Elle est de celles dont on ne parle pas ou peu. De celles qu’on cache honteusement. La poupée gonflable, à vendre dans la rubrique «hygiène et soin du corps» d’Amazon. Un peu glauque, plutôt flippante, moins branchée que les sex toys, la poupée gonflable, cette fille facile, a souvent mauvaise réputation. Mais alors qu’une société brésilienne au début du mois de mars organisait la première convention internationale de la poupée gonflable, nous avons voulu en savoir plus sur cette énigmatique humanoïde au regard fixe.
Des objets de substitution
Agnès Giard, auteur du blog les 400 Culs, trouve son origine dans les traversins de bambous qu’utilisaient les habitants des régions chaudes et humides d’Asie. Dans un article qui leur est consacré, elle écrit : «Ce sont les ancêtres des poupées gonflables parce que dans ces pays, la tradition veut que les femmes tressent une «épouse de bambou» pour leur mari quand celui-ci part en voyage, afin qu’il puisse enlacer un corps de substitution.»
Quant au site du magazine Neon, il nous conte une histoire allemande : «en 1940, le chef des SS, Heinrich Himmler, aurait tiré la sonnette d’alarme. À force de fricoter avec des prostituées, la syphilis se répandait chez les soldats allemands et faisait plus de victimes que les combats contre les troupes ennemies. Hitler aurait alors ordonné la confection de poupées gonflables pour satisfaire les besoins de ses soldats. C’est ce qu’on appelle le projet Borghild (1940-1942). Aujourd’hui, il ne reste aucune preuve de l’existence d’une telle opération, en dehors de photos dont l’authenticité est contestée par de nombreux historiens.»
Avènement du plastique et révolution sexuelle
Toujours est-il qu’avec l’avènement du plastique, le monde est entré dans l’ère de la poupée gonflable. La révolution sexuelle l’a intronisée. A la fin des années 70, la poupée gonflable avait fait son trou. «Les poupées gonflables sont les filles à la fois maudites et bénies de la révolution sexuelle. Elles incarnent l’espérance d’une vie sexuelle satisfaisante pour tous, en compagnie d’une belle fille. Même si vous êtes pauvre, vieux ou laid, vous pouvez avoir une femme de rêve dans votre lit… C’était l’idée…», poursuit Agnès Giard, également doctorante, spécialiste des artefacts humains et simulation de la conscience, technologies de la «présence».
Au Japon, où le marché de la real doll est en pleine expansion, la société Orient Kôgyô est leader dans une société nippone où la poupée est devenue une compagne pour des célibataires de plus en plus nombreux. «La crise économique aidant, ces hommes dont le salaire est insuffisant pour fonder un foyer « adoptent » des compagnes artificielles qu’ils installent chez eux dans des poses qui suggèrent l’idée de l’attente… Ces objets à l’apparence troublante sont aujourd’hui en train d’envahir l’imaginaire japonais avec une rapidité surprenante et procurent l’illusion d’un lien affectif à des êtres que l’âge ou le célibat condamnent à la solitude», analyse Agnès Giard.
Domax, la poupée made in France
Au milieu des années 70, une société française, toujours en activité aujourd’hui a ouvert ses portes. La société Domax parvient à lutter contre une concurrence sauvage avec ses poupées en latex naturel. Si au Japon, la poupée n’est plus gonflée, celle de Domax arbore encore son petit bouchon. La société les fabrique par séries de 20, sur une chaîne de 20 mannequins.
Pour Citazine, Dominique Berger, maître des lieux, raconte une semaine type : «le lundi, on douche les poupées et on les trempe (dans le latex). Ensuite, on les sèche jusqu’au lendemain midi. Le mardi après-midi, c’est le démoulage qui nécessite 1h30 de travail. Le mercredi, on vérifie les peaux avant de les remettre a l’endroit. Le jeudi, on colle les têtes. Quand la colle est sèche, on gonfle les poupées jusqu’au lendemain pour voir si il n y a pas de fuite. Le vendredi, on les dégonfle et on colle les perruques blondes, brunes ou rousses.» Et voici 20 poupées de plus, prêtes à l’emploi. Chaque mois, ce sont 80 poupées qui sortent de cette petite usine du Nord-pas-de-Calais, une usine qui résiste jour après jour à la dame de compagnie made in China qui envahit le marché.
Les poupées de Dominique Berger arborent des mensurations standards : 1m65 pour un 90, 60, 90, «selon gonflage», précise-t-il. Il peut sagir de simples poupées gonflables avec un vagin en latex. Une autre catégorie arbore quant à elle un vagin en silicone. Les poupées dites «full» sont quant à elle remplies de polystyrène. Le nec plus ultra, en tout cas la catégorie la plus onéreuse, c’est la «sweet full doll» : polystyrène et vagin en silicone de rigueur.
Pour ce fabricant, les utilisateurs de poupées gonflables se divisent en deux catégories : «ceux qui l’achètent pour s’en servir comme des fous. Et les autres qui en achètent car ils sont vieux, seuls ou veufs et l’utilisent comme objet de compagnie». En tout cas, pour lui, les femmes ne sont pas preneuses. «Je ne fabrique pas de poupée homme car les femmes en général préfèrent le sex toy et pas ce qui y a autour alors que les hommes préfèrent une femme pour mettre leurs mains partout.» CQFD.
« Les poupées qui se vendent le plus ressemblent à Bouddha«
Au Japon aussi, le marché de la love-doll est uniquement dédié au plaisir masculin. Selon Agnès Giard, «ils partent du principe qu’une femme qui a besoin de sexe peut facilement en trouver un : il lui suffit d’aller dans un bar et de lever un inconnu, disent-ils. Il est rare qu’un homme refuse du sexe à une femme. En revanche, il est plus difficile pour les hommes de satisfaire leurs envies, disent-ils.» Mesdames qui rêviez d’une love-doll faite pour vous, repassez plus tard, vous n’en avez pas besoin.
L’homme seul, voilà la cible privilégiée. Des personnes souffrant de solitude qui projettent dans la poupée sinon une partenaire amoureuse, une compagnie bienveillante. Et docile ! Alors la love-doll n’est plus uniquement celle qui comble le manque sexuel, elle comble également le manque affectif. Démonstration d’Agnès Giard : «Il existe des gaines à pénis pour la masturbation qui coûtent seulement 400 yens et qui sont bien plus efficaces que les poupées pour se procurer du plaisir. Les poupées sont lourdes (25 à 30 kilos), inertes, pas faciles à plier dans la bonne position, pas facile à pénétrer, pas faciles à manipuler. C’est un vrai casse-tête de leur faire l’amour. En tout cas, cela demande de l’entrainement…
Si les hommes se procurent une poupée encombrante, coûteuse et compromettante c’est parce qu’ils attendent d’elle un effet de présence. Ils ont besoin de se sentir en compagnie de quelqu’un. Raison pour laquelle les poupées les plus populaires sont celles qui offrent un visage « fermé », à l’inverse de ces poupées à la bouche en O et aux postures explicitement sexuelles qui demandent… Les poupées trop expressives n’ont aucun succès car elles ne s’offrent pas comme un support de projection. Or, ce que le client veut, c’est une âme-soeur, un être-miroir, capable de refléter ses pensées et ses émotions. Les poupées qui se vendent le plus ressemblent à Bouddha.»
Le robot est-il avenir de la poupée gonflable ?
La rencontre entre ces poupées qui ressemblent de plus en plus à des êtres humains de chair, et des robots, ne pouvait être qu’explosive ! Les avancées en matière d’intelligence artificielle annoncent l’avènement du robot et pas seulement dans la cuisine. Un futur où le robot serait une présence quotidienne capable de se substituer à n’importe quel manquement ménager, social, culinaire… sexuel, c’est demain !
«L’amour et le sexe avec les robots sont inévitables», affirme David Levy, chercheur à l’université de Maastricht et auteur du livre Love and Sex With Robots. Les robots devenant de plus en plus humains, en tomber amoureux serait selon lui un sentiment tout à fait envisageable, voire inéluctable. Il parle même de les épouser ! On n’en est pas là, mais tout de même.
Agnès Giard raconte qu’effectivement, «les poupées constituent un véritable laboratoire pour la recherche en vie artificielle. Elles servent de modèles à des prototypes d’androïdes et influencent les recherches de pointe en matière d’anthropomorphisme. Certains centres de robotique s’approprient en effet tous les derniers-nés des firmes de love-dolls, afin de les disséquer et de s’en inspirer pour améliorer l’aspect de leurs humanoïdes… Leur système est littéralement en train d’accoucher de formes de vie « psychiques » nouvelles. Les simulacres, qui sont commercialisés au Japon, devraient dépasser les frontières de cet archipel d’ici quelques années et cela d’autant plus aisément que ces objets ne se contentent pas d’être réalistes. Ils proposent quelque chose de plus qu’un simple aspect ‘ressemblant’.»
Précurseur de ces relations amoureuses entre l’homme et son robot, le Tamagoshi n’imaginait sans doute pas finir en couple avec un humain. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’en 2050 il est même probable qu’on lui demande son avis !
> Les objets du désir au Japon, Agnès Giard, éditions Glénat 2009.