« After my death », la Corée du Suicide

« After my death », la Corée du Suicide

« After my death », la Corée du Suicide

« After my death », la Corée du Suicide

Au cinéma le 21 novembre 2018

La disparition soudaine d'une élève d'un lycée pour jeunes filles sème la confusion au sein de l'école. Alors que la thèse du suicide est privilégiée, Young-hee, l'une de ses camarades suspectée d'être mêlée à sa mort, subit des persécutions de toutes parts. Premier film sous tension, After my death plonge le spectateur au sein du cauchemar sud-coréen où l'excellence se paie au prix du sang.

La disparition de Kyung-min (Jeon So-nee) provoque le chaos dans le lycée pour jeunes filles où elle étudiait. Sans piste probante ni corps retrouvé, la thèse du suicide est privilégiée. Le choc passé, famille de la victime, enseignants et élèves cherchent à se dégager de toute responsabilité. Dans cette vague d’hypocrisie générale, Young-hee (Jeon Yeo-bin), amie proche de Kyung-min et la dernière à l’avoir vue vivante, focalise tous les ressentiments.

Suspectée par tout le monde, à commencer par la mère de la victime (Seo Young-hwa), la jeune fille devient le bouc-émissaire idéal. Elle va tenter d’échapper à ces attaques à n’importe quel prix, tout en préservant le secret qui la lie avec la disparue.

After my death © Capricci films

Pistes labyrinthiques

Premier long métrage de Kim Ui-Seok, After my death débute comme un film policier avec de maigres indices : la disparition mystérieuse d’une lycéenne, quelques effets personnels retrouvés dans une rivière et un enregistrement d’une caméra de surveillance sur lequel on devine la victime embrasser son amie Young-hee sous un pont avant de ne plus réapparaître. Comme dans tout bon thriller, un enquêteur (Yoo Jae-myuong) tente de découvrir la vérité mais le film se détache lentement mais sûrement de son investigation laborieuse pour se concentrer sur les réactions de la petite communauté scolaire en ébullition depuis la disparition.

L’attention du spectateur se concentre alors sur Young-hee, jeune fille énigmatique suspectée d’entretenir des liens plus qu’amicaux avec la victime. La lycéenne devient la cible de la mère de la victime et de ses camarades qui la soupçonnent d’être responsable de la mort de Kyung-min. Au risque de perdre un peu le spectateur, le réalisateur délaisse l’enquête pure et n’offre que des pistes sur la raison du suicide de la jeune fille pour mieux se focaliser sur le vrai thème du film : la pression invisible mais constante qui règne sur la société sud-coréenne et l’hypocrisie de tous face au phénomène.

After my death © Capricci films

La faute de personne

En faisant de Young-hee une victime collatérale du suicide de son amie, After my death dénonce des responsables incapables de faire face à la situation. Alors que l’enquête piétine, l’encadrement scolaire ne pense qu’à se protéger des répercussions pour l’image de l’établissement, sans être capable de protéger ses propres élèves. Cette démission des adultes et de l’institution donne au film son climat malsain où les élèves se liguent contre Young-hee, abandonnée à son sort. Pesant, le film de Kim Ui-Seok est perturbant car il n’offre que peu de répit, sur le fil entre violence psychologique rentrée et effusions brutales. Il ne répond pas au schéma classique du thriller ou la vérité doit se dévoiler en fin de compte.

Plus que la raison qui a poussé Kyung-min à mettre fin à ses jours, c’est la réaction des survivants qui intéresse le cinéaste : leur hypocrisie, leur faiblesse et ce sentiment de culpabilité non assumé qui les pousse à rejeter la faute sur un bouc-émissaire sans jamais interroger la responsabilité collective. Personnage ambivalent qui devient mutique, Young-hee entretient parfaitement le secret autour de la mort de sa camarade — même si la réalité est bien différente des fantasmes de ses détracteurs — mais le vrai sujet du film dépasse le cas particulier du suicide d’une lycéenne : c’est la société sud-coréenne examinée à travers ses cruels dysfonctionnements qui est la cible de réalisateur.

After my death © Capricci films

Mort intime

Kim Ui-Seok s’attaque à un sujet qui le touche particulièrement car la disparition évoquée dans After my death est la transposition de celle d’un de ses meilleurs amis. Après ses affaires retrouvées sur le pont de la rivière Han, le corps de cet ami très proche fut découvert un mois après. De cette expérience douloureuse, le cinéaste a souhaité en faire un film qui a failli ne jamais exister par manque d’intérêt. En Corée du Sud le suicide est tellement banal que le sujet semblait insignifiant aux producteurs éventuels.

C’est cette indifférence face à ce drame pourtant très répandu qui donne à son film cet aspect si dur, à l’image d’une société sud-coréenne qui se cache les yeux pour ne pas voir la réalité en face. Si la raison précise du suicide de la lycéenne reste assez floue c’est qu’elle incarne toutes ces personnes qui se sont suicidées en Corée du Sud et celles à venir car rien ne semble vouloir bouger. En dépassant son expérience personnelle, Kim Ui-Seok dresse un portrait glaçant d’une société visant l’excellence sans se soucier du prix à payer pour y parvenir.

After my death © Capricci films

Réussis ou crève

Le mot Corée évoque souvent pour les occidentaux un dictateur joufflu jouant nerveusement avec des armes nucléaires tandis qu’un autre excité à la chevelure dorée — pas plus équilibré psychologiquement — le menace depuis l’autre côté de l’Océan Pacifique. Face au spectre d’une catastrophe nucléaire — voire d’une troisième guerre mondiale pour les plus pessimistes —, la Corée du Sud fait plus rarement l’actualité en occident. Et pourtant, la voisine de la turbulente Corée du Nord cache derrière ses performances remarquables une triste réalité.

Le suicide de Kim Jong-hyun, jeune star de la K-pop sud-coréenne, en décembre 2017 symbolise le malaise d’une grande partie de la jeunesse du pays. Cette société étouffante très hiérarchisée et ultra compétitive qui broie les individualités est le réel sujet du film. Le suicide — jasal en version originale — ne surprend plus en Corée du Sud, il fait partie du quotidien. Les chiffres sont terrifiants : selon l’Organisation mondiale de la santé, le pays du Matin clair a un taux de suicide parmi les plus élevés — 25,6 suicides pour 100 000 habitants — soit plus de deux fois la moyenne mondiale estimée à 12,2 pour 100 000.

After my death © Capricci films

Le pont des soupirs

L’ami du réalisateur, Kim Jong-hyun, ou encore Kyung-min dans le film… chaque jour, 36 coréens décident d’en finir avec la vie. Après les personnes âgées, les adolescents et les jeunes sont les plus touchés par le phénomène, parfois même dès l’école primaire. Pour tenter d’enrayer le phénomène, le pays surveille particulièrement les lieux de suicide. Ainsi à Séoul, le pont Mapo Daegyo d’où se suicident de nombreux habitants de la ville, a été rebaptisé « le pont de la vie ». À chaque passage des capteurs s’allument et des messages tels que « le ciel est bleu » ou « le vent est doux » ainsi que des bruits et des odeurs censés évoquer l’enfance ou le bonheur sont diffusés dans l’espoir de faire changer d’avis les désespérés.

De simples pansements sur une plaie profonde qui pourraient porter à sourire si le sujet n’était pas si dramatique. À l’image des responsables du lycée dans le film, le pays semble incapable d’affronter le problème en face. Avec ses élèves pris en tenailles entre un système éducatif très rigoureux voire violent et les espoirs familiaux qui mettent une pression énorme, le malaise de la jeunesse sud-coréenne ne semble pas avoir d’échappatoire. En attendant les universités du pays ont des résultats extraordinaires dans les classements internationaux masquant, vu de l’extérieur, un taux de dépression et de suicide effarant.

After my death © Capricci films

Drame psychologique sous couvert d’enquête policière, le premier film de Kim Ui-Seok est aussi rude et déconcertant que son sujet : le suicide banalisé dans la société sud-coréenne. En refusant de donner les clés de la disparition de la lycéenne, After my death oblige à contempler en face une réalité dérangeante : une réussite collective indéniable qui se nourrit du désespoir d’une jeunesse anonymisée.

> After my death (Choe manheun sonyeo), réalisé par Kim Ui-Seok, Corée du Sud, 2017 (2h11)

Affiche du film "After my death (Choe manheun sonyeo)"

After my death (Choe manheun sonyeo)

Date de sortie
21 novembre 2018
Durée
2h11
Réalisé par
Kim Ui-Seok
Avec
Jeon Yei-bin, Seo Young-hwa, Jeon So-nee, Ko Won-hee, Yoo Jae-myuong
Pays
Corée du Sud