La capote en berne

La capote en berne

La capote en berne

La capote en berne

6 octobre 2011

Les jeunes européens se protègent de moins en moins lors de rapports sexuels avec un nouveau partenaire. Des chiffres alarmants montrent que les Français sont fortement touchés par cette absence de protection. Entretien avec Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Planning familial, pour parler contraception et éducation à la sexualité.

« Sans préservatif, c’est avec le SIDA que vous faîtes l’amour »| Campagne AIDES 2009

Selon une étude menée dans 29 pays[fn]Enquête réalisée entre avril et mai 2011 par l’institut GFK pour le groupe pharmaceutique allemand Bayer, auprès de plus de 6 000 personnes âgées de 15 à 24 ans (jusqu’à 30 ans dans le cas de l’Egypte). Enquête publiée le 26 septembre à l’occasion de la Journée mondiale pour la contraception.[/fn] auprès d’Européens âgés de 15 à 24 ans, 42 % affirment avoir eu des rapports sexuels non protégés avec un nouveau partenaire en 2011. Un an auparavant, ce chiffre s’élevait à 36 % ! Autre donnée inquiétante, en France, le nombre de jeunes ayant eu un rapport sans contraception avec un nouveau partenaire a augmenté de 111 % entre 2009 et 2011, passant de 19 % à 40 %.

L’occasion de faire un point sur la contraception chez les jeunes et plus généralement sur l’éducation à la sexualité, notamment dans le cadre scolaire. Pour Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Planning familial, il y a un sérieux manque d’informations chez les jeunes. Non qu’ils ne veulent pas s’informer ou qu’ils n’en voient pas l’intérêt, mais tout simplement parce que la loi n’est pas appliquée. Entretien.

Etes-vous surprise par les résultats de cette étude ?

Oui et non. Oui car avec toute l’information à laquelle les jeunes ont accès, en théorie, on pourrait penser qu’ils sont au courant, mais la réalité est différente. Dans les faits, ces résultats ne me surprennent pas car la loi n’est pas appliquée en matière d’éducation à la sexualité. Il y a un réel manque chez des jeunes. Il y a un déficit d’informations, une méconnaissance de soi et de son corps mais aussi de nombreuses idées reçues sur la sexualité. Beaucoup pensent encore que le risque n’existe pas lors du premier rapport sexuel. De la même façon, certains imaginent que sans pénétration, il n’y a aucun risque ni d’être enceinte, ni d’avoir une IST (Infection sexuellement transmissible), ni de devenir séropositif.
Autant de choses qui devraient être abordées grâce à la loi de 2001. Ce texte, qui certes pourrait être amélioré, organise l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire. Mais la loi n’est pas mise en œuvre. Les jeunes se retrouvent démunis au moment de la relation sexuelle, ne sachant pas forcément quoi faire.

Que prévoit précisément cette loi ?

La législation préconise trois séances par an, du primaire à la terminale. Des sessions qui leur permettent d’être informés sur la question de la sexualité, de répondre à leurs interrogations : comment est-on fait, comment cela fonctionne, la relation affective, le lien social, le rapport de domination, la relation à l’autre, etc. Ainsi les jeunes qui entament une relation sexuelle peuvent s’appuyer sur un background. Donner les informations en amont pour qu’ils aient les clés.
Sur le terrain, la réalité, c’est que les jeunes ont une heure d’éducation à la sexualité, en classe de quatrième, en sus des cours de SVT (Sciences de la vie et de la Terre). Et quand ils ont également une heure en troisième, là, c’est l’extase ! C’est tellement rare. De plus cela exclut ceux qui sont sortis du système (BEP, CAP, etc.).

Marie-Pierre Martinet, du Planning familial. | Photo Photo Anne Vince

Pourquoi cette loi n’est-elle pas appliquée ?

La loi, les circulaires ou les décrets d’application ne disent pas qui fait quoi, comment et avec quel argent ! Ni quelles sont les obligations en la matière. Tout cela est laissé au libre arbitre du chef d’établissement. Il y a une loi mais aucune contrainte ! On fait de grandes déclarations mais derrière, on ne se donne pas les moyens. Pourquoi ? Parce que la sexualité est toujours taboue en France, et la sexualité des jeunes, encore plus. Il faut absolument sortir de cela et la question de l’éducation à la sexualité y contribue. Par exemple, quand le ministère de la Santé a installé des distributeurs de préservatifs masculins et féminins, on a entendu quelques grognements, mais pas grand-chose. On l’a présenté sous l’angle de la protection du sida, mais on n’a pas abordé la question en termes de moyen de contraception, de sexualité.
Au contraire, quand en novembre 2009, la région Poitou-Charentes a souhaité lancer le Pass’ contraception (qui vise à permettre aux jeunes une meilleure accessibilité à des consultations et des contraceptifs, de manière anonyme et gratuite, NDLR), on était sur la logique « prévention des grossesses non désirées » : là, on a fait un tollé ! A travers ces exemples, on voit que la question de la sexualité des filles, dans le cadre scolaire, n’est pas traitée de la même façon que celle des garçons. Il y a une sorte de contrôle parental sur la sexualité des filles. Sauf que cela fait des années que les filles ont le droit d’avoir une contraception !

« Peu formés, les médecins sont totalement démunis face aux jeunes »

L’éducation à la sexualité, c’est notamment parler de contraception…

Les jeunes ont besoin de savoir quel mode de contraception prendre, d’avoir des outils en main pour faire des choix éclairés, y compris dans une relation où le garçon ne veut pas utiliser le préservatif. La prévention, c’est également aborder la question de la négociation de la protection, comment la gérer. L’éducation à la sexualité, c’est aussi la prévention des grossesses non désirées, la question de la prévention des IST, du sida.
Pour parler spécifiquement de la contraception féminine, il faut insister sur le fait qu’une consultation en contraception n’est pas une consultation comme une autre : on n’est pas malade. Il faut vraiment rentrer dans une discussion avec la personne qui souhaite un moyen de contraception.
Or, les prescripteurs, ce sont les médecins qui ne sont pas suffisamment formés. Ils suivent trois heures en formation initiale sur le thème « contraception et avortement », abordé sous l’angle des conséquences pathologiques et non pas sous l’angle de la technique elle-même. On ne demande pas au médecin de poser un diagnostic mais d’écouter et de discuter avec des personnes. Et le rapport médecin-patient est en fait un rapport sachant-profane. Au Planning familial, nous avons eu des témoignages de jeunes médecins en zone rurale totalement démunis, qui ne savaient pas comment faire. Alors imaginez quand la jeune femme n’a pas accès aux informations en milieu scolaire…

| Photo FlickR, CC, Shemer

La multiplication du porno sur internet a-t-il un impact, notamment avec une pratique sexuelle sans protection ?

Ce n’est pas le porno en tant que tel qui pose problème, même si évidemment, il y a la question du sexe sans préservatif. Ce qui nous questionne, c’est la représentation que ces films font des deux sexes, un renforcement des assignations du masculin et du féminin. L’homme est dans la performance, obligé d’être en érection 24h/24, la femme dans la douceur, offerte, toujours prête à passer à l’acte.
J’en reviens à l’éducation à la sexualité qui est insuffisante. Il faut donner aux jeunes les outils pour qu’ils puissent décoder ce qui est bien ou non, ce qui se fait ou pas. Parce que quand vous avez le souci de l’autre, vous vous interrogez forcément sur ces pratiques. Le but étant de permettre aux deux sexes de se protéger dans la relation. Cette question devrait être abordée de manière simple et claire depuis longtemps à l’école : la relation à l’autre, le regard que l’on peut avoir sur l’autre, le droit de dire non. De cette manière, je pense qu’ils seraient tout à fait capables, eux-mêmes, de décoder ce qu’ils voient et de dire « ce n’est pas la vraie vie ».

Cette étude internationale met clairement en avant que le réflexe du préservatif s’estompe…

Utiliser le préservatif lors des premiers rapports, c’est une preuve d’amour, un signe de respect et de confiance, mais ça va très vite devenir une marque de défiance pour les suivants. Le fait de continuer à l’utiliser laisse planer une suspicion.
Par ailleurs, si aujourd’hui, on a un déficit d’utilisation du préservatif au premier rapport c’est aussi parce qu’une part de la population ne se sent pas concernée. Les campagnes sur l’utilisation du préservatif ont été axées sur la protection, notamment en direction des populations cibles – les homosexuels, les toxicos – pouvant être potentiellement contaminées par le VIH : la question de la prévention des grossesses non désirées n’a pas tellement été abordée. Conséquence directe, les jeunes qui ne se sentent pas forcément concernés, se « désimpliquent ».
Cela s’ajoute à une méconnaissance et/ou à des idées reçues et conduit à une chute de l’utilisation de la capote, une baisse de vigilance. Les risques ont été segmentés et aucun pont n’a été fait entre ces différentes luttes. Or, il faut une approche globale pour aborder l’entrée en sexualité. Parce que le préservatif sert à se protéger contre le VIH, mais il est aussi utile pour la prévention des IST et celle des grossesses non souhaitées. Il ne faut pas uniquement en parler sous l’angle du risque mais, au contraire, donner aux jeunes les clés de la sexualité et leur indiquer comment gérer les risques.

| Photo stock.xchng.com Patti Adair

Avec de tels chiffres, faut-il en conclure que les campagnes de sensibilisation manquent d’efficacité ?

Sans être catégorique, il est vrai qu’une telle étude, sur des 15-24 ans, montre les limites des campagnes et obligent à travailler dans plusieurs directions : comment est-ce qu’une campagne nationale est relayée au niveau local, que se passe-t-il au niveau des territoires, avec les acteurs, quels sont les relais qui peuvent se réapproprier la question ; quels sont les acteurs locaux qui peuvent se rencontrer et continuer à diffuser la campagne. Il faut relayer sur le terrain et non pas se contenter de quinze jours de campagne nationale, avec quelques spots à des moments forts de la journée.
Par contre, dire que les messages de prévention sont totalement inefficaces, c’est trop simple et c’est surtout se dédouaner. Une fois ce constat établi, je trouve plutôt intéressant de se demander pourquoi cela ne fonctionne pas : est-ce un problème d’accès à l’information, un problème de coût, pourquoi est-ce qu’on manque les cibles. Il faut déjà mettre en place ce que permet la loi. Ensuite, un nouveau constat pourra être fait pour voir la manière d’être encore plus efficace. C’est toujours très facile de renvoyer sur les autres une responsabilité quand on passe son temps à tout segmenter. Je me répète mais il faut une approche globale.

« Pour lutter contre le sida, on n’a pas abordé l’angle contraception »

La peur du sida n’incite-t-elle plus à utiliser le préservatif ?

Attention, il n’y a pas de banalisation du sida, ce n’est pas vrai. Le sida et la séropositivité, ça fait bientôt 30 ans qu’on en parle, c’était en 1984. Et certes, il y a d’énormes progrès… Mais c’est la manière d’en parler qui a biaisé les choses. Pour lutter contre cette maladie, on s’est concentré sur la population homosexuelle masculine, aux toxicomanes (seringues), sans aborder l’angle contraception. Il faut bien avoir à l’esprit que, à la fin des années 1960, la France est rentrée dans la contraception avec la pilule, alors que les pays voisins, comme l’Espagne et l’Angleterre, utilisaient déjà le préservatif. En France, la diffusion et la vulgarisation de la contraception se sont faites par des méthodes orales et non par des méthodes barrières (préservatifs masculin ou féminin, diaphragme, cape cervicale, spermicides).
D’autre part, je suis profondément et farouchement opposée au principe visant à dire que les gens sont inconscients. Ce n’est pas forcément de l’inconscience mais c’est une gestion des risques qui est différente. L’inconscience pourrait supposer une immaturité, or les gens sont globalement responsables. Le problème, c’est la manière dont se fait l’information et comment on maîtrise cette affaire. Ce qui m’intéresse, à partir de ce constat – déficit d’informations, baisse de pénétration des campagnes auprès des populations en général – c’est de se dire, « que faut-il faire maintenant ? ».

| Photo FlickR, CC, Pedro Vezini

Quel est votre principal combat aujourd’hui ?

Notre objectif, c’est qu’un jeune, une jeune, qui vient chercher des informations, s’il a envie d’un moyen de contraception, il faut qu’il puisse repartir avec une réponse à sa visite. Il n’est pas question de le réorienter vers un autre professionnel prescripteur, parce qu’on lui met des handicaps supplémentaires. C’est aussi une forme de réponse. C’est une première marche d’entrée dans une contraception régulière.

Un rapport contre le « tout-pilule », cher au professeur Israël Nisand, va être remis au secrétariat d’État à la Jeunesse. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Le Planning familial n’est pas pour le tout-pilule, mais pour le choix, ce qui n’est pas la même chose. Il y a des personnes à qui la pilule va très bien, donc il n’y a pas de raison de leur interdire sous prétexte que, peut-être, on pourrait l’implanter. Aujourd’hui, quand une fille vient consulter et qu’elle veut la pilule, souvent il faut entendre, « je veux un moyen de contraception ». Et c’est là qu’il faut discuter, lui demander si elle connaît toutes les méthodes de contraception, si elle veut commencer par une en particulier. Il n’y a pas de dogme en la matière. Il faut être très humble. Si ces personnes ont besoin d’infos, on leur en donne ; si elles ont déjà fait leur choix, nous devons savoir écouter ce qu’elles ont à dire. Ensuite, il peut y avoir des discussions, mais en aucun cas une injonction. Pour moi, le dogme du tout-pilule, il est lié à la méconnaissance des médecins, à leur absence de formation et au nombre incroyable de pilules différentes.