« A Real Pain », un road movie juste et sincère

« A Real Pain », un road movie juste et sincère

« A Real Pain », un road movie juste et sincère

« A Real Pain », un road movie juste et sincère

Au cinéma le 26 février 2025

David et Benji, deux cousins que tout oppose, se retrouvent à l'occasion d'un voyage en Pologne pour honorer la mémoire de leur grand-mère bien-aimée. Leur odyssée prend une tournure inattendue lorsque de vieilles tensions refont surface. Avec A Real Pain, Jesse Eisenberg signe un film à la fois intime et universel. Porté par un casting brillant, ce road trip entre humour et émotion propose une réflexion subtile sur le deuil, la transmission des traumas et la santé mentale.

Réunis pour un voyage en Pologne en hommage à leur grand-mère qui vient de décéder, David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin) Kaplan ont des caractères diamétralement opposés. Dès leurs retrouvailles à l’aéroport, les tensions sous-jacentes entre ces deux cousins qui se sont perdus de vue sont palpables. Des désaccords qui vont prendre de l’ampleur pendant leur virée mémorielle avec, en toile de fond, l’histoire de leur famille.

A Real Pain © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

Le voyage de mémoire

Film profondément personnel, A Real Pain s’inspire de l’histoire familiale de Jesse Eisenberg. Lors d’un voyage en Pologne, le comédien cinéaste découvre la maison où sa tante vivait avant que la Shoah ne bouleverse leur destin. Cette prise de conscience de l’histoire familiale a semé les premières graines du film, bien que le réalisateur ait déjà exploré ce sujet en 2013 avec sa pièce The Revisionist.

Au cœur du récit, David et Benji, deux cousins juifs américains autrefois très proches, notamment grâce à leur grand-mère. Le dernier vœu de celle-ci les réunit pour un voyage d’une semaine en Pologne avec pour objectif de visiter son ancienne maison. À cette occasion, les deux cousins s’appuient sur les services d’un voyagiste et rejoignent un groupe assez éclectique : un couple juif sexagénaire, une femme fraîchement divorcée cherchant à redonner du sens à sa vie, et un survivant du génocide rwandais ayant trouvé refuge dans la religion juive. Tous sont guidés par James, un historien passionné mais parfois maladroit, qui tente de rendre justice à la complexité de la mémoire de l’Holocauste.

A Real Pain © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

Casting en or

Chaque personnage est finement écrit et porté par un casting remarquable. Kieran Culkin, en particulier, rayonne dans le rôle de Benji. Un personnage charismatique et tourmenté qui lui vaut une nomination aux Oscars en tant que Meilleur second rôle après avoir remporté un BAFTA et un Golden Globe dans cette même catégorie. Face à lui, Jesse Eisenberg, plus en retrait, joue avec subtilité un homme en quête de sens. Will Sharpe (aperçu notamment dans The White Lotus 2022-) apporte douceur et bienveillance à son rôle de guide.

Jennifer Grey que l’on retrouve avec pointe de nostalgie, impressionne par sa justesse, tandis que Kurt Egyiawan, dans le rôle d’Eloge le rescapé rwandais, apporte une profondeur supplémentaire en offrant un regard extérieur sur la mémoire juive. Liza Sadovy et Daniel Oreskes complètent ce casting impeccable en incarnant un couple oscillant entre humour et gravité.

A Real Pain © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

Lieux douloureux

A Real Pain nous entraîne sur les sites historiques marquants de la Pologne, avec un moment particulièrement marquant : la visite du camp de Majdanek. Eisenberg choisit pour cette séquence une mise en scène épurée, sans emphase dramatique, faisant la part belle au silence et aux émotions brutes des personnages. Il pose ainsi une question essentielle : ces voyages de mémoire doivent-ils se contenter de relater des faits historiques ou doivent-ils aussi être l’occasion de partager avec les locaux, ancrés dans la vie actuelle ?

Dans A Real Pain, le rire et les émotions s’entremêlent habilement. Comédie légère qui réunit deux cousins mal assortis essayant de se reconnecter, le film porte aussi un regard profondément émouvant sur l’héritage familial et la transmission de la mémoire. De l’aveu de Jesse Eisenberg, chacun perçoit cette dualité différemment, selon son propre bagage émotionnel et sa propre histoire.

A Real Pain © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

Histoires familiales

Que l’on soit époux, divorcé, cousin ou célibataire, chacun porte en lui l’histoire de sa famille, avec son lot de blessures et de non-dits. Ce voyage en Pologne est un prétexte pour confronter ces héritages, assumés ou enfouis. Une question sous-jacente traverse le film : qui serions-nous si nos familles n’avaient pas été contraintes à l’exil ? Le passé des générations précédentes influence-t-il nos trajectoires ? Ici le poids de l’Histoire ne se limite pas à une mémoire collective, il s’infiltre dans l’intime et façonne les relations et les identités.

David et Benji en sont l’exemple parfait. Autrefois inséparables, réunis par leur grand-mère, ils ont grandi et évolué différemment. David, réservé et posé, cherche à honorer la mémoire de leur ancêtre avec sérieux. Exubérant et insaisissable, Benji est presque dérangeant dans sa manière de briser les silences. Leur relation est marquée par une tendresse évidente, mais aussi par des incompréhensions qui créé le malaise.

A Real Pain © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

Mais A Real Pain ne se limite pas à ce duo improbable, chaque personnage porte en lui une quête liée à son histoire familiale. Le couple sexagénaire, avec ses disputes teintées d’ironie, interroge le poids du passé dans une relation de longue durée. La femme fraîchement divorcée semble vouloir redonner du sens à sa vie, comme si revisiter l’Histoire pouvait l’aider à reconstruire la sienne. Eloge offre un regard décalé poignant : issu d’une autre tragédie, il partage cette interrogation universelle sur la transmission de la douleur et la résilience.

À travers ces trajectoires croisées, Jesse Eisenberg explore avec subtilité ce qui nous lie à notre famille, même lorsque les différences semblent infranchissables. Il montre que le passé est parfois un fardeau dont on hérite sans toujours en comprendre le poids, et que la mémoire peut être à la fois un ciment et une fracture. Ce voyage, sous couvert d’un pèlerinage historique, devient en réalité une exploration des liens familiaux, entre regrets, tensions et tentatives de réparation.

A Real Pain © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

La santé mentale : entre douleur et sincérité

Si A Real Pain aborde la mémoire et la famille, il explore aussi, en filigrane, la question de la santé mentale. À la fois attachant et gênant, Benji est le cœur vibrant du film. Dès le début, il fascine par son humour mordant et son énergie débordante. Mais très vite, son comportement déroute. Franc-parler brutal, comportements impulsifs, hypersensibilité à fleur de peau : Benji met mal à l’aise autant qu’il touche en plein cœur. Il ose dire tout haut ce que les autres taisent, sans filtre, quitte à briser l’équilibre du groupe.

Sous ses airs exubérants, se cache pourtant une douleur profonde. Son instabilité émotionnelle trahit un mal-être que ni lui ni son entourage ne savent gérer. À travers Benji, Jesse Eisenberg esquisse le portrait de ces personnes qui, derrière l’humour ou l’excentricité, masquent une réelle souffrance. Un personnage qui agace parfois, mais qui bouleverse surtout pour son humanité à vif

A Real Pain ne cherche jamais à diagnostiquer ce personnage ni à l’enfermer dans une case. Il nous invite plutôt à nous interroger sur notre propre rapport à ces êtres « trop » : trop sensibles, trop bruyants, trop à part. Comme le souligne Eisenberg, nous avons tous un Benji dans notre entourage – quelqu’un dont la douleur est palpable, mais dont la complexité nous échappe. Avec une justesse remarquable résumée dans le dernier plan du film, A Real Pain rappelle que la santé mentale est une lutte silencieuse, souvent incomprise.

A Real Pain © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

Entre road movie décalé et récit introspectif, A Real Pain tisse une histoire intime et universelle, portée par une mise en scène soignée et une écriture d’une grande finesse. D’une rare sincérité, le film de Jesse Eisenberg évoque la mémoire, la famille et la douleur avec une justesse rare, sans jamais tomber dans le pathos. Une œuvre qui interroge, touche et laisse une empreinte indélébile, comme un souvenir que l’on porte en soi, longtemps après avoir quitté la salle.

> A Real Pain réalisé par Jesse Eisenberg, États-Unis – Pologne, 2024 (1h29)

A Real Pain

Date de sortie
26 février 2025
Durée
1h29
Réalisé par
Jesse Eisenberg
Avec
Jesse Eisenberg, Kieran Culkin, Will Sharpe, Jennifer Grey, Kurt Egyiawan, Liza Sadovy, Daniel Oreskes
Pays
États-Unis - Pologne