Novembre 1919. Albert Maillard (Albert Dupontel) et Edouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), deux soldats devenus amis dans les tranchées, mettent en place une petite entreprise aussi illégale que risquée. Défiguré par une explosion, Edouard s’est fait passer pour mort avec l’aide de son ami et se cache depuis la fin du conflit derrière des masques.
Dessinateur de génie, le jeune homme réalise des croquis de monuments aux morts tandis que son ami Albert, modeste comptable, les réunit dans un magazine pour vendre ses créations. Mais ce que les acheteurs ignorent c’est que les deux amis comptent bien s’enfuir avec l’argent sans jamais livrer les sculptures. Un plan audacieux qui va s’avérer très enrichissant mais particulièrement risqué.
Adapter Lemaitre
Pour sa première adaptation littéraire, Albert Dupontel a jeté son dévolu sur le roman de Pierre Lemaitre, auteur de livres policiers qui décrocha avec Au revoir là-haut le prix Goncourt en 2013. Remanié pour le grand écran avec la bénédiction de l’auteur, le roman à succès à l’intrigue foisonnante a subi lors du passage sur grand écran de multiples modifications : scènes ajoutées ou supprimées et notamment une fin alternative qui s’éloigne de la conclusion du livre.
Si la transposition sur grand écran est aussi réussie, on le doit notamment à Pierre Lemaitre qui a laissé une totale liberté au cinéaste, lui permettant de s’approprier l’œuvre afin de proposer une relecture personnelle qui diffère du modèle qui l’a inspiré mais sans la trahir sur le fond. Albert Dupontel gagne le pari difficile de l’adaptation tout en réussissant son film le plus ambitieux avec un travail particulièrement impressionnant sur les effets spéciaux et la reconstitution des années folles d’après guerre. Perfectionniste, le réalisateur est même allé jusqu’à désaturer les couleurs du film au tournage pour les recoloriser par la suite, plan par plan, et en ajoutant un grain numérique artificiel aux images pour donner l’impression qu’il a été filmé sur pellicule.
Pour donner vie à l’écran au soldat Maillard, Albert Dupontel a dû se résoudre à endosser le costume lui-même lorsque l’acteur pressenti pour le rôle a finalement décidé de renoncer à quelques mois du tournage pour cause de surmenage. Un aléa qui n’a au final pas de conséquence sur le film puisque le réalisateur est parfait dans le rôle de ce soldat chamboulé par ce qu’il a vécu dans les tranchées.
Niveau casting, Dupontel confirme qu’il sait décidément bien s’entourer. En confiant le rôle du soldat défiguré Edouard Péricourt à Nahuel Pérez Biscayart — déjà impressionnant dans le récent 120 battements par minute [lire notre chronique] — Albert Dupontel a du flair.
L’acteur argentin donne vie à ce personnage touchant, cassé dans tous les sens du terme, et trouve une voie pour s’exprimer avec une expressivité remarquable alors que son visage est caché derrière des masques. Laurent Lafitte est quant à lui délicieusement haïssable dans la peau du lieutenant Pradelle.
Loin d’être exemplaire sur le champ de bataille et autant détestable une fois la guerre terminée, le militaire incarne à lui seul tous ceux qui tentent de profiter du conflit pour leur propre fortune. Niels Arestrup en père distant, Émilie Dequenne en femme indépendante ou encore Michel Vuillermoz en fonctionnaire raté mais au sens de l’honneur irréprochable viennent compléter ce casting parfait.
Des tranchées aux paillettes
Avec sa part de tragédie, la poétique de ses masques et la frénésie d’une France des années folles qui se reconstruit, l’histoire de vengeance de Pierre Lemaitre est dans de bonnes mains avec l’auteur de Bernie (1996) et 9 mois ferme (2013). Adepte des univers décalés, Albert Dupontel mêle avec justesse tragédie et comédie dans cette étonnante histoire d’arnaque aux monuments aux morts.
Derrière les frasques des deux amis qui découvrent enfin la belle vie grâce à l’argent que l’arnaque fait couler à flots, l’idée de vengeance ne quitte jamais l’esprit d’Edouard qui a laissé une partie de sa mâchoire au fond d’une tranchée suite à un ordre inepte. S’exprimant à l’aide de masques — sublimes créations de Cécile Kretschmar — selon ses émotions, Edouard est à l’image de son cousin littéraire, le Fantôme de l’Opéra créé par Gaston Leroux : un exilé volontaire en marge de la société qui disparaît pour mieux arnaquer et se venger des responsables de cette guerre imbécile.
Au-delà de l’esprit antimilitariste qui flotte sur le film, Au revoir là-haut interroge également sur l’hommage aux blessés et morts d’une guerre. Que sont, au final, ces monuments de pierre érigés à la mémoire de ceux qui ne sont plus là pour les voir ou qui auraient préféré ne pas vivre ce traumatisme ? Que peut faire la nation pour montrer sa reconnaissance à ceux qui se sont battus pour sa liberté une fois le sang versé ? Meurtri dans sa chair, Edouard pense que les monuments fictifs qu’il dessine et l’arnaque associée ne sont pas plus obscènes que ces stèles commémoratives érigées un peu partout sur le territoire.
Il ne fait après tout que récupérer une rétribution pécuniaire pour la part de bonheur qui lui a été ôtée et Albert qui a bien failli rester lui aussi sur le champ de bataille ne peut que le suivre dans cette entreprise criminelle de réhabilitation. Le livre de Pierre Lemaitre ne pouvait que titiller la corde sensible du réalisateur qui offre aux deux bidasses l’occasion d’être des héros de cinéma très attachants.
Dans une filmographie souvent punk qui est toujours du côté des faibles et marginaux face aux puissants, Au revoir là-haut s’impose comme le film le plus accessible et maîtrisé d’Albert Dupontel. L’occasion de découvrir la tendresse et la profonde humanité d’un cinéaste qui délaisse un temps ses provocations trash et signe un coup de maître.
> Au revoir là-haut, réalisé par Albert Dupontel, France, 2017 (1h57)