« Babylon », le racisme sound systémique

« Babylon », le racisme sound systémique

« Babylon », le racisme sound systémique

« Babylon », le racisme sound systémique

Au cinéma le 14 octobre 2020

Jeune rasta rejeté par une société anglaise en crise, Blue évacue sa frustration au micro de son sound system bricolé. Son rêve : détrôner son adversaire musical, le redouté Jah Shaka. Film controversé lors de sa sortie, Babylon a été censuré en Angleterre et interdit aux États-Unis. Restauré juste avant son 40ème anniversaire, le drame culte de Franco Rosso sort pour la première fois en France au cinéma. L'occasion de découvrir sur grand écran ce film culte dont la charge contre le racisme reste d'une actualité brûlante.

Dans les quartiers pauvres du sud de Londres, Blue (Brindsley Forde), jeune mécanicien, est le « toaster » du sound system Ital Lion sur son temps libre. Avec l’aide de ses amis, le DJ bricole une gigantesque sono avec les moyens du bord. Leur objectif : devenir le sound system le plus reconnu de la capitale. Pour cela, Blue se prépare à affronter au micro la légende Jah Shaka.

Mais, dans le pays en pleine crise sociale, son rival musical n’est pas le seul souci pour le jeune DJ. Chômage, violences policières et voisins xénophobes sont la dure réalité d’une jeunesse issue du processus de décolonisation. Une oppression permanente qui enferme Blue dans une spirale de violence, loin des bonnes vibrations du reggae.

Babylon © Les Films du Camélia

Culte rasta

La censure dont a été victime le film de Franco Rosso ne l’a pas empêché — bien au contraire — de devenir culte dans la communauté des amateurs de reggae. Avec Brindsley Forde du groupe Aswad incarnant Blue et le mystérieux Jah Shaka — son véritable nom et prénom ainsi que sa date de naissance sont inconnus — dans son propre rôle, Babylon réunit un casting et une bande originale de rêve pour les connaisseurs de reggae.

Témoignage unique de la scène des sound systems reggae au début de l’ère thatchérienne, le drame de Franco Rosso a fait appel à un grand nombre d’acteurs non professionnels. Cette volonté de réalisme confère au film un statut documentaire indéniable sur la culture dancehall au début des années 80.

Babylon © Les Films du Camélia

Restauré par le distributeur Kino Lorber, Babylon a été publié en vidéo et a enfin trouvé le chemin des salles obscures aux États-Unis après une longue période d’interdiction. C’est cette version restaurée 2K qui parvient également dans les salles françaises où le film n’avait jamais été diffusé.

L’occasion de vérifier qu’il mérite sa place dans la liste des films musicaux cultes dans l’univers reggae auprès de The Harder They Come (1972) avec Jimmy Cliff ou encore Rockers (1978). Mais le périple de Blue dans une Angleterre en crise se saurait se réduire — loin de là — à son intérêt musical.

Babylon © Les Films du Camélia

Jah save the Queen

Derrière les récréatives volutes de fumée des joints de Blue et sa bande, la tension sociale est permanente sur les épaules des jeunes rastas. Entre deux échos hypnotiques du dub, Franco Rosso capture le profond malaise qui étouffe tout espoir d’égalité de traitement dans une Angleterre en plein doute et refermée sur elle-même.

La préparation de l’affrontement avec le rival Jah Shaka rythme le film mais le cinéaste a clairement autre chose en tête. Le périple de Blue décrit frontalement un racisme systémique qui suinte des pores d’une société malade : de la violence policière aux insultes décomplexées du voisinage.

Cette société anglaise qui ne semble pas vouloir lui laisser une place, le jeune mécanicien ne peut la comprendre et encore moins s’y projeter. Babylon dénonce sans fard comme le pays est alors incapable d’assimiler la vague d’immigration jamaïcaine arrivée en 1962 lors de la décolonisation de l’île.

Babylon © Les Films du Camélia

Déni de réalité

Signe précurseur du violent rejet des autorités qui allait s’abattre sur le film, le tournage réalisé dans le West End et les quartiers sud de Londres (Lewisham et Brixton) s’est déroulé à l’écart de la presse. Dans ces quartiers où la tension raciale est forte, un tournage est déjà en soi un événement sensible.

Et Babylon n’a en effet pas tardé à s’attirer les foudres des censeurs. Lors de sa sortie en Angleterre, le film est classé X. Avec cette interdiction aux moins de 18 ans, le but est évidemment de réduire le plus possible sa diffusion. Aux États-Unis la réaction est encore plus virulente. Le film est banni du New York Film Festival car il est jugé « trop controversé et pourrait inciter à la haine raciale ».

Babylon © Les Films du Camélia

Le drame de Franco Rosso est demeuré invisible pendant près de 40 ans sur les écrans américains. Un accueil révélateur de l’incroyable hypocrisie d’une société incapable d’affronter les questions de l’inégalité de ses citoyens en fonction de leurs origines.

En marginalisant le film, les responsables n’ont fait que casser le thermomètre qui indiquait que leur pays était brûlant d’une dangereuse fièvre. Quelques scènes clés du film alertent pourtant sur le mal latent dans la société anglaise de l’époque. Franco Rosso pointe du doigt ce combustible dont partira l’inévitable explosion.

Babylon © Les Films du Camélia

Rasta Lives Matter

Scénarisé par Martin Stellman qui avait déjà dépeint la jeunesse d’une autre époque et sur une autre musique dans Quadrophenia (1979), Babylon décrit avec justesse un malaise qui n’est, de nos jours, toujours pas résolu.

Avec le recul, l’accueil réservé au film de Franco Rosso renforce son statut d’œuvre culte. Le regard quasi documentaire du réalisateur en fait un témoignage poignant sur le quotidien de jeunes afro-caribéens en marge d’une société qui les exclut. Le rejet face au film prouve qu’il a touché un point sensible.

Babylon est un signal d’alarme qui a été volontairement ignoré, avec les conséquences que l’on connaît. Le plus troublant est de (re)découvrir cet avertissement qui a dû patienter quatre décennies pour être remis en lumière et de constater que rien n’a vraiment changé. Le film ressort dans les salles dans un monde qui semble dangereusement plus divisé que jamais.

Babylon © Les Films du Camélia

Les violences policières font toujours l’actualité et les mouvements comme Black Lives Matter continuent de s’époumoner pour se faire entendre. La polémique sur les statues à déboulonner (ou non) en dit également beaucoup sur ces sujets qui n’ont jamais été réglés par manque de courage — ou pire, par calcul — politique.

Babylon ne prône pas la haine raciale, il s’en inquiète. Mais devant ce miroir cruellement réaliste tendu à la société, celle-ci a décidé de tourner le regard.

Devenu culte au sein des amateurs de reggae, Babylon tient enfin sa revanche avec une version restaurée et un retour en salles pour toucher un nouveau public. Près de quatre décennies après son tournage, l’alerte de Franco Rosso n’a rien perdu de sa vigueur et résonne comme un morceau de dub ayant un écho particulier, tristement prémonitoire.

> Babylon, réalisé par Franco Rosso, Royaume-Uni – Italie, 1980 (1h35)

Babylon

Date de sortie
14 octobre 2020
Durée
1h35
Réalisé par
Franco Rosso
Avec
Brinsley Forde, Karl Howman, Trevor Laird, Maggie Steed, Mel Smith, Jah Shaka
Pays
Royaume-Uni - Italie