Quand je vous ai appelé et que vous n’avez pas répondu, vous surfiez sur un site de rencontres ?
Non, je me baignais dans l’océan. Je ne pratique plus les sites de rencontres depuis plusieurs années. Je me suis réinscrit pour les besoins du livre, au frais de mon éditeur, je précise. Je ne pratique plus parce que ça m‘a saoulé et aussi parce que je ne suis ni un polyamoureux ni un libertin et que j’ai quelqu’un.
C’est l’un de principaux conseils que vous donnez dans le bouquin : quand on trouve un ou une partenaire, il faut se désinscrire.
Oui, à moins d’être dans une volonté de ne pas s’engager. Dans ce cas là, il faut le dire à l’autre. Si on ne part pas sur les postulats d’une relation traditionnelle avec à priori une fidélité tacite, il faut le dire sinon c’est pour moi le pire moyen de commencer une histoire.
Pourquoi avez-vous voulu écrire ce livre ? Les années passées à les pratiquer vous ont blasé, frustré ?
C’est une vieille histoire. En pratiquant ces sites, je tombais sur des pépites de petites annonces ahurissantes que je copiais-collais, en pensant qu’il faudrait faire un truc un jour. Au fil du temps, les sites se sont démocratisés, et tous mes amis qui pratiquaient s’amusaient à faire des mails avec ces pépites. J’ai donc compris que tout le monde était sur les sites de rencontres et que tout le monde se foutait de leur gueule avec une sorte d’attirance-dégoût. C’est pour ça que j’ai voulu écrire ce livre. Tout le monde a le même regard, mais on en parle d’une manière un peu angélique dans les médias.
« On a l’impression que l’exclusion est décuplée tellement on se mange de râteaux. »
J’aimerais qu’on dresse les portraits-robots des quatre catégories d’utilisateurs que vous décrivez dans le livre. Qui sont les exclus ?
L’exclu, c’est celui qui ne séduit pas dans la vraie vie et tombe dans le piège des sites de rencontres pensant qu’enfin, il pourra choper. Mais si on ne séduit pas dans la vraie vie, on ne séduit pas sur les sites de rencontre. Il y a 1000 et une façon de définir les critères de séduction : la beauté, l’humour, l’intelligence, un métier cool, du fric… Mais l’exclu n’a rien de tout ça. Et il se prend encore plus de râteaux que dans la vie. Parce que dans la vie, il va brancher une nana, une fois par semaine mais sur un site, on peut parler à 200 personnes et se prendre 200 râteaux ! On a l’impression que l’exclusion est décuplée tellement on se mange de râteaux. Et on les repère sur un site à l’aigreur qui transparait soit dans leurs annonces soit dans leur propos. « Les filles arrêtez de me snober, venez me parler. » Ou des gens qui partent défaitistes dès le début de la conversation. Ils ont conscience d’être exclus et entretiennent tous les jours cette situation.
C’est d’une violence extrême cette succession de râteaux !
Oui, c’est tout le problème des sites de rencontres. Même pour les gens qui séduisent dans la vie. Quand on est sur un site de rencontres, dans une grande ville comme Paris, on peut vraiment parler à 50 personnes. Mais parler à 50 personnes est forcément voué à l’échec, on ne peut pas plaire à 50 personnes ni séduire 50 personnes. Ce serait comme rentrer dans une rame de métro pour un mec et penser qu’il peut séduire toutes les nanas qui sont là. Une peut-être, mais c’est tout. Et c’est pareil pour un site de rencontres. Mais puisqu’on est sur un site réservé à ça, on oublie que la séduction n’est pas universelle et on interprète mal les râteaux. On finit par s’auto-dévaloriser, beaucoup plus qu’il ne faudrait et ça fait des petits ravages psychologiques. C’est aussi ce qui crée l’addiction. Parce que si on n’arrive pas à séduire, on veut dépasser ça, on est dessus de plus en plus et on devient addict sans s’en rendre compte.
Ça va finir par de devenir un problème de santé publique cette addiction croissante aux sites de rencontres !
Oui, c’est un problème de santé mental public qui caractérise les nouvelles relations amoureuses. Les sites génèrent des distorsions comportementales. Quand on arrive à s’en détacher, il faut une phase de réadaptation à la relation amoureuse.
Pourtant, pour une personne incapable d’aborder quelqu’un dans la rue ou dans une soirée, les sites de rencontres peuvent lui réapprendre ou lui apprendre à séduire.
Oui, bien sûr et ça peut marcher d’ailleurs. Un truc vraiment bien avec les sites de rencontre, c’est qu’ils redorent le blason de la correspondance et de l’échange intellectuel. La séduction ne se fait pas uniquement sur une simple impression visuelle. Sur un site de rencontre, on peut revendiquer un univers, un vocabulaire, de l’humour. Mais dans la pratique, on s’aperçoit que les gens choisissent leur partenaire sur les photos et que les fenêtres de chat sont d’une vacuité absolue. Mais ça peut marcher ! Des timides peuvent parler à d’autres timides et se rencontrent, ça peut marcher !
Maintenant, parlez-moi du névrosé.
Le névrosé… Déjà, on est tous névrosé. Mais le site de rencontres accélère les névroses. Quand on a des prédispositions, par exemple l’addiction, on a beau s’être mis des barrières dans la vraie vie, les barrières volent en éclat sur un site. Il y a tellement de monde, c’est tellement simple ! On rentre dans une logique de zapping relationnel qui va déclencher cette névrose. Comme la paranoïa, quand on a des penchants paranoïaques, on est tenté de fliquer et soupçonner une personne qu’on rencontre sur un site, pour vérifier si elle parle à d’autres personnes, alors qu’on devrait être un peu foufou et dans l’euphorie des débuts ! Dès le début, les non-dits façonnent la relation. Les sites sont un terrain privilégié pour les névrosés ou ceux qui vont le devenir.
« On essaie, on rencontre, on tire un coup éventuellement »
Et les consommateurs, qui sont-ils ?
Les consommateurs, ce sont tous ceux qui prennent au pied de la lettre ce que proposent les sites de rencontres. C’est à dire des catalogues où les humains qui y sont inscrits se résument à des fiches produits : quelques photos et une liste de caractéristiques. Et puisqu’on est sur un site de rencontres on va consommer la rencontre exactement comme on consomme un paquet de nouilles. Donc, on compare, on trouve toujours quelqu’un de mieux. On essaie, on rencontre, on tire un coup éventuellement et si ça ne marche pas on jette l’autre, sans lui expliquer quoi que ce soit ou essayer de le ménager. On ne s’encombre pas de ça. Surtout qu’on l’a déjà subi, on le fait à son tour.
En fait, il n’existe plus aucune frontière entre l’individu, potentiel partenaire, et le produit qu’on trouve en magasin.
Oui, c’est ça. Une rencontre amoureuse réussie est une rencontre qui nous surprend, qui génère, sans qu’on s’en rende compte, des sentiments étonnants qui nous donnent envie de tenter quelque chose. Mais quand on s’inscrit on veut d’abord répondre à un besoin. On veut combler un manque, on n’est alors pas apte à se laisser surprendre. On cherche à combler ce besoin, on cherche un partenaire censé nous correspondre et d’emblée, on l’aborde en terme de critères et pas en terme de magie amoureuse. Quand on tombe là-dedans, on adopte forcément des comportements consuméristes.
« Dire qu’on est mince alors qu’on est gros »
Et la dernière catégorie d’utilisateurs : les mythos.
Tout le monde ment plus ou moins sur les sites de rencontre. Et ceux qui ne mentent pas finissent toujours par le faire avec de nombreux degrés de mensonges. Le premier est d’enjoliver son profil : mettre une photo d’il y a 2/3 ans, celle où on a des kilos en moins, dire qu’on a 40 ans au lieu de 50, dire qu’on est mince alors qu’on est gros, dire qu’on est photographe alors qu’on est informaticien ou agent à la RATP mais qu’on pratique un peu la photo. Certains cumulent tellement les mensonges qu’ils se créent une version fantasmée d’eux-mêmes. Jeune, beau, super métier. Quand on les rencontre, rien ne correspond, les mensonges sont révélés et reviennent comme un boomerang dans la tronche de celui qui les a proférés.
Et existe-t-il un portrait-type de ceux pour qui ça marche ?
Oui, même si tout le monde ne vient pas pour trouver l’amour. Certains veulent clairement du sexe. Moi j’ai trois conseils : ne surtout pas mentir, quand la mayonnaise prend, proposer à cette personne très vite d’aller boire un verre. Ainsi, on évite de fantasmer. Si on se lance dans des grandes correspondances enflammées pendant plusieurs mois, on crée une image déformée de l’autre, nourrie par l’imagination romantique. Et quand la rencontre se fait, l’image de l’autre n’est pas l’image qu’on s’en est fait. Une fois qu’on s’est rencontré, il faut dire à l’autre comment on fonctionne : est-ce qu’on part sur un postulat de fidélité ou est-ce qu’on est un couple libre. Ça paraît anodin, mais non. Sur les sites de rencontres, les mentalités sont beaucoup plus libertines. On peut s’exposer à des gens qui vous répondent qu’ils ne vous ont rien promis, qu’ils rencontrent plein de monde. Cette une bonne précaution, en plus ça évite le fliquage au début d’une rencontre.
Et vous, à quelle catégorie apparteniez-vous quand vous étiez utilisateur ?
Névrosé je dirais. J’ai eu une petit période addict aussi. Mais je l’ai ressentie comme une expérience psychanalytique. Ça m’a permis de mieux me connaître et de régler certains comptes. Pour moi les sites de rencontres peuvent avoir l’effet d’une analyse bien menée. L’analyste est quelqu’un qui nous écoute mais qui a une telle neutralité de discours qu’il finit par se transformer en page blanche sur laquelle on écrit ce qu’on est et on le lit à travers l’autre. Les sites c’est pareil. Ça peut vraiment être une expérience enrichissante et c’est pour ça que je recommande vraiment d’aller y faire son expérience. C’est quelque chose de nouveau, auquel on est mal initié. On doit se faire sa propre expérience pour ne pas tomber dans leurs nombreux pièges.
Les sites de rencontres cartonnent. Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans ce succès qui ne se dément pas ?
Ce qui me surprend c’est qu’une grande majorité des gens inscrits en dit du mal mais continue malgré tout à y aller. Il y a une forme de plaisir masochiste à surfer sur les sites de rencontres. Personne ne me dit : « oui, c’est super, je fais des super rencontres, je m’amuse ». Au début de ce livre, j’ai fait un grand appel à témoin et la question était : « quelle est l’anecdote la plus significative de votre expérience ? » J’ai eu 99% d’anecdotes glauques ! Pour moi c’est du masochisme.
Quel est selon vous le site le plus cynique et malhonnête ?
On pourrait croire que c’est Adopte Un Mec qui a adopté tous les codes des sites marchands avec le caddy, l’homme produit. Mais le plus cynique est Meetic. Ils ont essayé d’évoluer mais c’est trop tard : le site mensonger, basé sur les rencontres amoureuses, avec des systèmes de modérations hyper élaborés où on se fait censurer dès qu’on a une annonce un peu cynique ou qui ne va pas dans le sens de : « je suis là pour trouver l’amour. » Alors que la réalité, c’est aussi des mecs qui cherchent des histoires d’un soir et que la majorité des nanas ne veut pas de ça. Alors une annonce sur deux des nanas terminent par : « plan cul s’abstenir », « pervers passez votre chemin », « histoire d’un soir non intéressée ». C’est totalement cynique et hypocrite. La force d’Adopte un mec et c’est pour ça qu’ils ont cartonné, c’est d’avoir fait zéro censure sur les annonces. On pouvait écrire ce qu’on voulait, être pervers et misanthrope. Tous les gens frustrés par Meetic y sont allés et ça a créé des dialogues beaucoup plus sincères parce que pas basées sur des stratégies de simulation où on est obligé de faire croire qu’on est romantique pour rencontrer une nana. Adopte est beaucoup plus honnête et transparent malgré ses codes cyniques que tous ces sites guimauve traditionnels. D’ailleurs Meetic est moins à fond sur la modération, sur l’amour pour la vie et essaie de changer son image, mais c’est trop tard.
Meetic : les quadras sur le marché de l’occasion
Oui, aujourd’hui, si on n’est un peu cool, on ne traîne pas sur Meetic !
Maintenant tous les jeunes sont partis sur Adopte. Avant sur Meetic, il y a avait un vrai brassage des générations. Aujourd’hui, ce sont tous les quadras sur le marché de l’occasion et de la séduction, les vieux romantiques qui ne sont plus capables de séduire, c’est assez pathétique.
Quels sont les sites les plus communautaristes ?
Ce sont les sites de rencontres entre Musulmans, comme Mektoube. Eux marchent fort. Les sites communautaristes, il en existe plein. Beaucoup créent le site de rencontre pour agriculteur, peur ceux qui mangent bio, pour ceux qui votent à droite. Mais ça ne marche pas du tout. Alors que les sites musulmans cartonnent vraiment. Ça en dit déjà long sur le communautarisme religieux qui existe dans notre pays.
Quels sont les sites les plus glauques et fangeux ?
Tous les sites orientés rencontres libertines. C’est horrible, ce ne sont que des faux profils féminins, ça se voit à 10 kilomètres. Ils mettent des photos de bombasses achetées sur des banques d’images érotiques. On demande à des mecs de payer pour chatter avec des femmes qui sont en réalité des employés dans un centre call à Madagascar. On a un vieux moustachu qui gère dix profils de bombasses en même temps. Et qui est payé pour les faire rester sur le site mais les types ne rencontrent jamais personne. Ca c’est vraiment la misère sexuelle.
Une chose que vous n’avez pas dit dans cette interview et qui vous semble important ?
Tomber amoureux, c’est s’émerveiller et se laisser surprendre et sur les sites de rencontres, ça ne fonctionne pas. C’est très laconique mais c’est ça. Ils sont organisés de telle façon qu’on renonce à nos capacités d’émerveillement jusqu’à ce qu’on devienne un consommateur fidèle du site. On tombe souvent amoureux après sa désinscription d’ailleurs.
Mais c’est très dure de se désinscrire…
C’est facile les sites ! On est planqué derrière son écran et en plus ça marche, on fait beaucoup de rencontres faciles. On vérifie en permanence qu’on peut séduire, on règle ses failles narcissiques comme ça. C’est plus facile d’envoyer un mail que d’aborder une personne dans la rue. On réalise que si on veut rencontrer quelqu’un ou baiser un soir il va falloir déployer beaucoup plus d’énergie dans la vraie vie !
Misere-sexuelle.com, le livre noir des sites de rencontres, Stéphane Rose, La Musardine / Document, 2013.