En Angleterre, l'auteur Simon Reynolds est connu par le public initié pour ses écrits nombreux sur la musique électronique. Dans ce recueil, qui retrace vingt-cinq ans de rencontres, de concerts, d'interviews, d'analyses, de musique, écoutée, on l'imagine, dans tous les sens et à tous les moments de la journée, il est tout autant question de rock, de punk, de pop, de hip-hop, que d'électronique. Bref, il est question de musique et de gens qui lui consacrent leur vie. Le critique compris.
Prompt à l'analyse, le cérébral Simon Reynolds a ce talent particulier pour écrire des mini-thèses de quelques pages, bien argumentées et documentées, sur des sujets qui, dans le quotidien, se réduisent à des successions de sensations. Bien sûr, on se lasserait vite d'un livre qui se contenterait d'exprimer un avis subjectif sans aucune mise en relief. Mais les tendances très fortes ici à tout passer au crible d'une plume intellectuelle et érudite, en n'hésitant pas devant les mises en perspectives politiques, les analyses crypto-philosophiques, les examens esthétiques qui scannent l'intention et la posture plus que les effets, tout cet attirail, au demeurant assez brillant, peut produire un premier effet légèrement étouffant de prime abord.
Le sens de la formule
Il faut donc un certain temps pour passer outre le sentiment de légère vanité à la lecture des premières pages. A travers tous ces artistes cités à tort et à travers, la première personne qu'on découvre dans ce recueil d'articles, c'est d'abord le critique, qui porte sur chacun de ces sujets un regard bien particulier derrière ses lunettes solidement vissées. On finit quand même par ouvrir avec une certaine fébrilité les pages d'interviews des Dinosaur Jr, Pixies, Beastie Boys, Animal Collective, PJ Harvey, Pavement ou Morrissey, à la recherche de quelques citations fameuses ou (et c'est plus facile) de quelques sentences bien senties de Reynolds. Citons pour l'exemple : "Ils sont mous, mais ils volent très haut", à propos de Dinosaur Jr. Sévère mais juste.
Au-delà du papillonnage d'une rencontre à l'autre, on finit aussi par s'intéresser aux notes accompagnant l'édition du livre en 2007. Les quelque vingt ans d'écart qui séparent certaines d'entre elles des articles originaux ouvrent la brèche d'une auto-critique (fichtre) de la part du chroniqueur, qui ne manque pas d'une certaine sévérité également à l'égard de ses propres erreurs de jugement d'alors. On se délecte alors de relire certains articles dans leur contexte de l'époque, avec le recul d'aujourd'hui (citons, là encore à titre d'exemple, Nirvana épinglé en quelques mots comme un groupe sans intérêt et pataud au détour d'une compilation du label Sub Pop en 1989).
Au bout du compte, au bout de plus de six cents pages de dérives analytiques, critiques, chroniques, piques et tics, le verdict n'est finalement pas si mauvais. Tout cet agencement de mots, aussi savamment orchestrés soient-ils, ne remplace pas le fait d'écouter la musique dont il est question tout au long du livre. Mais il donne plutôt envie de le faire. Mission accomplie.
> Bring The Noise, 25 ans de Rock et de Hip Hop, Simon Reynolds, Au Diable Vauvert, mars 2013