"Achetez-le ou allez vous faire foutre !"
Pas de temps à perdre avec le marketing bien léché. Barbouillée de sauce punk et assaisonnée d'un bon brin de provocation, la communication de AAARG! ne s'embarrasse ni de bon goût ni de bienséance. En revendiquant bien haut son indépendance, la revue bimestrielle déclare être un produit sans équivalent dans la production actuelle. Avec raison sans doute. Après des débuts prometteurs sur le site de financement participatif Ulule et un budget de 5000 euros atteint en seulement trois jours en juillet dernier, le résultat vaut le coup. Composée à 80% de bandes dessinées et à 20% de textes, AAARG! fait d'abord le pari d'un bel objet. Les 160 pages et le grand format attirent rapidement l'attention, mais c'est sans conteste la (très belle) couverture de la revue qui finit d'enfoncer le clou et de marquer avec les aînés une différence notable de positionnement.
Et dedans alors ?
L'extérieur est alléchant. L'intérieur, c'est fatal, est plus inégal. C'est le prix de l'éclectisme dont AAARG! se veut un fer de lance. Il n'y a pas de genre dominant dans les différentes nouvelles, qui caressent l'humour, le polar, la science-fiction ou le récit intimiste… Une petite constante malgré tout dans la mise en scène du sordide, autour duquel beaucoup d'auteurs ici semblent construire leur univers. Selon l'humeur, on trouvera les strips de Paf et Hencule, fil rouge de ce pilote, désopilants ou franchement glauques.
Et c'est valable avec une bonne partie de la production bande dessinée de la revue. Talentueux, sans aucun doute, les auteurs le sont aussi et surtout pour broder en quelques cases une atmosphère de gêne, tour à tour grinçante, pénible ou bizarrement plaisante. On sourit, mais on a honte. Un goût du trash qui ne sera assurément pas celui de tout le monde.
Au bout du phylactère
On recommandera certainement AAARG! aux amateurs de bandes dessinées qui repéreront sans nul doute ici les Trondheim, Larcenet ou Vivès de demain. Les autres passeront probablement rapidement leur chemin, peut-être après avoir lu les excellents entretiens avec les graphistes interviewés ici ou jeté un oeil aux quelques nouvelles (sans image !) qui parsèment également le volume. Le rédacteur en chef, Pierrick Starsky (un pseudo paraît-il), déplore une "culture qui doit absolument rentrer dans des cases, être classée, hiérarchisée, et finalement bridée". En tentant un objet qui revendique à ce point le contraire, il a conçu un livre éminemment biscornu qui trouvera fatalement sa place dans peu d'étagères. La vôtre peut-être ?
> Aaarg!, octobre 2013, 14,90 euros.