Marguerite Dumont (Catherine Frot) est une figure incontournable de la bourgeoisie du Paris des années 20. Passionnée de musique, et particulièrement d’opéra, cette femme fortunée réunit régulièrement chez elle depuis des années un petit comité qui vient assister à ses prestations. Mais Marguerite est loin de se douter que son récital est à la limite du supportable tant sa voix est très loin d’être à la hauteur des airs d’opéra qu’elle affectionne. Par lâcheté, intérêt ou hypocrisie, son mari Georges (André Marcon) et ses amis ont toujours entretenu ses illusions en lui cachant qu’elle chante horriblement faux. Alors que Marguerite se donne une nouvelle fois en spectacle devant son cercle restreint, elle fait la connaissance du jeune journaliste Lucien Beaumont (Sylvain Dieuaide) qui encense sa performance dans son journal. Naïve, Marguerite ne va pas déceler la perfide ironie de cet article et, entrainée par cet ami plein d’enthousiasme pour ses capacités, elle se met en tête de se produire devant un vrai public, à l’Opéra. Une décision qui va effrayer son mari et totalement bouleverser sa vie.
Drôle de passion
Comme pour À l’origine (2009), Marguerite est basé sur une histoire vraie, mais Xavier Giannoli, réfractaire à l’exercice du biopic, a de nouveau modifié la matière première pour mieux s’approprier son personnage. En réalité, la cantatrice catastrophique s’appelait Florence Foster Jenkins et a vécu aux Etats-Unis dans les années 40. N’ayant pas conscience de la fausseté de sa voix, elle se produisait régulièrement avec des amis et ses performances ont même été immortalisées sur un disque, pour le plus grand bonheur de nos tympans. Si Hollywood travaille actuellement à un biopic sur la vie de cette femme extravagante, Xavier Giannoli a préféré installé le personnage de Marguerite en France, vingt ans plus tôt. Ambivalent, Marguerite joue habilement sur plusieurs tableaux et possède une profondeur qui s’intensifie au cours du récit. Dans un premier temps, à l’image des convives de la chanteuse sans talent, on rit, on se moque des tentatives désespérées de Marguerite pour atteindre les notes les plus hautes de La reine de la nuit de Mozart ou de Casta Diva de Bellini. Un rire omniprésent tout au long du film, grâce à une galerie de personnages décalés comme Atos Pezzini (Michel Fau), vulgaire chanteur d’opéra sur le retour qui se retrouve bien malgré lui professeur de chant de Marguerite. Mais lorsque l’apprentie cantatrice se trouve confrontée au monde extérieur, le rire se fait plus prudent, il se teinte de gène et de crainte.
Cruelle hypocrisie
On rit de l’incroyable crédulité de cette femme dont la richesse attire les profiteurs, et puis, peu à peu, on apprend à la connaitre. Derrière la passion de Marguerite pour l’opéra se cache un vide affectif abyssal. Délaissée par son mari, elle tente de se faire remarquer par ses talents de chanteuse qui, ironiquement, font honte à son compagnon et l’éloigne d’elle. Sous le voile pudique du rire, il y a dans ce film un fond de tragédie sublimé par l’interprétation puissante de Catherine Frot, aussi à l’aise dans le ridicule que dans l’émotion, à la frontière entre la passion et l’aliénation. Tout compte fait, Marguerite, personnage comique et candide, est la seule à être pure, vivant pour sa passion au sein d’un entourage sournois et malsain. Embourbés dans leurs mensonges, les proches de l’infortunée diva se retrouvent piégés à leur propre jeu et finalement le rire change de camp. La diva catastrophique ressort grandie de la confrontation, en laissant en suspens une question troublante : pouvait-elle totalement ignorer les limites de ses capacités vocales ? Le flou à ce sujet rend ce personnage attachant d’autant plus fascinant.
Marguerite bénéficie d’un scenario subtil, mêlant de façon efficace la farce et l’émotion, et d’une prestation remarquable de Catherine Frot, bouleversante. Une réflexion drôle et féroce sur l’hypocrisie sociale face à une passion qui flirte avec la déraison.
> Marguerite, réalisé par Xavier Giannoli, France – République Tchèque – Belgique, 2015 (2h07)