Il y a moins d’un mois, j’apprenais que l’Islande était sortie de la récession. Bien évidemment, les effets économiques d’un tel retournement sont pour l’instant imperceptibles. J’ai donc changé de focale en interrogeant un jeune Islandais, originaire de Reykjavik pour qu’il livre ses impressions, ses doutes et ses attentes quant au futur immédiat de sa ville.
Bilan de l’année 2010 avec Hafsteinn Tomas Sverrisson, 24 ans, barista à Reykjavik.
« Selon moi, trouver un job à Reykjavik n’est pas difficile. Malgré la crise, notre génération parvient à accéder au marché du travail. Ce qui a changé, c’est que ceux qui n’avaient qu’un emploi, même à faible rémunération, pouvaient se permettre de bien vivre. Depuis, certains cumulent deux ou trois petits boulots dans l’espoir de retrouver leur situation d’avant 2007. Une période pendant laquelle avoir du travail, un appartement, une voiture, une télévision, le câble et boire (beaucoup !) semblait tout naturel et que s’acquitter de dettes astronomiques ne renvoyait qu’à un futur très lointain et réglé d’avance. Aujourd’hui, les gens revendent leurs voitures, incapables de payer l’assurance ou de rembourser les prêts accordés par les banques. C’est un cercle vicieux : on travaille bien plus et de fait, on dispose de moins de temps libre pour profiter de l’argent que l’on a gagné.
Je travaille pour une chaîne de cafés islandaise : une société fondée et dirigée par une femme et qui, à mon sens, a su s’imposer en leader sur le marché national. Avant la crise, l’ambiance était très bon enfant, presque désinvolte : l’économie était florissante et la clientèle réceptive. Nous avons dû changer de mode de fonctionnement et de gestion : faire preuve d’une méticulosité accrue sur le réapprovisionnement des stocks, la quantité de café achetée, repenser la moindre dépense. Néanmoins, cela nous a permis d’envisager d’autres façons de pratiquer notre métier. Par exemple, apprendre à arrêter de gaspiller, passer au label green et utiliser des produits recyclés ; toutes ces petites choses qui ont contribué à faire passer la pilule en douceur.
J’irais jusqu’à dire que la crise a été une bonne chose pour notre branche. Elle a été comme un déclencheur pour notre société. L’équilibre revient lentement. Mes collègues et moi-même sommes plus à l’écoute de la clientèle et fiers, en un sens, de participer, tous ensemble et à notre échelle, à la reconstruction économique de l’île. Même si certains clients s’étonnent parfois de la hausse des prix, provenant directement de la hausse des coûts d’importation, ils continuent de venir dans nos cafés, preuve, malgré tout, que ce changement de direction aura été bénéfique. C’est pour moi, l’exemple concret de ce à quoi fait référence Halla Tomasdottir [fn]En 2007, un an avant la crise, Halla Tomasdottir a lancé Audur Capital, un fonds d’investissement fondé sur des valeurs féminines.[/fn] dans l’un de ses discours : il s’agit, pour les sociétés islandaises, d’instiller un lien affectif, sentimental entre clients et personnel, un lien presque maternel entre eux et nous.
« Je crains que mon île ne sorte pas de sa crise d’adolescence »
Je pense à deux des effets de la crise : d’un côté, beaucoup de boutiques et de cafés ont dû fermer, faute de clients et de bénéfices. De l’autre, de nombreux espaces dédiés à la créativité, au stylisme, à la recherche de produits moins chers mais tout aussi fonctionnels et originaux ont vu le jour. Le système D, appliqué à la vie citadine. Par ailleurs, la crise aura fourni aux Islandais l’occasion d’une prise de conscience générale quant à leurs aspirations, une réévaluation de leurs valeurs et de leur rapport à l’argent, un rapprochement au sein des familles, l’apparition de creative industries [fn]L’expression "industries créatives" englobe les industries culturelles et les activités de production culturelle ou artistique. C’est-à-dire des secteurs comme l’architecture, la photographie, la musique, le cinéma, le spectacle vivant, le design, l’artisanat d’art, etc.[/fn] et par la même, un renouvellement interne de la vie islandaise. Nous avons dû nous rendre compte que l’Islande était pareille aux autres pays, elle, la belle petite Islande, était devenue comme tout le monde. Nous avons voté il y a un peu plus d’un mois pour élire une assemblée de citoyens dont le but est de proposer des ajustements dans la Constitution. Les deux mots qui sont revenus le plus souvent étaient « honnêteté » et « pragmatisme ». Et même si seulement 40% des inscrits sont allés voter, j’ai bon espoir, car je sais qu’ils pensent comme moi et veulent changer drastiquement notre style de vie actuel.
J’ai parfois peur que la corruption revienne. Notre nation est assez léthargique, nous n’avons pas de veine révolutionnaire. La crise a pour nous été comme une immense claque : notre génération a de la chance de vivre cette expérience. Je crains que certaines personnes n’aient envie que l’Islande redevienne cette Amérique en miniature, et que les jeunes de mon âge continuent de travailler uniquement pour s’acheter des voitures ou des chaussures hors de prix, que l’île ne sorte pas de sa crise d’adolescence. Que l’on revienne au temps des trois ou quatre télévisions par foyer, des deux ou trois voitures par famille. Certains Islandais, heureusement, ont des solutions à proposer, des solutions concrètes et applicables partout et par tous. Sindri Magnusson en est un bon exemple.
J’espère simplement que l’Islande, pour les années à venir, sera capable de se regarder en face et de comprendre ce qu’elle vaut à l’échelle mondiale. De comprendre que c’est par sa culture, sa créativité, son héritage culturel, ses orateurs et son sens de la solidarité qu’elle retrouvera sa place dans le monde et sa confiance en soi. Qu’elle développe l’énergie renouvelable, le tourisme et les creative industries et qu’elle retrouve son plein équilibre. « A place for people and not for money. » »