Vêtue tel un cosmonaute, je m’avance d’un pas hésitant vers les édifices bourdonnants. L’endroit est pire qu’un couloir aérien : ça décolle, ça rentre, ça repart par centaines à la seconde. De quoi vous donner le tournis. Ou le bourdon. Quelque part au fin fond de ces méandres dorés, une reine régente le royaume. Armée d’un étrange encensoir et d’une sorte de pied de biche métallique, je viens lui dérober une partie de son palais… La tâche n’est pas aisée, mais après avoir repoussé tous les sujets volants, je repars, chargée de mon butin : plusieurs kilos de miel brut !
Avec ses milliers de kilomètres de terres agricoles et ses nombreuses fermes, l’Australie représente un immense terrain de jeu pour qui souhaite s’essayer au Wwoofing (comprendre "World wide opportunities on organic farms", soit quelques heures de travail quotidien en échange du gîte et du couvert). C’est donc avec mon plus beau sourire et une paire de bottes que j’ai emménagé pour trois semaines chez la famille Campbell dans leur exploitation, la Honeycomb Valley, à Nabiac en Nouvelle-Galle du Sud. Au programme : vaches, chèvres, lapins, hordes de poules affamées et surtout apiculture.
Comme l’impression de jouer du violoncelle
avec un long couteau cranté
Dès le premier jour, je suis allée prélever une partie de la ruche pour en extraire le miel. Ce palais en kit est constitué de plusieurs boîtes empilées contenant elles-mêmes des cadres de bois au sein desquels les abeilles construisent leurs galeries de cire. Il faut donc évacuer tout ce petit monde des boîtes que l’on souhaite délester de leur miel. Une fois l’opération terminée, on peut commencer le vrai travail.
Équipée d’un long couteau cranté, j’ai l’impression de jouer du violoncelle alors que de larges bandes de cire se détachent délicatement du cadre de bois. Avant de pouvoir récupérer l’élixir doré, je dois ouvrir chacune des alvéoles qui le renferment. Il me faut me montrer patiente et délicate car cela prend plusieurs mois de dur labeur aux abeilles pour construire ces structures de cire.
J’essaie donc de les abîmer le moins possible pour leur faciliter la tâche. Peu à peu, de lourdes gouttes de miel se mettent à couler paresseusement le long de mes doigts. Je place alors les cadres de bois dans une sorte de centrifugeuse métallique. D’un tour de bras (ou peut-être un peu plus), le précieux liquide est projeté sur les parois et coule au fond du cylindre.
Que faire avec la cire ? Une gamme de produits cosmétiques bio…
Vient alors le temps de la mise en pot. Peu à peu, des dizaines d’oursons malicieux s’alignent sur la table. Discrètement, je glisse un doigt sous le robinet magique et le porte à mes lèvres. Un régal. Le miel s’écoule, d’un doré clair et brillant. Il s’agit là probablement de miel de trèfle. Lorsque la source s’est tarie, j’étiquette chacun des bocaux qu’Anna, l’une de mes hôtes, ira vendre sur les marchés de la région. Je profite d’un copieux goûter à base de bon pain frais et du fruit de mon travail. Mais il reste encore beaucoup à faire.
En effet, à Honeycomb Valley, on ne gâche rien. Vous vous souvenez de la cire qui fermait hermétiquement les alvéoles ? On va s’en servir de la plus sympathique des manières. Après l’avoir lavée, séchée, fondue dans le four solaire et râpée en fins copeaux, ce précieux matériau va nous permettre de réaliser toute une gamme de produits cosmétiques complètement bio. Derrière les fourneaux, Anna mélange dans une casserole cire, huiles essentielles, beurre de cacao et autres merveilles naturelles.
Puis, d’un côté, je répartis une mixture délicieusement odorante dans de petits pots transparents, ce sont les baumes à lèvres, et de l’autre, je verse d’intrigants mélanges dans des tubes pour qu’ils durcissent, ce sont les divers sticks (antimoustiques et autres répulsifs, ainsi même qu’un onguent pour faciliter le sommeil).
Incroyables tous les bénéfices que peut apporter une ruche dans son jardin. Mais vous imaginez bien qu’Anna ne s’arrête pas là. En plus de jouer les apicultrices écolos, elle fabrique des savons parfumés avec du lait de chèvre et cuisine dans un four solaire ! Qui a dit que les fermiers n’étaient pas branchés ?
> Photos : Thierry Tournié.
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