C’est au cours de l’été 2002 que Richard Linklater débute son projet fou de filmer une histoire familiale par intermittence sur plus d’une décennie en utilisant les mêmes acteurs. Fresque ambitieuse, Boyhood se concentre sur le jeune Mason (Ellar Coltrane), que l’on suit de ses 5 ans jusqu’à sa majorité. Pendant 12 ans, le garçon vivant avec sa sœur et sa mère devient – en même temps que le jeune acteur qui l’incarne – peu à peu un homme, forgé par les épreuves de la vie. Une expérience de cinéma captivante et incroyablement touchante.
Ciné-réalité familial
En choisissant de tourner avec les mêmes comédiens pendant une période aussi longue, le réalisateur impose d’emblée sa famille de cinéma comme réaliste. Débarrassé des fardeaux que peuvent être le maquillage ou le choix d’acteurs crédibles pour interpréter le même personnage à des âges différents, Boyhood captive dès le premier saut temporel qu’il effectue. Mason et sa famille – composée des parents (Ethan Hawke et Patricia Arquette) et de sa sœur (Lorelei Linklater, la fille du metteur en scène) – changent sous nos yeux, entrainant le spectateur dans une expérience originale et fascinante.
La frontière est ténue entre les acteurs, tous excellents, et leurs personnages qui évoluent ensemble dans le temps. L’œuvre de fiction se double d’un aspect documentaire déroutant mais terriblement efficace. Richard Linklater n’est pas le premier à proposer un long métrage s’étalant sur une aussi longue période : la fiction 12 (2003) par exemple ou, plus connu, le documentaire Tarnation (2003) ont également été réalisés sur plus d’une décennie.
Mais au-delà du procédé – ou plutôt malgré lui – le véritable tour de force de Linklater réside dans la cohérence globale qui se dégage de ce voyage temporel. Intimiste et sensible, cette saga familiale dépeint avec justesse l’évolution de ses personnages à travers le temps et offre notamment un portrait pudique de la mère de Mason, spécialiste des choix amoureux destructeurs, absolument bouleversant.
Tempus fugit
Le temps qui passe et transforme peu à peu le physique des acteurs est le personnage invisible mais omniprésent qui rend cette fresque envoûtante. L’effet est tellement saisissant que le scenario, au plus proche du réel, n’a pas besoin de nous surprendre avec des rebondissements incroyables. Mason grandit et évolue au rythme des petits riens du quotidien et d’étapes formatrices : déménagements, rentrées des classes, premiers émois… avec toujours en fond l’évolution de sa structure familiale.
Si la vie de ce fils de parents divorcés est plutôt banale c’est justement ce qui rend son parcours si familier au spectateur : nous avons tous été Mason. Dans l’esprit, ce film ovni est à rapprocher de la trilogie Before Sunrise (1995) – Before Sunset (2004) – Before Midnight (2013) dans lequel le réalisateur, décidemment obsédé par le temps qui passe, relate une relation amoureuse tumultueuse entre Jesse (Ethan Hawke) et Céline (Julie Delpy) sur près de vingt ans.
Cette fois-ci, Richard Linklater abandonne les grandes discussions passionnées de ses amoureux fétiches pour privilégier les petits mots du quotidien familial, et ces regards et silences qui en disent long. Le temps qui passe à l’écran fait le reste.
Bien au-delà de la curiosité induite par la méthode de tournage, Boyhood fascine par sa simplicité et sa sensibilité. Richard Linklater maitrise à la perfection ce puzzle tourné sur plus d’une décennie et nous livre un magnifique voyage dans le temps captivant et émouvant. Une œuvre universelle sur le temps qui passe, d’une sincérité touchante. Une exploration de l’enfance et de l’adolescence comme on l’a rarement vue au cinéma. Immanquable.
> Boyhood, réalisé par Richard Linklater, États-Unis, 2014 (2h43)