On retrouve Tilt, le matin du vernissage de son expo solo à la Galerie Wallworks. C’est agité. Les uns briquent, les autres brossent, on prépare tout pour le grand soir. Tilt, lui, est au téléphone, avec un gendarme. Il a bien failli vivre ce vernissage en garde à vue pour avoir tagué une caserne militaire à Toulouse. « Je me suis fait balancer ».
Quand il ne fait pas toujours l’artiste conventionnel en galerie, Tilt graffe ses flops et bubble letters sur les murs des villes du monde entier. « Je ne me sentirais pas légitime d’exposer un travail issu du graffiti et de ne plus le faire dans la rue ». Et surtout il s’ennuierait à mourir. « Le Graffiti, c’est faire des graffs illégaux sur les chemins de fer, les trains, les périph’. Moi, j’aime l’illégalité, l’aventure, cacher mon scooter, peindre, masquer, faire attention aux caméras. Il n’y a pas d’aventure dans l’atelier. Et tu es seul dans l’atelier alors que dans la rue, pas du tout. Le skate, le graffiti, c’est une vraie histoire du groupe, une culture. »
Un graffiti artist, pas un street artist
Il a 40 ans, son accent chante Toulouse, il graffe depuis 1989, dans les squats, sur les trains, les spots de skate. Il se revendique graffiti artist, les street artist, ce n’est pas son monde. « Le street artist, c’est quelqu’un qui utilise la rue pour mettre son travail en avant. Alors que le graffiti artist travaille dans la rue, même si son travail est éventuellement mis en avant dans une galerie. Le street artist fait des trucs dans son atelier, en pose deux ou trois dans la rue, pour faire un FlickR, un Instagram, un Facebook…. Il faut qu’il soit dans la rue, parce que ça marche. Mais derrière eux, il n’y a pas l’histoire de la rue. Le dépôt de train, être sur un banc, manger dehors, être dehors, c’est ça le graffiti. Ce que je fais ici, c’est un autre travail, ce n’est pas du graffiti. »
L’expo Magic & Destroy se tient à la galerie Wallworks jusqu’au 27 juillet. Extincteur, pince monseigneur, banquette de métro, évier, aile de voiture, grenade, tête de mort, il détourne ces objets qu’on connaît bien. Et les couvre de ses couleurs flashys, ses coulures et ses lettres tout en swing, les bubble Letters. « Dans le graffiti, tu remplis l’extincteur de peinture et tu t’en sers pour faire un tag géant, qui coule beaucoup. La pince monseigneur, je me souviens d’un pote qui l’utilisait pour casser les grillages et entrer dans les dépôts de train. Pour la grenade ou la tête de mort, j’aime l’idée que les gens connaissent ce qu’ils voient mais ne le comprennent pas. Toutes ces lettres ont un sens mais uniquement pour moi » explique-t-il, volubile et expansif. Un peu prof aussi : « A-t-on besoin de comprendre l’art pour l’apprécier ? » Promis, on y réfléchira.
La Bubble letter, une passion
Partout ses mêmes courbes, ses mêmes lettres dansantes, elles envahissent ses graffiti. Selon lui, elles ont envahi ses peintures à cause de son nom, Tilt. « Je l’ai choisi parce qu’un graffeur de Toulouse se faisait appeler Declic, je trouvais ça génial. Dans Tilt, on retrouvait l’esprit, mais c’est des lettres de merde, que des barres ! » Alors, au début des années 2000, il leur a donné une épaisseur ronde, chaleureuse. Il a abandonné le wildstyle, pour le bubble. « On ne m’a pas compris. ”Tilt, tu avais un style bien abouti et tu retournes à un basique du graffiti !” Mais moi, ça faisait 15 ans que je peignais, j’avais bien le droit de me faire plaisir avec la peinture et avec mon corps ! »
Les mentors new-yorkais
Les bubble letters, il ne les lâche plus. Elles l’excitent toujours autant. Tout comme le graffiti. Depuis 89 et les terrains vagues de Toulouse, il a toujours la même envie, la même passion.
« J’ai fait des tags horribles dans les caves, et j’ai aimé le geste. J’ai rencontré mon mentor qui m’a appris plein de choses. Et là, très vite, j’ai su que j’allais le faire toute ma vie. Et je le sens encore maintenant. Peindre des murs, voyager, j’adore. » Et c’est en 94, en débarquant à New-York qu’il s’est rendu compte qu’ils faisaient vraiment parti d’une culture, d’un monde, d’une famille. « Je le sentais mais en France, les old-school ne voulait pas graffer avec nous, parce qu’on était des p’tits jeunes de la 2ème ou 3ème génération du graffiti. » Et il en a des choses à dire sur la scène old school parisienne, des costards, il en taille ! Alors qu’à New York, les papas, comme il les appelle, Cope2, Ink 96… l’ont accueilli, l’ont emmené peindre dans le métro, dans le Bronx. « Ils m’ont fait réaliser que je n’étais pas là par hasard ».
Son passeport, sa masterpiece
Aujourd’hui, c’est lui qui fait le papa sur les trottoirs de Manille. « Le graffiti n’a que 10 ans là-bas. Je retrouve cette vibe, cette fraîcheur, et j’arrive en tant que papa, mais eux aussi me donnent énormément. Les gamins ne regardent pas les graffiti de la même manière, ils s’émerveillent encore. » S’il parvient à avoir un chez lui, à Toulouse, c’est grâce à ses voyages qui l’occupent plus de la moitié de l’année. Avoir la bougeotte c’est de famille, sa mère a fait le tour du monde en vélo et en moto. Son père, c’est un hippie qui vit en Ariège. C’est peut-être pour ça que Tilt n’a pas de portable…
Si Tilt regarde de loin les street artists, il a bien conscience de bénéficier d’un engouement récent, de pouvoir voyager grâce à la cote croissante du street art sur le marché de l’art. « Evidemment je profite de l’effet de mode. Je suis content de voyager, ma master piece, c’est mon passeport ! Mais n’y a plus d’sprit alternatif dans le graffiti, c’est devenu trendy. Mais moi en 89, je ne savais pas que c’était trendy ! »
Du graffiti, c’est tout
On le croit. Son truc, c’est le graffiti. Point. L’illégalité, la rue, la peinture. Tilt veut-il porter un message, des convictions ? On lui parle de la mort de Pavel 183, qui se disait activiste avec d’être street artist. « Pour moi, le graffiti, l’illégalité, c’est la liberté. Prendre des bombes tous les jours pour écrire dans la ville, s’opposer à la publicité, s’opposer à la signalétique. Dire : « je suis TILT et je veux exister à cet endroit, je n’ai pas envie de voir votre pub, de regarder votre télé ». C’est ça mon message. Et pour moi, cette liberté, c’est une forme d’activiste. Et je ne suis pas Philippin. Là, j’aurais sans doute, ressenti ce besoin. Mais en France non… »
Et alors que ces tempes blanchissent, mais qu’il porte toujours la casquette, Tilt se rend compte qu’il se renferme de plus en plus sur le graffiti. « Il m’a amené tellement de choses, en lui-même il est tellement fort. Je n’ai pas besoin d’en faire plus avec un message fort, le sexe, la politique. Moi, mon message c’est uniquement le graffiti. Je veux que les gens qui voient mes graffiti ne voient que mon amour pour lui. C’est ça mon histoire. Peindre des trains à NY, là je me sentais activiste, bien dans ma culture, bien dans mon univers. »
La photographie
Un univers qu’il continue de fouiller et d’explorer, qui lui souffle toujours de nouvelles idées. Après avoir mené le projet Bubble girls, un projet photographique : shooter une fille inconnue, graffée, dans une chambre d’hôtel, aux quatre coins du monde. Et taguer son nom sur un mur de la ville.
Aujourd’hui, il suit la même fille pendant 10 ans de ses 15 à ses 25 ans. Débuté voici 5 ans, le projet grandit avec la fille. Tilt la photographie tous les six mois. Avec un projet d‘édition en tête, comme pour les bubble girls. La photo, une discipline qui prend de l’importance dans son travail. « Maintenant je réfléchis mes graffiti par rapport à la photo. On fait ça depuis 2007 avec Mist. On cherche des « target » ». Ils peignent sur le sol la plupart du temps et prennent la photo du haut d’un immeuble.
Son matos : un vieil appareil photo « tout pourri » avec un flash qui crame. C’est un puriste, il veut conserver l’esprit de sa discipline. « Une bombe de peinture, ce n’est pas comme de l’aquarelle. Ce n’est pas fait pour être beau, c’est fait pour peindre une chaise. La photo c’est pareil. Pour moi, quand c’est trop propre, c’est tricher. J’aime le flash, j’aime le grain, j’aime les aspérités. »
Il aime aussi les barbes mal taillées et les cheveux en bataille. Peut-être qu’il devrait se raser avant la garde à vue…
> Tilt, Magic & Destroy, jusqu’au 27 juillet 2013 à la galerie Wallworks, 4, rue Martel, 75010 Paris.