Ce théâtre-là ne vous laissera pas de bois. Si l’interjection est prédominante et la rime un peu pauvre, le verbe, lui, est haut. Et l’image parlante. Depuis 3 ans, Jean-Luc organise tous les mois Au théâtre suçoir, un soirée où chacun peut assister au tournage d’une scène de film X. Un théâtre pour adulte – qui n’a de théâtre que le nom – que l’organisateur se targue d’avoir fait renaître sur les cendres des théâtres porno de Pigalle des années 90. L’homme navigue dans le milieu du X depuis 25 ans et a voulu ressusciter l’ambiance coquine qui y régnait, expurgée de son côté glauque.
La semaine dernière, il organisait son 30e dîner-spectacle strictement réservé aux personnes majeures. Au menu : repas franchouillard, boisson et enregistrement d’une scène sous l’oeil libidineux du public. La soirée se déroule dans une salle de l’Est parisien dont l’organisateur veut garder l’adresse discrète. Il refusera de nous la dévoiler avant le jour J, et nous demandera expressément de ne pas la révéler. Soit. Le soir venu, pour entrer, il faudra montrer patte blanche, tchatcher un peu avec le videur qui nous demandera ce qu’on fait ici avant de nous ouvrir les portes du théâtre.
Le lieu est une ancienne fonderie, précise Libération, et sert une fois par mois à Jean-Luc. Avec ses murs en pierres apparentes et ses poutres au plafond, l’endroit est cosy, presque chaleureux. Au milieu de la salle, des chaises dépareillées ; des canaps’ dans les coins et une grand table sur le flanc gauche où se côtoient des gens qui ne semblent manifestement pas se connaître. Au fond, un petit bar qui ne désemplit pas. Devant, la scène, où trône un matelas recouvert d’un drap rouge vif.
Une clientèle plus variée que prévu
C’était attendu : parmi la cinquantaine de clients, qui ont déboursé chacun 60 euros pour la soirée, 90 % sont des hommes. Ce qui l’est moins, c’est la diversité des âges et des situations. Si quelques petits vieux libidineux sont éparpillés çà et là dans la salle, on trouve aussi des couples trentenaire, des collègues cravate au cou qui semblent sortir tout droit d’une réunion, et des quadras venus entre amis pour la soirée. L’ambiance, elle, est comparable à celle d’un bar lambda : ça boit et ça rit.
« Il y a une grande diversité des profils parmi le public », insiste Jean-Luc qui vante sa sélection drastique en amont. Pour venir s’encanailler chez lui, la réservation passe obligatoirement par un petit coup de fil à l’organisateur, qui écrème : les relous sont persona non grata. Son staff et lui insistent sur un point : la soirée doit être conviviale.
L’abandon du porno-pédago (et du scénario)
Le repas avalé et les verres descendus, place au spectacle. Ce soir-là, la mise en bouche est assurée par le show exhib’ d’une demoiselle dans la vingtaine, accompagnée de son énorme godemichet. L’effeuillage ne traînera pas et M. Silicone entrera vite en action. « Ca vous plaît ? » demandera-t-elle au public avant de susurrer « parce que moi oui » anticipant la réponse de la salle.
20 minutes plus tard, vient la scène de couple. Avant, le réalisateur en place faisait du porno pé-da-go-gique comme le rapporte Rue69 et Libération, respectivement en 2012 et 2013. Mais ça, c’était avant. Pour renouveler le show, le côté didactique a été abandonné : « l’ancien réalisateur était parfois en mode Jacques Martin. Ça infantilisait un peu les gens » explique Jean-Luc.
Aujourd’hui, on va à l’essentiel et tant pis pour la petite histoire qui amenait plus ou moins subtilement la scène de la pénétration. « L’idée d’un scénario a progressivement été abandonnée. Les acteurs ne voulaient pas s’emmerder avec ça », glisse un membre du staff.
Sitôt les acteurs sur scène, quelques bisous vite fait et hop, on attaque. Monsieur sort son matériel, déjà prêt à l’emploi et madame s’interroge, faussement, sur ce qui l’attend. On ne tuera pas (trop) l’intérêt du spectacle en vous révélant la suite : fellation, petites gifles, cunnilingus, missionnaire accompagné de ses variantes (et de ses changements de sens, pour faire profiter toute la salle) et éjaculation faciale. YouPorn en live et en public.
Grisés par l’ambiance du lieu et de la scène, certains y vont de leur petit commentaire grivois : « vas-y, tape dans l’fond » criera ainsi un client du fond, allusion à une scène culte du film Fatal. « C’est pas ta mère ! », renchérira un autre. Même très occupé, l’acteur trouvera le temps de glisser un petit doigt d’honneur en direction de celui qui l’a cherché. Car le show se veut (un peu) interactif, entre les acteurs et la salle. De l’interactivité, certes, mais aussi du respect. La soirée c’est un repas et le tournage d’une scène X, point. Pas question que ça aille plus loin. « Pas d’échangisme, pas de libertinage sur place », précise Jean-Luc. Pas de paluchage non plus, « pas de prostitution ni d’escort. On est clean », ajoute un membre de son staff.
L’orgasme atteint, du moins simulé comme il se doit, les acteurs quitteront la scène sous les applaudissements chaleureux du public. Comme au théâtre, le rappel en moins.
Une performance pour les acteurs
La star de la soirée, c’était lui : l’acteur Michael Cherrito, dont le nom ne vous dira sans doute pas grand-chose (à moins que vous ne soyez un grand consommateur de porn). Il est un intervenant régulier Au théâtre suçoir, même si l’organisateur tient à renouveler régulièrement ses castings. L’homme est décrit par la presse spécialisée, dont Hot Video, comme l’étoile montante du X française, loué pour sa modestie tout autant que pour ses performances.
Et assurer le spectacle sous le regard insistant du public en constitue indéniablement une. Car même si tous les acteurs sont « des professionnels » du X insiste Jean-Luc – quelques étudiantes viendraient de temps en temps selon un membre du public – habitués aux regards, l’ambiance est à des lieues de celle d’un plateau de tournage.
Lieu de rencontre du monde du X
Le show terminé, les clients peuvent, au choix, rester danser ou quitter les lieux et s’encanailler chez eux. Les acteurs eux, en profiteront pour rencontrer des producteurs du monde du X parisien venus en nombre sous l’oeil de quelques caméras ; ce soir-là, une équipe de l’émission Paris dernière, diffusée sur Paris première, avait investi les lieux. Parfois, c’est Hot Video qui vient y jeter un coup d’oeil. « C’est l’occasion de se retrouver » entre gens du milieu, explique Jean-Luc. Et d’élargir son réseau.
Coût de la soirée pour l’organisateur : environ 2.500 euros. Pour être rentable, Jean-Luc, qui continue son activité professionnelle en parallèle, doit attirer au moins 42 clients. Pas toujours évident. Mais là n’est pas l’essentiel pour lui, qui insiste encore et toujours sur un point : la convivialité coquine de la soirée.