« Pour raconter mon corps, il faut parler des maladies, de mes intestins et de mon ventre, de mes douleurs, de mes angoisses et de ma honte. »
Dépossédée de son corps
Deborah Costes le revendique : la maladie, les institutions, sa famille, les hommes l’ont dépossédée de son corps. Asphyxiée par l’omniprésence de symptômes qui broient son espace mental, malmenée dans son parcours de soin, confrontée à une famille qui choisit délibérément d’ignorer ses souffrances, elle tombe peu à peu dans les affres de la précarité. Dévorée par l’angoisse, elle raconte cette galère qui imprègne tout, qui tord le ventre et contraint les décisions.
C’est un texte radical, manichéen presque, tant Deborah Costes s’emploie à décrire cette société coupable qui a fait d’elle une victime. Un témoignage qui raconte aussi, sans concessions, les affres de la domination masculine et de la soumission sexuelle voulue par certains hommes.
« Triste monde où le sexe est omniprésent et où aucun (…) homme n’ose parler de ses fantasmes à sa partenaire. Moi, je leur donne cette autorisation. Et j’en ai rien à foutre. »
Reprendre (possession de son) corps
Car Deborah, peu à peu, reprend corps. A travers ses mots crus, sa description assumée, revendiquée, de son travail de « puterie ». A travers son exploration des bas-fonds de la sexualité humaine qui rendent les hommes si vulnérables et parfois si risibles. Par ce qu’elle refuse, les boulots au Smic qui colonisent l’esprit et ne permettent que de survivre. Par sa radicalité et son désir d’indépendance. Par la description minutieuse des processus de silenciation et d’invisibilisation que l’on impose aux femmes, aux démunis, aux précaires, aux malades invisibles.
S’extraire du secret, du silence, taper du poing sur la table et nous abreuver de mots et de vérités crus, c’est la force de ce premier roman. Radicale, puissante, implacable, Deborah Costes se garde de tomber dans la complainte, même si elle en frôle parfois les bords, et c’est le seul petit bémol. Mérite la sélection de la Rentrée littéraire ! À lire d’urgence.
> Reprendre corps de Deborah Costes, 176 pages, Éditions Globe, 2024