Jeune fille joyeuse, Aya vit avec sa mère et son petit frère sur l’île de Lahou en Côte d’Ivoire. Insouciante, l’adolescente aime cueillir des noix de coco et dormir sur le sable. Pourtant, tout autour d’elle, ses repères s’effondrent. Avec la montée des eaux, son paradis est voué à disparaître. Exilés d’un dérèglement climatique injuste, de nombreux habitants ont déjà fui.
Malgré les vagues qui menacent désormais sa maison, Aya ne peut se résoudre à quitter Lahou. Elle ne veut pas quitter son île. Prise entre un océan qui dévore la côte et les bouleversements de l’adolescence, Aya entame un chemin initiatique vers son identité. Tiraillée entre le passé et l’avenir, ici ou ailleurs…
Lahou tout commence
Le réalisateur français Simon Coulibaly Gillard se plaît à découvrir les zones rurales de l’Afrique, au contact d’ethnies qui ont leur propre culture. Il a ainsi rencontré les Dioulas du Burkina Faso, les Peuls du Mali ou encore les Mossis du Burkina Faso. Aya marque sa rencontre avec les Avikams de Côte d’Ivoire dans le village de Lahou. Un village en sursis qu’il a découvert un peu par hasard.
Au volant d’une voiture d’occasion achetée sur place, Simon Coulibaly Gillard quitte Abidjan pour un ambitieux périple de 6000 km sur les routes de Côte d’Ivoire. Mais, au bout de 250 km, la voiture tombe en panne. Bloqué pendant les 10 jours nécessaires à la réparation, le cinéaste explore les environs et découvre Lahou. Sans le savoir, le réalisateur vient de trouver le sujet, et bientôt l’héroïne, de son nouveau film.
C’est la montée, déso !
Fine bande de sable à la croisée de l’océan Atlantique, du fleuve Bandama et de la lagune, Laho est l’une des victimes du dérèglement climatique. Un bouleversement d’autant plus injuste que ses répercussions dramatiques touchent des populations qui subissent l’irresponsabilité des pays riches les plus polluants. Dans un monde idéal, la Terre se vengerait en commençant par projeter les jets privés au sol. Dans notre réalité, Laho est grignoté par une force naturelle que rien ne peut stopper.
Autrefois large de 2 kilomètres, l’isthme ne mesure plus que 200 mètres de large. Chaque année, la mer avance de deux mètres. Laho est précurseur de l’ampleur du drame de l’exil climatique à venir. Poussés par cette érosion qui touche dramatiquement toute la côte ouest-africaine, de très nombreux habitants de Laho ont déjà fui vers la capitale. Une migration forcée qui annonce des millions de déplacés au niveau mondial dans les années à venir.
Les morts d’abord
Dès 1973, les autorités ivoiriennes ont décidé de relocaliser la ville de Lahou. De l’autre côté de la lagune, Grand-Lahou a été fondée à quelques dizaines de kilomètres pour accueillir la population fuyant Lahou. Près de 100 000 personnes y vivent désormais. Mais la jeune Aya ne compte pas partir. Elle ne veut pas abandonner ses racines et compte bien veiller sur les morts de Laho.
Comme un symbole, seul le cimetière du village oppose encore une résistance à l’assaut infatigable des vagues. Laho est temporairement protégé par son passé jusqu’au moment où l’eau va recouvrir les sépultures et rien ne sera plus jamais comme avant. Acte de résistance désespéré, les habitants déplacent les tombes de leurs ancêtres pour les relocaliser plus loin, à l’abri des vagues.
Cette profanation des tombes pour préserver les morts est particulièrement saisissante dans le film. Cette volonté de mettre à l’abri les défunts fait écho à l’entêtement de l’adolescente qui ne veut pas quitter son village. Ces corps exhumés représentent un passé en train de disparaître, concrètement. Avec la montée des eaux, c’est toute la mémoire du village qui disparaît. Un passé submergé auquel Aya tente de s’accrocher.
Évolution naturelle
En tournant avec la méthode du « scénario instantané », Simon Coulibaly Gillard mêle habilement le documentaire et la fiction. En tant qu’observateur, son film s’écrit au contact des habitants avec lesquels il construit le récit. Aya bénéficie de la grâce naturelle et du sourire communicatif de Marie-Josée Kokora qui incarne une insouciance adolescente mise à rude épreuve.
Le film doit beaucoup à son esprit espiègle qui cache une volonté de fer sous une indolence de façade. La caméra se calant discrètement sur les pas de la jeune fille, Aya nous invite à partager sa bonne humeur contagieuse qui semble hors de portée des vagues envahissantes.
Pourtant la menace du changement n’est jamais loin. Et le déchirement d’un exil forcé est le miroir de ses mutations adolescentes. Pour Aya, le paradis bientôt perdu de Laho est également celui d’une enfance à laquelle il faut savoir renoncer.
Voyage adolescent initiatique, Aya fusionne la menace d’un exil forcé au renoncement tout autant déchirant à l’enfance. Comme un symbole supplémentaire dans ce périple qui n’en manque pas, une vue aérienne de Lahou sur Google Maps permet encore de voir le quartier d’enfance d’Aya. Il a pourtant été avalé par la mer depuis le tournage. Bientôt le film sera l’un des ultimes vestiges d’une communauté entière à tout jamais engloutie.
> Aya, réalisé par Simon Coulibaly Gillard, France, 2021 (1h30)