« Bixa Travesty », révolution d’un autre genre

« Bixa Travesty », révolution d’un autre genre

« Bixa Travesty », révolution d’un autre genre

« Bixa Travesty », révolution d’un autre genre

Au cinéma le 26 juin 2019

Sur scène, l'incandescente Linn da Quebrada questionne le genre et crucifie le machisme avec ses textes percutants. Totalement décomplexé, Bixa Travesty livre un portrait intime de cette rappeuse brésilienne qui choque et charme par sa liberté de ton salvatrice dans un pays désormais cadenassé par l'extrême droite. Impossible de rester indifférent devant le courage d'une artiste si déterminée en terrain miné.

La main recouverte par le gant argenté offert par sa pulpeuse partenaire de scène Jup do Bairro, Linn da Quebrada, 28 ans, envoûte son public avec des titres où s’entremêlent provocation, incantation et appel à la rébellion. Il faut dire que l’état actuel du Brésil menace dangereusement toute expression d’une identité différente, et plus généralement toute pensée n’allant pas dans le sens de la politique du président Bolsonaro.

Véritable icône du milieu LGBTQ+, la rappeuse transgenre fracasse joyeusement les idées préconçues et défonce le machisme d’un patriarcat toujours confortablement installé. Le documentaire de Claudia Priscilla et Kiko Goifman capte sans filtre la liberté — certains diront l’impudeur — de cette artiste révoltée et attachante dont l’attitude et les revendications viennent titiller nos certitudes sur le genre et interroger notre rapport au corps.

Bixa Travesty © Arizona Films

Ceci est mon corps (politique)

Ses origines modestes, la rappeuse brésilienne les assume jusque dans son nom de scène et les revendique autant que son identité de genre. Son surnom Linn da Quebrada évoque autant son apparence glamour — « linda » signifie belle en portugais — que son origine — « quedabra » signifie « cassée » en l’argot local et fait référence aux banlieues pauvres de São Paulo. Désormais sur scène, Linn da Quebrada n’oublie rien de son parcours ni d’où elle vient. En 2016, elle apparaît dans le documentaire Meu Corpo é Político (Mon corps est politique) réalisé par Alice Riff.

À l’époque, son nom de premier nom de scène est MC Linn da Quebrada. Cheveux courts, frisés et teints en rose, elle fait ses armes devant un micro sur des compositions inspirées par le funk et le hip hop mêlées à des rythmiques brésiliennes. Son premier clip Enviadescer conquiert immédiatement la jeunesse trans et noire du nord du Brésil. Linn se sépare alors du terme « MC » et assume de plus en plus sa féminité. Elle devient rapidement une star incontournable dans le milieu LGBTQ+. Le concert de clôture du festival MixBrasil fin 2016 puis la sortie de son album en 2017 achève de la faire connaître à travers le pays. L’année suivante, la tornade Linn da Quebrada débarque en Europe et fait connaître au vieux continent son envie d’en découdre avec des préjugés castrateurs.

Bixa Travesty © Arizona Films

Sorry Not Sorry

Dans ses textes, Linn da Quebrada reprend les codes de l’ego trip entretenu par les rappeurs américains mais transforme ces gesticulations vides de sens en acte politique. Pas question pour Linn de savoir qui a la plus grosse — liasse de billets, voiture, chaîne en or… — mais d’assumer fièrement son identité. Un acte clairement militant dans un pays en train de se refermer dangereusement sur une idéologie prônant l’exclusion de la différence et menaçant les minorités. Cet appel à tous les « non-conformes » à s’accepter tel qu’ils sont et à revendiquer leur singularité se fait avec une fougue révolutionnaire.

Linn da Quebrada ne demande pas l’égalité de traitement, elle l’exige à travers des paroles cash qui ne laissent pas de place à l’ambiguïté. Figure du rap contestataire et queer brésilien, Linn s’autoproclame  »terroriste du genre » car, selon elle, demander poliment une place à une société machiste qui n’a, de toute façon, pas l’intention de lui laisser n’est plus d’actualité. L’artiste impose qui elle est avec fierté et invite ceux que ça dérange à aller se faire enc… — avec certainement à l’esprit qu’elle connait des gens motivés pour ceux qui souhaiteraient prendre la suggestion au pied de la lettre.

Bixa Travesty © Arizona Films

Avec l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, la parole de l’artiste s’impose comme une nécessité et un contre-pouvoir salvateur face à une violence sociale désormais institutionnalisée. Comme d’autres minorités sexuelles et ethniques persécutées, Linn da Quebrada joue la carte de l’appropriation de l’insulte pour mieux désarmer ses adversaires. Bixa Travesty — titre de l’une de ses chansons qui donne son nom au documentaire — signifie « pédale travesti ». Une façon de mélanger l’identité masculine et féminine comme un manifeste car Linn assume avec un naturel déconcertant l’abolition des frontières lorsqu’il s’agit de genre.

L’enfer c’est les autres

Le combat mené tambour battant par Linn da Quebrada ne s’arrête évidemment pas aux frontières brésiliennes. Si la France n’a pas — encore — un gouvernement d’extrême droite, son discours sur le genre résonne aussi dans l’hexagone et fait réfléchir sur notre perception des identités. Alors que le sigle de la communauté LGBT ne cesse de s’allonger pour n’exclure personne — LGBTQI+ dans sa forme la plus complète —, il est parfois difficile de s’y retrouver lorsqu’on ne se sent pas ou peu concerné par ses questions (alors qu’il suffit de cliquer sur un lien, celui-ci, par exemple, pour y voir plus clair).

Pourtant, cette question du genre fait régulièrement l’actualité malheureusement pour nous rappeler que la société a encore du mal à accepter ses citoyens qui revendiquent un genre sortant du schéma classique masculin/féminin. Face à la différence, la violence, le mépris ou encore les moqueries sont des réactions encore trop courantes. Au point de se demander pourquoi la revendication d’une différence fait autant peur ?

Bixa Travesty © Arizona Films

En imposant de manière frontale ce qu’elle est, Linn nous confronte à nos blocages et nos intolérances et interroge nos mécanismes de défense face à cette altérité qui dérange. Alors qu’elle ne sait pas si elle souhaite se faire opérer, Linn se bat pour être considérée comme une femme à part entière tant bien même elle déciderait de garder le corps que la nature lui a donné. Une identité féminine peu importe l’aspect physique est pour Linn une évidence qui a de quoi provoquer un AVC à n’importe quel membre de la Manif pour tous mais son rapport au corps très décomplexé peut également venir bousculer des spectateurs a priori plus ouverts d’esprit.

DTC

Documentaire sans filtre, Bixa Travesty montre Linn telle qu’elle est : libre, provocatrice et impudique diront certains. Au-delà de la question de la sexualité, l’exhibitionnisme tout naturel de l’artiste vient titiller notre rapport au corps. Investie dans le film, Linn a travaillé avec les deux cinéastes pour que le documentaire lui ressemble. C’est elle qui a proposé de filmer la douche qu’elle prend avec sa mère. Un moment d’intimité qui a de quoi surprendre et renvoie le spectateur à ses propres tabous.

À travers des images d’archives tournées en cachette dans un hôpital par une amie, le spectateur découvre également une autre facette touchante de Linn : la survivante qui a subi trois ans de chimiothérapie pour éradiquer un cancer des testicules — la maladie n’aurait pas pu trouver plus symbolique ! Dans ces vidéos réalisées pour passer le temps; elle se balade à poil dans sa chambre d’hôpital et se lance dans des performances étranges que l’art contemporain ne renierait pas.

Bixa Travesty © Arizona Films

La nudité comme évidence et une pincée de provocation pour pimenter le tout. Rien n’est tabou pour l’artiste et surtout pas son anus dont elle parle — et qu’elle montre — sans gêne. Après tout, n’est-ce pas l’endroit du corps le plus honteux que tout le monde cherche à cacher et n’évoque jamais ? Sur ce point, Linn n’a pas tort et il s’agit pour elle d’une excellente raison pour l’exhiber. Tout simplement parce que ça existe — comme les trans — et que les raisons — sociales, religieuses ou encore politiques — d’en avoir honte ne sont pas recevables.

Artiste à la liberté rafraîchissante, Linn da Quebrada vous invite dans son monde où les certitudes sur le genre sont pulvérisées par son gant en fer aussi iconique que phallique. Documentaire résolument politique, Bixa Travesty bouscule et touche le spectateur par son injonction à la tolérance non négociable. La révolution est en cours et ne comptez pas sur Linn pour vous laisser le choix dans la date.

> Bixa Travesty réalisé par Claudia Priscilla et Kiko Goifman, Brésil, 2018 (1h15)

Affiche du film "Bixa Travesty"

Bixa Travesty

Date de sortie
26 juin 2019
Durée
1h15
Réalisé par
Claudia Priscilla et Kiko Goifman
Avec
Linn da Quebrada, Jup do Bairro, Liniker
Pays
Brésil