« Belladone », débat sur la faim de vie

« Belladone », débat sur la faim de vie

« Belladone », débat sur la faim de vie

« Belladone », débat sur la faim de vie

Au cinéma le 26 mars 2025

Dans un futur proche, la fin d'une vie se déroule en institution. Sur une île isolée, Gaëlle, 30 ans, veille sur des personnes âgées irréductibles qui ont décidé de rester libres. Mais l'arrivée d'un voilier vient chambouler ce petit paradis. Sous la forme d'un conte, Belladone imagine un futur à la bienveillance totalitaire qui nous confronte à notre perception de la vieillesse. Si l'aspect dystopique manque de profondeur, ce thriller mystique porte une réflexion séduisante sur le bien vieillir, portée par des acteurs qui prennent un plaisir manifeste à l'incarner.

En 2050, une loi oblige les personnes âgées à se rendre en institution pour finir leur vie afin de ne pas être un poids pour la société. Pour échapper à cette injonction, un petit groupe de seniors se cache sur une île coupée du monde. Au quotidien, Gaëlle (Nadia Tereszkiewick), 30 ans, prend soin de ces rebelles insoumis en imposant une hygiène de vie assez stricte pour les protéger.

L’arrivée d’un voilier avec à son bord David (Dali Benssalah), Aline (Daphné Patakia) et sa fille fait revenir joie et vie au sein de la petite communauté anesthésiée par la routine. Mais Gaëlle se méfie des intentions de ces nouveaux arrivants qui prônent un hédonisme décomplexé. Sa suspicion tourne à l’inquiétude lorsque les anciens se mettent à mourir les uns après les autres.

Belladone © photo Marie Camille Orlando - Les Films d'Antoine - Estrella Productions - Wild Bunch Distribution

Nourrir pour ne pas mourir

Si tout se passe bien, on devrait tous vieillir et, encore plus certain, mourir un jour. Cette question de la fin de vie – en bonne ou mauvaise santé – est au cœur de débats qui agitent particulièrement les sociétés aux populations vieillissantes. En posant un regard entre conte et utopie sur la question, la réalisatrice Alanté Kavaïté fait écho à ce sujet sociétal avec un point de vue radical.

L’idée de ce futur à la vieillesse encadrée est venue à l’esprit de la réalisatrice après avoir fait le constat que rien n’a véritablement changé depuis la parution de La Vieillesse de Simone de Beauvoir en 1970. Les personnes âgées continuent à être infantilisées, privées de leur volonté et désirs. Un biais qui s’incarne en Gaëlle qui surprotège les habitants de l’île.

Derrière cette bienveillance sincère se cache une angoisse profonde chez cette jeune femme qui porte la culpabilité de ne pas avoir été là lors des derniers instants de sa mère. Gaëlle est dans le déni de la finitude des choses. L’ancienne cuisinière ne supporte pas de voir les gens mourir, alors elle tente de repousser l’échéance en créant une bulle de protection qui s’avère étouffante pour ses protégés. Mettant de côté religion et sociologie, Belladone invoque le conte pour sonder cette angoisse universelle face à la mort dont cette protection exacerbée est une échappatoire bien dérisoire.

Belladone © photo Marie Camille Orlando - Les Films d'Antoine - Estrella Productions - Wild Bunch Distribution

Prison en plein air

Avec ce décalage dystopique sur une île loin de tout, Belladone fait un – petit – pas de côté pour mieux analyser notre rapport moderne à la vieillesse. Cette liberté prise permet de se focaliser sur les désirs de chacun au sein de la petite communauté et d’interroger le « bien vieillir ». Comme d’autres projets nés lors de la période de la pandémie de Covid, le sujet du film résonne avec la question de l’équilibre entre santé et liberté. Cette tension est incarnée de façon ambigüe par le personnage de Gaëlle, bienfaitrice dévouée mais castratrice.

La jeune femme est prête à tout pour le bien être de « ses » vieux. Elle les nourrit et les soigne aussi bien qu’elle le peut mais son intransigeance envers ce qui est bon ou non pour eux interroge. À quoi bon échapper à une institution si la liberté n’est pas totale sur l’île ? De là à se sentir prisonniers de sa bienveillance, il n’y a qu’un pas.

Après Écoute le temps (2006), film fantastique à l’esthétique réaliste avec la regrettée Émilie Dequenne et Summer (2015), œuvre impressionniste et sensuelle – lire notre critique, Belladonne conclut cette trilogie sans fil conducteur dans une atmosphère à mi-chemin. Cette ambiance fantastique pose concrètement la question du temps qui reste et comment en profiter pleinement. Prudemment ou en apothéose ? Un débat éternel entre la quantité ou la qualité, ici posé en termes de mois ou d’années qui restent à vivre.

Belladone © photo Marie Camille Orlando - Les Films d'Antoine - Estrella Productions - Wild Bunch Distribution

Film choral archétypal

Pour appréhender les désirs de chacun, Belladone convoque une troupe volontairement archétypale. Chaque personne âgée sur l’île possède une caractéristique. Anna (Miou-Miou), Pierre (Patrick Chesnais), Olivier  (Jean-Claude Drouot), Evy (Alexandra Stewart), François (Féodor Atkine), André (Joël Cudennec) et Yona (Claire Magnin) symbolisent ainsi l’humour, la gourmandise, la créativité, la mémoire qui se perd… Autant de couleurs d’un arc-en-ciel qui vont s’éteindre progressivement.

Les acteurs semblent prendre beaucoup de plaisir à vivre cette expérience où la mort les attend irrémédiablement au tournant. Parmi eux, l’aisance et le regard toujours pétillant de Miou-Miou touche particulièrement. En observant sa performance d’une grande générosité, on se dit que vieillir n’est peut-être pas si terrible au final. Encore faut-il accepter la finitude du procédé. Un pas ce Gaëlle n’arrive résolument pas à franchir, lancée dans une bataille perdue d’avance avec la mort.

Belladone © photo Marie Camille Orlando - Les Films d'Antoine - Estrella Productions - Wild Bunch Distribution

Voyageurs d’un autre temps

Lorsque David et Aline débarquent sur l’île, Gaëlle sent immédiatement le vent tourner. Et si ceux qui se présentent comme frère et sœur – le doute planera sur la réalité de cette relation – étaient venus lui arracher « ses » vieux ? Alors qu’une tension sexuelle troublante s’installe entre Gaëlle et David, la mort tant redoutée frappe. Pour chaque poule qui meurt mystérieusement, un ancien rend l’âme. Mais l’enjeu ne porte pas sur l’identité d’un tueur éventuel.

Ces morts symboliques invitent Gaëlle à enfin lâcher prise devant les invitations libertaires des nouveaux arrivants. David et Aline sont des voyageurs d’un « autre temps » dans le sens où ils invitent les vieux sur l’île à profiter pleinement du moment présent. Fumer, boire, manger gras… Et pourquoi pas ? La perception du temps change et Gaëlle, horrifiée, ne peut que constater l’attrait de cette nouvelle doctrine, même si la mort frappe irrémédiablement.

Ou plutôt grâce à la mort ! Malgré l’inévitable finitude de toute chose, Belladone prône un hédonisme insouciant. Avec des halos de lumière s’invitant de façon intempestive à l’écran, le film rappelle sans cesse son statut de conte ce qui rend les décès en cascade moins dramatiques. Ces interruptions étonnantes font douter de l’existence même des mystérieux voyageurs – projection inconsciente de Gaëlle ? – et font planer une ambiance fébrile qui fait écho à la fragilité de l’existence.

Belladone © photo Marie Camille Orlando - Les Films d'Antoine - Estrella Productions - Wild Bunch Distribution

Malgré un sujet potentiellement plombant, Belladone est un conte solaire qui célèbre la vitalité, jusqu’au bout. Une façon de rappeler que la fameuse belladone de son titre est autant un poison qu’un remède. Si l’aspect fantastique manque un peu de contexte, l’énergie des acteurs porte à bout de bras cette célébration d’une liberté qui ne pense pas au lendemain pour se savourer pleinement.

> Belladone réalisé par Alanté Kavaïté, France, 2024 (1h35)

Belladone

Date de sortie
26 mars 2025
Durée
1h35
Réalisé par
Alanté Kavaïté
Avec
Nadia Tereszkiewick, Dali Benssalah, Daphné Patakia, Miou-Miou, Patrick Chesnais, Jean-Claude Drouot, Alexandra Stewart, Féodor Atkine, Joël Cudennec, Claire Magnin
Pays
France