En 2013, Nick Cave & The Bad Seeds enregistrent leur nouvel album Push the Sky Away devant la caméra de Jane Pollard et Iain Forsyth, deux cinéastes issus du monde de l’art contemporain venus immortaliser la naissance du nouvel opus. Au fil des sessions, ils ont l’idée de réaliser un documentaire qui suivrait le chanteur pendant toute une journée, sa 20 000ème passée sur Terre.
Situé exclusivement à Brighton, ville adoptive de l’artiste australien, ce documentaire mélangeant habilement fiction et réalité sera en fait filmé pendant près d’une année. Le résultat est un ovni lumineux qui fait voler en éclats le formatage habituel des documentaires musicaux pour mieux revenir à l’essentiel : la création.
Dans la cave de Nick
Pour beaucoup il est le type au look gothique qui chantait en 1996 avec la ravissante Kylie Minogue Where The Wild Roses Grow, un sombre duo enivrant devenu son titre le plus connu. Pour de nombreux autres, Nick Cave est une icône du rock dont les textes lyriques se marient à merveille avec ses compositions les plus sombres.
Auteur-compositeur, écrivain, scénariste et parfois même acteur, le chanteur multicarte s’impose naturellement comme un sujet idéal pour ce documentaire qui entremêle moments pris sur le vif et d’autres mis en scène. Quelque part dans ce no man’s land, zone limite entre réalité et fiction, Nick Cave se livre sur son parcours et sur les affres de la création.
Tout au long de cette journée fantasmée, le chanteur récite en voix off des extraits de ses carnets de notes, se confie à un psychiatre et dialogue avec des artistes qui ont marqué sa carrière lors de virées en voiture qui font le lien entre ses différents rendez-vous.
On croise ainsi sur les sièges de la Cave mobile, Blixa Bargeld, musicien qui a fait partie pendant 20 ans de son groupe The Bad Seeds, le bassiste Warren Ellis, fidèle compagnon de chanteur, l’acteur Ray Winstone et sa compatriote Kylie Minogue.
Ces échanges sur la célébrité, la création et le temps qui passe sont entrecoupées par des sessions d’enregistrement en studio du dernier album et des extraits de concerts stimulants. Entre anecdotes et confessions pudiques – l’artiste reste par exemple muet lorsqu’il s’agit d’évoquer face au psychiatre la mort de son père –, Nick Cave évoque ces 20 000 jours passés sur Terre avec un recul qui semble apaisé.
Joyau visuel
Audacieux dans sa forme, 20 000 jours sur Terre est dans la lignée de son lointain cousin Sympathy For The Devil (One + One) (1968) réalisé par Jean-Luc Godard, documentaire dévoilant la création en studio du mythique morceau des Rolling Stones. Monté avec beaucoup d’intelligence, le film fusionne images du passé et du présent pour former ce jour fictif qui semble à la fois réel et digne d’un rêve éveillé.
En trichant sur la temporalité et l’instantanéité, les deux cinéastes prennent soin de nous offrir des images sublimes, un parti pris esthétique plutôt rare dans le domaine du documentaire musical. Filmés avec la grâce et la fougue qu’inspirent les titres de Nick Cave, les enregistrements live présents dans le film sont de véritables tours de force, éblouissants.
Alliant intelligence du propos, montage brillant et plastique captivante, 20 000 jours sur Terre place la barre très très haute pour les documentaires musicaux à venir. Cette invitation à vivre une journée dans la peau de Nick Cave – aussi fantasmagorique qu’elle soit – ne se refuse pas.
> 20 000 jours sur Terre (20,000 Days on Earth), réalisé par Iain Forsyth et Jane Pollard, Royaume-Uni, 2014 (1h37)