Sœur Rose de la Foi de ta Mère, Fesseuse d’Anges, Gardienne des Muses Belles zé Putes, Protectrice des Sans-Voix et des Aphones, Dite le Mégaphone du Couvent nous a donné rendez-vous place de la Bastille. En civil, c’est un jeune homme de 22 ans que nous rencontrons pour évoquer avec lui, Et ta sœur… Un film documentaire de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin qui retrace les origines des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Et plus particulièrement le quotidien du Couvent de Paname, dont fait partie sœur Rose. Le film court les festivals, racontant l’histoire folle de ces sœurs loufoques et drôles, radicales et tenaces. Des folles dévouées à leur prochain. Un credo originel : "Promulguer la joie multiverselle et expier la honte culpabilisatrice."
Aux origines du mouvement
« C’est trois types qui, en 1979, avaient des fringues de bonnes sœurs et ont décidé d’aller jouer les grandes folles déguisées en nonnes dans la communauté gay de San Francisco et sur la plage naturiste. » Les bonnes sœurs voulaient déconner. Mais les personnes qu’elles ont croisées se sont "confessées". Elles voulaient parler et se confier. Les trois fausses nonnes ont pensé qu’elles tenaient quelque chose. Pendant plusieurs mois, elles ont peaufiné leur concept et leur personnage avant de revenir, épanouies et joyeuses en bonnes sœurs, prêtes à écouter les confidences. « Elles voulaient créer une nouvelle forme d’activisme sociale. »
A l’époque, on ne parle pas encore de Sida. Les trois sœurs en goguette organisent doucement leur communauté. Les fonds récoltés servent à lutter contre l’homophobie et à aider les homos à s’accepter, à être eux-mêmes. Arrivent les années 80 et l’épidémie. « C’est dur à croire mais ils tombaient comme des mouches. »
Les Sœurs sont les premières à se mobiliser contre le Sida, qui fait des ravages dans la communauté gay. Mais touche aussi les hétéros. Elles organisent des levées de fonds pour financer la recherche. La toute première soirée est organisée avec le concours de Shirley MacLaine. On organise des bingos. A l’américaine ! Un premier document pour se prémunir du Sida est publié, le Play Fair. Ubuesque, vu le peu de connaissances sur le Sida à l’époque. Prévention, écoute, action, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, exubérantes et joyeuses, n’ont plus cessé d’agir contre l’homophobie, le Sida et la honte. Depuis, de nombreux couvents ont vu le jour. La lutte contre le Sida et l’homophobie sont des thèmes centraux. Mais les hétéros sont les bienvenus sur les épaules rassurantes de ses sœurs de paillettes.
Des couvents aux quatre coins du monde
On trouve beaucoup de couvents aux Etats-Unis, et en Europe. En Angleterre, en France et en Allemagne surtout. Des couvents ont également ouvert en Australie. « On doit être 1 000 sœurs au total dans le monde. D’ailleurs, l’une d’entre d’elles vient d‘arriver au Groenland, c’est génial », se réjouit Sœur Rose.
En Iran aussi, une sœur est seule représentante de son ordre agnostique. Comme des missionnaires, elles prêchent la bonne parole, sous la protection de la sainte capote. « Nous sommes aussi présentes en Amérique du Sud : Colombie, Uruguay, Paraguay, Argentine. Actuellement, un couvent se monte en Thaïlande. Tous les couvents communiquent entre eux. Une des sœurs est chargée des relations internationales. »
En France, les sœurs sont présentes dans de nombreuses villes. Paris compte même deux couvents. Le Couvent de Paris et le Couvent de Paname, divisés en deux depuis "le grand schisme" de 1996, forment deux associations distinctes. Mais les couvents n’entretiennent pas de querelles de chapelles et travaillent « en bonne intelligence ».
Un folklore
Les Sœurs, impossible de les rater. Elles sont exubérantes, bruyantes, maquillées comme des voitures volées. Et ? Et sont habillées en bonne Sœur. L’imagerie religieuse joue à plein régime. Bien sûr, certains crient, hurlent et s’époumonent à la provocation et au blasphème. « Au début, c’est un hasard. Mais si les trois fondateurs avaient été habillés en Schtroumpfs, ça n’aurait sans doute pas fonctionné. Et puis nous sommes vraiment des bonnes sœurs après tout. Un jour, nous avons croisé dans la rue l’une de mes amies et ses copines, les filles de la charité de Saint-Vincent de Paul. Mon amie a expliqué à ses copines que nous faisions la même chose qu’elles, mais avec plus de paillettes. »
Les maquillages, souvent outrageux, parfois sublimes, les tenues de religieuses, ce n’est pas que du folklore. « Ça représente une heure et demie de travail, un sacré découvert, des heures chez le dermato, mais pour les gens, c’est beaucoup. »
Et pendant cette heure et demie, le jeune homme qui nous fait face entre dans la peau de Sœur Rose. Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’aller faire la maligne, sur les trottoirs de Paris, de distribuer des bisous, des câlins, et surtout des capotes. Il faut aussi avoir les épaules et être prêts à entendre des histoires tristes. Mais vraies. « Les gens font des confessions, racontent leur vie et leurs problèmes. Parfois c’est grave. Parfois non. On doit faire partie des seules personnes à qui on ne ment pas. »
C’est aussi ce qui fait la particularité des Sœurs, l’information, la prévention, l’écoute, rue après rue, terrasse de café après terrasse de café. En contact direct avec le public, face à face.
De retour au couvent, les Sœurs se démaquillent et ôtent leur costume de super héroïne, elles peuvent à ce moment reprendre leur identité à la ville.
L’écoute, un pilier de l’ordre
Lorsqu’une personne se confie, c’est une confession, dans le jargon. L’apparat tape à l’œil sert à ça, à faciliter la prise de contact. « Pour eux, plus ou moins consciemment, ils parlent à la sœur. Elle part, elle réapparaît. On ne juge personne, on soulage les gens et on disparaît dans la nuit, dans un nuage de paillettes. »
Au couvent de Paname, outre les sorties, on organise aussi les ressourcements. Des malades du Sida, des personnes qui ont perdu un proche à cause du Sida, qui y sont confrontées tous les jours dans leur métier ou leur vie privée. Durant une semaine, ou seulement quelques jours, ces personnes s’accordent une pause et soufflent, un instant. Les sœurs sont là, les écoutent, les épaulent et les soulagent.
Les fonds que parvient à récolter le Couvent de Paname, c’est pour financer ces séjours et acheter des préservatifs. Et aussi, aider à financer la recherche. Parce que le Sida, on en meurt encore. Sinon, on le vit très mal. Le saviez-vous ?
Comment devenir sœur ?
Avant d’être Sœur Rose, il militait pour Act Up. Il tenait un stand aux Solidays et a assisté à la Messe des Sœurs qui a lieu chaque année au festival. Une révélation ! « Ça a été un électrochoc. C’est un mouvement politique, culturel et sanitaire. Ça m’a plu tout de suite, pour moi c’était une évidence. » Et avant de devenir Sœur Rose de la Foi de ta Mère, Fesseuse d’Anges, Gardienne des Muses Belles zé Putes, Protectrice des Sans-Voix et des Aphones, Dite le Mégaphone du Couvent, il a fallu passer les étapes. La première : le postulat.
Pour devenir sœur, il faut envoyer une lettre au couvent. Puis, le prétendant est reçu en chapitre, « la réunion menstruelle » des Sœurs, où les décisions sont prises. Si elle réussit l’entretien, la personne devient sœur postulante. Là, elle aura le loisir de suivre les sœurs dans leurs folles aventures. Mais en civil. « A ce moment-là, la postulante voit ce que c’est de se balader habillée en sœur, de prendre les transports en commun, d’écouter, d’aller vers les autres… » Si elle veut poursuivre son initiation, les Sœurs décident alors si elle est apte à faire son noviciat. Elle devient alors novice. « C’est à ce moment qu’on crée son identité et construit son personnage. » Nom, maquillage, tenues, ce qui compte, c’est qu’elle se sente bien. « Une différence dans le costume, la novice porte un voile blanc, la Sœur une cornette. »
Cette étape peut durer plusieurs mois, plus d’un an en général. Quand elle est prête, sa marraine la propose au titre de Sœur de la Perpétuelle Indulgence. On ne devient pas Sœur du jour au lendemain. Il faut savoir encaisser, être bien dans sa tête et avoir les épaules.
Le documentaire Et ta sœur a peiné à trouver des financements [fn]Les réalisateurs n’ont trouvé que 20 000 euros auprès de la région Ile-de-France. Le reste est financé sur des fonds propres.[/fn] et peine à trouver des lieux de projection, hors des festivals. Ne meurt-on plus du Sida ? La vie est-elle si douce pour un séropositif ? L’homophobie est-elle une simple vue de l’esprit ? Est-ce facile quand on a 12 ans de découvrir qu’on est pédé ? « Le sida est une maladie chronique et puis c’est tout. Il n’est plus considéré comme concernant. La désinformation est telle que les gens se croient immunisés ! » Sœur Rose n’est pas qu’amour, elle montre aussi les dents.
> Et ta soeur, par Nicolas Barachin et Sylvie Leroy, 2011, 62 min.