« Un bâtiment d'habitations est différent selon qu'il est conçu pour l'Asie, l'Europe ou l'Amérique. L'architecture est générée par le contexte urbain », explique Vincent Callebaut. Cet architecte belge basé à Paris propose depuis près de 15 ans des projets que l'on pourrait qualifier d'utopiques ou d'avant-gardistes. Leurs points communs : ils prennent en compte les contraintes locales pour mieux répondre aux besoins des populations, notamment celles frappées par des catastrophes naturelles, et s'inspirent des formes et des matières observées dans la nature. Ses projets transgressent les frontières de l'architecture pour y mêler le biomimétisme.
La toute première tour de Vincent Callabaut et son équipe est en construction à Taipei. Agora Garden (ci-dessus), qui doit ouvrir ses portes en 2016, est une tour résidentielle de 50.000 m2. Elle est construite sur des pieux sismiques, afin de pouvoir désolidariser la tour du sol de la ville, en cas de séisme. Le bâtiment est éco-conçu et fait appel aux énergies renouvelables (panneaux solaires photovoltaïques, compost, recyclage de l'eau de pluie…). Objectif : limiter l'empreinte écologique des occupants.
« Qui va payer la dette écologique des pays occidentaux ? »
Si Agora Garden est la première tour de Vincent Callebaut effectivement mis en chantier, l'architecte a déjà esquissé de nombreux projets, dans lesquels il dessine la ville du futur à mi-chemin entre science-fiction et retour à la nature. L'architecte participe à de nombreux colloques auprès de l'ONU ou de l'Union européenne, pour sensibiliser les politiques à l'importance de lier architecture et géopolitique. « Qui va payer la dette écologique des pays occidentaux ? », demande-t-il. Dans son livre Archibiotique, publié en 2008, Vincent Callebaut explique ce néologisme né des termes « architecture » et « TIC » (technologies de l'information et de la communication). « Les villes de demain seront constituées à partir des sciences de la nature et du génie humain. C'est d'ailleurs le désir schizophrène du citadin contemporain, qui veut vivre avec la nature mais toujours connecté », observe-t-il.
L'autre terme revenant souvent dans les explications de Vincent Callabaut pour parler de ses projets est le biomorphisme, ou l'étude de l'intelligence des formes dans la nature. Il évoque la feuille de lotus ou encore les ailes nervurées de libellule, leur permettant de transporter plusieurs fois leur poids. Elles ont inspiré le Dragonfly, projet de ferme urbaine au cœur de New York. « L’agriculture urbaine peut nourrir la ville sans pesticides ou fongicides chimiques et la rendre moins dépendante alimentairement de son arrière pays ou des autres régions du monde. Organisant la distribution des produits frais en circuits courts, c’est-à-dire en lien direct avec le consommateur, l’agriculture urbaine vient ainsi complémenter l’agriculture traditionnelle », explique le projet.
L'architecture au service des la nature
« C’est à l’architecture de se mettre au service de cette néo-agriculture et de traduire cette nouvelle aspiration sociale ! Dragonfly propose donc de construire un prototype de ferme urbaine offrant, autour d’un programme mixte de logements de bureaux et de laboratoires en génie écologique, des espaces agricoles étagés verticalement et cultivés en partie par ses propres habitants. Cette ferme verticale met en place toutes les pratiques durables en agriculture biologique basée sur la production intensive et diversifiée suivant le rythme des saisons ». Et comme disait Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Avec Dragonfly, « la tour, véritable organisme vivant, devient ainsi métabolique et auto-suffisante en eau, en énergie et en bio-fertilisants. Tout se recycle vers une auto-alimentation continue ! », explique le cabinet d'architectes.
C'est dans la forme architecturale que l'on retrouve la libellule, ou dragonfly en anglais. Deux tours oblongues se dressent autour d’une immense serre bioclimatique qui les relie et se déploie verticalement entre deux voiles. « Ces voiles ultralégers de verre et d’acier reprennent les charges de l’édifice et sont directement inspirés de la structure des ailes de libellule de la famille des odonates anisoptères dont la membrane transparente est très finement nervurée ». Pour Vincent Callebaut, le bâtiment de demain doit être « capable de générer sa propre énergie. Comme dans la nature, où chaque déchet d'un être vivant sert à un autre ».
Comprendre les problématiques locales
Si l'architecte et son équipe ont commencé à travailler sur ce type de projets, c'est qu'ils ne voulaient pas « répondre à des appels d'offres dans lesquels les villes ne posaient pas les bonnes questions. Nous voulions apporter des réponses plus efficaces, pour augmenter la qualité de vie, fantasmer la ville, la rêver, la rendre excitante ».
Pour Agora Garden, les équipes de Vincent Callebaut se sont rendues plusieurs fois à Taiwan. Elles ont aussi intégré des locaux, afin de cibler au mieux les données climatiques ou la cellule familiale type, par exemple. « Pour chaque projet, nous sommes amenés à nous mettre au service de la culture pour laquelle nous travaillons, pour produire une architecture qui soit la plus contextuelle possible ».
Si Agora Garden est conçu pour une clientèle de luxe, l'architecte insiste sur la mission humaine de ses projets. Comme Coral Reef, pensé pour les réfugiés climatiques et victimes de séisme à Haiti. Le projet a été soumis à une opération de crowdfunding. Il s'agit d'une matrice pour construire un village et auto-suffisant en énergie à partir d'un module préfabriqué. Ce module de base est constitué de deux maisons passives à ossature métallique et aux parements de bois tropicaux. Les modules sont imbriquées en duplex autour d’une circulation horizontale transversale reliant chaque unité.
L'équipe de Vincent Callebaut (une dizaine de personnes) collabore régulièrement avec les juridictions locales. « En tant que créateurs, nous sommes en avance sur les phénomènes de société, mais nous nous retrouvons régulièrement blogués par des lois obsolètes qui ont besoin d'être mises à jour. Par exemple, à Paris on ne peut pas, actuellement construire de tour mixte logement et bureau, notamment en raison de la réglementation incendie existante ». Pour l'architecte, « faire bouger les réglementations, cela fait aussi partie de ce métier ». Il travaille en outre avec les industriels et les universités. Afin de découvrir les technologies émergentes en laboratoire pour les mettre en œuvre, et passer ainsi « de l'utopie à la réalité ».