont commencé à s’épiler, elles sont toutes blondes avec des faux seins. Les actrices européennes qui sont allées travailler aux Etats-Unis sont revenues avec ces critères-là et ont imposé ces standards en Europe. Le dernier pays, amateur de sexes poilus et où les actrices ont résisté longtemps, était l’Italie. Mais aujourd’hui, le pays ne produit plus qu’une pornographie avec des sexes épilés.
Est-ce un simple phénomène de mode ou vraiment une disparition du poil ?
Si des starlettes à la mode se mettaient à dire « les chattes poilues, c’est la classe » ou « le poil c’est génial », je crois que le poil pourrait revenir. Il suffirait qu’il y en ait une qui se montre avec une touffe de poils qui dépasse du string, on assisterait peut-être à son retour.
D’autant plus que les coûts de l’épilation intégrale baisse !
Oui, c’est dramatique.
Vous êtes en face d’un adolescent, que lui dites-vous pour le convaincre ?
Je lui dirais : « Essaie de les toucher, de les manipuler tu verras. » Mais je ne suis pas sûr que j’essaierais de le convaincre, en fait. Je suis tellement pessimiste, je suis tellement nostalgique ! Je milite auprès des gens de mon âge. Mais pour moi, il ne fait aucun doute que les adolescents ont intégré ces critères mieux que quiconque. De plus en plus de jeunes filles se font offrir des seins en silicone à 18 ans !
Avant, on luttait contre les traces de l’âge au moment où elles apparaissaient, on se mettait au régime, on mettait un peu de crème. Aujourd’hui, on construit son identité en faisant en sorte que les traces de l’âge n’apparaissent jamais. Les jeunes sont déjà dans cet idéal. Le premier poil, ils l’enlèvent. Ils font du sport ! Si on construit comme ça, psychologiquement, on ne sera jamais prêt à admettre le poil. Si on se construit comme ça, c’est que le poil est mort !
Depuis la publication de votre livre, avez-vous des retours de la part des femmes ?
Je reçois beaucoup de mails de remerciements de la part de femmes. Elles me disent bravo et sont heureuses que ce soit un homme qui ait écrit ce livre. Mais ce sont des femmes de plus de 30 ans qui m’écrivent, pas des filles de 18 ans…
Le poil disparaîtra-t-il aussi chez les hommes ?
Effectivement, toujours dans les films porno modernes, les acteurs ont le sexe parfaitement épilé. Et il est de moins en moins rare de voir des hommes qui s’épilent. Mais persiste tout de même l’idée que la virilité passe aussi par le poil. Pour les hommes, je suis beaucoup moins inquiet !
Stéphane Rose, Défense du poil, contre la dictature de l’épilation intime, La Musardine, 2010.