Après un long trajet sur les pistes chaotiques en terre battue, nous quittons la végétation luxuriante et la chaleur humide de la côte atlantique pour rejoindre l’Atacora. Cette chaîne de montagnes qui s’étend du Bénin au Ghana, en passant par le Togo, nous révèle alors ses splendeurs. Nous pénétrons, en effet, dans un tout autre environnement composé de reliefs accidentés, sous une chaleur écrasante. Au cœur de l’Atacora, nous installons notre bivouac au Bénin, dans le village de Koussoucoingou, au pays des Otanmari, chez la famille N’Dah. Timothé, l’un des fils, nous guide dans ce labyrinthe de brousse où nous découvrons non seulement de magnifiques paysages mais surtout une population chaleureuse qui habite de curieuses maisons : les Tata Somba (1), des maisons traditionnelles à étage.
Une terre, des peuples
Bien avant la colonisation de cette région par les Français (au Bénin et au Togo), de nombreux peuples y ont élu domicile dans le but d’échapper à la soumission des puissances conquérantes et aux pillards. L’Atacora s’avérait être un lieu protecteur car inaccessible et pourvu de la richesse essentielle en Afrique : la présence inépuisable de l’eau. Les Otanmari, les Wama, les Ossori, les Tayaba ou encore les Otchaou ont élu domicile dans l’Atacora béninois. Cependant, par-delà les montagnes, d’autres ethnies telles les Berba ou les Niendé ont édifié leurs villages.
Malgré leurs différences, ces peuples ont donc appris à vivre en paix les uns à coté des autres, dans le respect des traditions de chacun. Contrairement aux ethnies des plateaux, ces peuples n’ont pas de roi, donc pas de protecteur. Pour parer à un éventuel danger, ils érigent alors des maisons aux allures de forteresses. Au-delà d’une architecture qui n’est pas sans rappeler celle de nos châteaux forts, les Tata Somba doivent accueillir une famille, ou devrais-je dire des familles ! Là encore, la notion de famille en Afrique est loin de notre modèle européen. Notre famille dite « nucléaire » prend en compte, chez eux, les grands-parents jusqu’aux petits enfants. Quand il n’y a qu’une seule épouse ! N’oublions pas que la polygamie est de rigueur et que plusieurs épouses peuvent vivre sous le même toit. Pas toujours simple !
Leur habitat
Les premiers concepteurs de ces Tata (qui signifie « mur d’enceinte ») ont, bien évidemment, utilisé les matériaux offerts par la nature, à savoir la terre pour les murs et la paille pour les toits. Toute la communauté, les hommes, les femmes et les enfants participaient à leurs constructions et cette tradition n’a pas changé au cours des siècles. Le Tata des Otanmari se compose d’un grand mur d’enceinte tout en courbe d’une hauteur d’environ 5 mètres. Il entoure l’espace fermé du rez-de-chaussée et sert de garde-corps à la terrasse du premier étage. Une porte unique donne accès à l’ensemble. Le premier espace abrite la pierre meulière et le mortier, creusé dans le sol pour piler l’igname. On accède ensuite à l’espace où dort le bétail. Le troisième espace sert de cuisine fermée pour les mois de pluie, et d’accès à la première terrasse. La terrasse principale est entourée en périphérie par les greniers qui sont édifiés avec la terre des termitières -de meilleure qualité- pour la conservation des vivres. Les trois chambres, de forme ronde, sont édifiées de manière à libérer l’espace central pour le foyer (le feu).
Chaque ethnie procède cependant à des variantes constructives : on accède dans le Tata Berba et le Tata Ossori par une échelle taillée dans un tronc d’arbre ; le nombre de chambres et de greniers varie, tout comme les compartiments au rez-de-chaussée. Les nouvelles générations simplifient également sa construction en l’érigeant de plain-pied.
Alors que le soleil est écrasant, une agréable fraîcheur règne dans ces maisons et nous comprenons alors toutes les qualités thermiques de la terre. Afin de constituer ces murs épais, les habitants forment des boules de terres qu’ils superposent par couche. Après un temps de séchage, assez rapide quand on atteint des températures de 40°C, ils recommencent l’opération jusqu’à l’édification complète du Tata. Malheureusement, à chaque période de pluie, des parties de la maisons se fragilisent jusqu’à l’écroulement : alors on renforce, on reconstruit, tous ensemble !
Des décorations à l’argile… ou en bouse de vache
Les Tata servent non seulement d’habitat mais également de carte d’identité à ces ethnies. Les femmes se chargent de les décorer, elles réalisent sur les murs extérieurs des lignes à l’aide d’un badigeon d’argile ou de bouse de vache. Ces dessins sont identiques aux scarifications faites sur le visage dès le plus jeune âge. Elles leur servent également de carte d’identité lorsqu’ils changent de territoire. Chaque ethnie possède sa « marque ». Sur un continent où la coutume et la mémoire des anciens prévalent sur les écrits, ces Tata Somba, construits dans la tradition, permettent de conserver intacte une part de l’histoire passée de ces peuples. Les Tata Somba édifiés au milieu des baobabs géants donnent du caractère à ces villages, souvent très pauvres. Cette architecture, les visages souriants des autochtones mêlés à la horde des enfants qui nous suivent jusqu’aux limites de leur village nous inspirent respect et ravissement.
Après des kilomètres parcourus à pied dans la brousse, nous avons pu appréhender leur notion du temps si différente de la nôtre. En Afrique, il faut en effet prendre son temps ! Et c’est adossés à un manguier géant, face à ce paysage sorti de terre, que nous contemplons une infime partie des trésors de l’Afrique. Une unique envie nous taraude : y revenir au plus vite !
> Article initialement publié le 14 avril 2011.
(1) Somba est le nom générique retenu par l’administration coloniale pour désigner un ensemble de groupes socioculturels vivant dans la montagne et le piémont occidental de l’Atacora (définition de l’association Vidome).