Accompagnés de leurs chiens renifleurs de trésor, un cortège d’anciens sillonne chaque année des forêts isolées du Piémont italien. Leur quête : la truffe d’Alba, ingrédient culinaire le plus cher au monde.

Ces chasseurs de truffes vivant en marge de la modernité sont les véritables gardiens de terres menacées. Tant bien que mal, ces seniors passionnés luttent pour protéger une méthode ancestrale face à une multitude de menaces planant sur le luxueux champignon.

Mythe quasi mystique

Dans les forêts les plus impénétrables du Piémont italien se cache un butin convoité que seuls de rares initiés savent dénicher. Personne ne sait comment ni pourquoi mais ici, aux racines des grands chênes, pousse la truffe blanche d’Alba.

Pour ajouter à la légende de ce champignon d’exception, certains affirment que cette truffe ne se développe qu’à la base d’un arbre qui a été frappé par la foudre. D’autres avancent qu’elle est sensible aux phases de la lune ou aux champs magnétiques.

Influencée par des forces naturelles ou non, la truffe blanche d’Alba est l’un des ingrédients les plus rares et les plus chers au monde. Un statut d’exception qui attise les convoitises depuis le pied des chênes jusqu’à l’assiette finale.

Le monde d’avant

Documentaire totalement dépaysant, Chasseurs de truffes explore un microcosme caché avec de véritables personnages qui évoluent en marge de la modernité. Ces seniors chasseurs de truffes qui sont en majorité solitaires et très attachés à leurs chiens vivent dans un monde sans Internet, dépourvu même d’ordinateurs.

Dans ce monde organique, quasi sans plastique, la déconnexion à laquelle invite le documentaire est totale. Ces chasseurs attachants vivent dans ces forêts depuis leur enfance. Elles sont un refuge face à un monde extérieur qui les laisse, au mieux, indifférents.

Leur rythme de vie n’a pas été chamboulé par la révolution numérique. Dans ce paisible Piémont italien, la nature mène invariablement la danse. À quelques détails près, Chasseurs de truffes pourrait très bien avoir été tourné dans l’Italie des années 60. Un parfum nostalgique d’une tradition immuable plane sur les activités très discrètes de ces chasseurs de saveur.

Immersion dans le champignon

Pour capter cette atmosphère de temps suspendu si bien rendue dans leur documentaire, les deux réalisateurs ont dû gagner la confiance de ces chasseurs très particuliers, peu enclins à se livrer. À travers le rythme posé du film, les cinéastes épousent cette atmosphère mystérieuse à la frontière de la magie qui entoure cette chasse ancestrale.

Les plans très soignés et le soin apporté à l’environnement sonore font de Chasseurs de truffes une expérience cinématographique envoûtante. Pour composer leurs plans très structurés, les cinéastes ne se cachent pas d’avoir été inspirés par les grands maîtres. Certaines scènes peuvent en effet rappeler les tableaux signés Caravage, Rembrandt ou encore Titien.

La beauté des images renvoie à cette sensation d’un monde hors du temps, immuable comme cette tradition qui permet aux discrets chasseurs de trouver le très prisé champignon. L’immersion est totale dans l’intimité de ces gens taiseux qui effectuent encore des gestes remontant jusqu’à sept générations en arrière.

Tant de chiens

Birba, Biri, Fiona, Charlie, Nina, Titina et Yari. Pour trouver la célèbre truffe, celle de ces chiens est indispensable. Pour faire vivre au plus près cette quête de la truffe blanche d’Alba, Chasseurs de truffes adopte un procédé pour le moins original.

Obtenues grâce à un harnais équipé d’une caméra positionné sur les chiens, les images chaotiques de la chasse vue à travers le regard canin tranchent avec les plans statiques de leurs maîtres. Elles traduisent l’excitation d’une quête guidée par une truffe bien entraînée qui n’a rien à envier à celle du gourmet en fin de parcours.

Véritables radars pour localiser le champignon, les chiens utilisés dans la pratique sont bien plus que de simples collègues de travail. Pour ces chasseurs si particuliers, ils sont de leur famille.

Ainsi l’un deux prend son bain avec son fidèle compagnon tandis que Carlo, 88 ans, s’enfuit en plein nuit avec Titina pour chasser le champignon malgré les vaines protestations de sa femme Maria Cicciù.

Pour ses chasseurs sentimentaux, impossible d’imaginer vendre leur animal de compagnie considéré pour beaucoup comme leur enfant. Très protecteurs, ils sont d’autant plus méfiants que certains chasseurs concurrents peuvent tenter d’empoisonner leurs fidèles compagnons.

Money money money

Une fois la récolte réalisée, la truffe doit découvrir le monde extérieur. Chasseurs de truffes montre son destin : la négociation, puis la vente et enfin la dégustation. La modernité qui s’invite alors dans le documentaire tranche avec l’atmosphère intemporelle du quotidien des anciens.

La passion laisse la place à l’aspect financier du commerce. Au plaisir de dénicher la perle rare s’oppose une somme d’argent conséquente. Ces dernières années, la diminution de la récolte a provoqué une spectaculaire flambée du prix de la truffe d’Alba. Vendeur élégant, Gianfranco peine à faire face à la demande du marché provenant de clients du monde entier comme des chefs étoilés locaux.

Authentificateur, Paolo est de ceux qui mettent un prix sur cette denrée rare. Il examine les truffes une à une, les plus belles pouvant atteindre 110 000 dollars. Cette pression financière influe sur le petit monde à part des chasseurs.

Ainsi Angelo et Egidio, deux cousins, symbolisent dans le documentaire cette collision entre deux mondes qui semblent incompatibles. Puriste, Angelo ne veut plus chasser la truffe, dégoûté par l’univers commercial qui entoure ce qui reste pour lui une passion.

A contrario, Egidio a embrassé la modernité et cherche la rentabilité. Il pense avoir percé le secret de la culture des truffes blanches. Il aurait une méthode, contestée par les gardiens du temple, pour produire à coup sûr les plus belles truffes. Chasseurs de truffes est aussi un conte sur cet équilibre très fragile entre la tradition passionnée et la modernité commerciale.

Chut…

Le lieu, la méthode pour chasser mais aussi le dressage des chiens, les anciens gardent jalousement ces informations. Les chasseurs ne dévoilent rien de leur secret, ni à leurs femmes, ni à leurs meilleurs amis, ni à leurs prêtres. Même entre eux, les anciens ne se confient pas.

Le secret des truffes blanches est impénétrable, au risque de disparaître sans héritiers pour prendre la relève. Ce petit monde vivant en vase clos est un îlot de discrétion au sein d’une modernité sur-connectée où l’information circule en temps réel.

L’univers désuet et confidentiel dévoilé par Gregory Kershaw et Michael Dweck est cependant très fragile. Le changement climatique, la pollution agricole, la récolte prématurée des truffes ou encore la déforestation… Basée sur le culte du secret, cette tradition est menacée de toutes parts.

Plongée inédite dans l’univers étonnant de la truffe blanche d’Alba, Chasseurs de truffes dévoile les dessous d’un monde secret fait de silences dont la fragilité fait la beauté. Un documentaire savoureux pour les gourmets et les curieux en quête de dépaysement.

> Chasseurs de truffes (The Truffle Hunters), réalisé par Gregory Kershaw et Michael Dweck, Italie – Grèce – États-Unis, 2020 (1h24)