Le quartier du Castro tire son nom d’un éminent général mexicain, José Castro. Car avant d’appartenir aux Etats-Unis et de devenir le seul état américain dont la notation financière est inférieure à celle de la Grèce, la Californie, et donc San Francisco, appartenait au Mexique. Il aura fallu une bonne guerre des familles, une enveloppe de 15 millions de dollars – l’équivalent de 600 millions de billets verts d’aujourd’hui – et un petit traité pour que l’affaire soit entendue : le Texas, la Californie, l’Utah, le Nevada, le Colorado, le Wyoming, le Nouveau-Mexique et l’Arizona, c’est huit stars de plus sur une bannière déjà pas mal étoilée.
Le Castro antéchrist
Avant de devenir le Castro, le quartier était connu sous le nom d’Eureka Valley. Dans les années 10, on le surnommait également la petite Scandinavie tant le nombre de blondinets et de blondinettes débarqués de Suède, de Norvège, du Danemark et de Finlande était important. Pendant l’entre-deux-guerres, ce sont les Irlandais qui débarquent massivement et ce jusqu’au milieu des années 60. De la working-class adepte du God qui ne facilitera pas l’implantation de la communauté homosexuelle. Mais cette dernière s’amène petit à petit depuis la fin des années 50 même si le gros des troupes se pointe essentiellement à la toute fin des années 60.
Le Castro fait alors la nique à son voisin libertaire d’Haight Ashbury, Eden des hippies au milieu des sixties qui file, à la fin de la même décennie, un mauvais coton. Les paradis artificiels si prometteurs ont eu raison de barbus utopistes et prophétiques. La came a rendu tout gris : les visages, les trottoirs et les idées. Les gays et lesbiennes que le mouvement babos et la libération des mœurs auront bien aidé décident donc de s’installer à quelques encablures de là, dans le Castro.
Le naissance de l’homo consuméris
Le quartier de six blocks sur six épouse les pentes abruptes des collines de Frisco. Tramway, petites boutiques, bars parallèles, la vie paisible. Peu à peu les familles décampent et le quartier s’anime. Les policiers ne voient pas ça d’un bon œil et usent de leurs grosses matraques pour botter le derrière des fagots[fn]Fagots est un terme argotique et péjoratif anglais pour désigner les homosexuels[/fn]. Mais les homos ne baissent pas les yeux bleutés par les coups. La riposte s’organise alors et un leader naît, il s’appelle Harvey Milk. Proprio d’un magasin de photo dans le quartier, il décide de recenser les magasins gay friendly et de diffuser la liste au public. Une franche réussite. Ceux qui sont sur la liste prospèrent tandis que les hostiles ont du mal à subsister et finissent, la plupart du temps, par couler.
Harvey Milk, qui inspira un film au réalisateur Gus Van Sant en 2009, a compris que le pouvoir d’achat n’était pas seulement une force économique mais également une force politique. Ainsi, lorsque qu’un syndicaliste du Teamster, syndicat des routiers américains, vient lui demander de soutenir son combat en boycottant la bière Coors, alors n°1 sur le marché, Milk saisi l’occasion en échange de quoi il demande que les gays soient engagés comme chauffeurs. Suivi par la communauté, qui maintenant conduit des camions, il fait s’effondrer la marque, dans le Castro, puis à San Fransisco, puis en Californie puis dans tout le pays. Application concrète du "je consomme donc je suis" mise au service de la reconnaissance d’une minorité mal acceptée. Smart. Les homos s’intègrent, doucement.
Le paradis d’Adam et Bruce
Et pourtant. Au même moment, une certaine Anita Bryant, ancienne miss Oklahoma, égérie d’une marque de jus d’orange (sic) et farouchement homophobes tente de faire abroger une loi anti-discrimination en Floride et martèle que « si l’homosexualité était la voie normale, Dieu aurait créé Adam et Bruce. » La communauté gay se mobilise et, une nouvelle fois, le Castro est le Q.G. de la contre offensive. Harvey Milk et ses potes réussissent un tour de force lorsqu’ils empêchent l’adoption de la proposition 6 visant à interdire l’exercice du métier de prof aux hommes qui aiment les hommes. Le sénateur Briggs à l’origine du projet de loi peu aller se rhabiller chez "tout nu". La reconnaissance est en marche.
Mais le quartier gay friendly va faire face à deux coups durs. L’assassinat d’Harvey Milk, d’abord. Le héraut de la lutte pour la reconnaissance des droits des homosexuels, premier gay à siéger au conseil municipal, se fait buter en 78 par Dan White, un ex collègue du conseil, catholique et conservateur. Il assassinera le même jour George Moscone, maire de Frisco.
L’arrivée du sida dans les années 80, ensuite. Les gays sont particulièrement touchés par le virus et le Castro en prend pour son grade. Campagnes de sensibilisation, fermetures des bains publics, le défi est immense et toujours d’actualité.
Le quartier est aujourd’hui devenu la vitrine d’une intégration partiellement réussie. S’il n’est pas encore tout à fait légal en Californie, le mariage homosexuel est désormais une réalité dans plusieurs états américains. Le quartier possède de nombreux bars gays et lesbiens et le musée de l’histoire LGBT a ouvert ses portes début 2011. Le quartier jouit de la prestance des grands qui n’ont plus rien à prouver et grâce auxquels les choses ont un jour basculer, ceux, qui passé un certain âge, parle davantage avec leur silence.
> L’OMS n’a supprimé l’homosexualité de sa liste des maladies mentales qu’en mai 1992.