Pas de successeur sans prédécesseur alors récapitulons. Le hipster, c’est un sociotype fourre-tout : l’adorateur d’une musique newyorkaiso-brixtonnienne que personne ne connaît, un graphiste apolitique adepte du contrejour photographique, retrousseur décérébré de chinos trop colorés. Le hipster est un consommateur merdique incapable de penser, seulement de consommer. Consommer pour exister, la belle affaire. Bref, le hipster serait, ou aurait été, un espèce d’ado vaguement attardé de 25-30 ans, mais au pouvoir d’achat certain et donc au pouvoir social réel. Dès lors son apolitisme devient politique, son non-engagement un genre de vote blanc comptabilisé. Lu, vu, entendu… Et après tout, peu importent les raisons de ce déferlement. Aujourd’hui le hipster va nous servir à esquisser les contours de son continuateur (tout aussi fourre-tout).
Inventeur du poujadisme 2.0
Il était couramment admis que le hipster ou dickhead était un créa, plutôt graphiste, ou designer, ou musicien. Le cheapster, lui, ne créé pas des masses. En revanche, il a des idées, plein d’idées. Journaleux, chargé de comm, universitaire… il érige une forme d’engagement exacerbé en sacerdoce. Il cherche la petite bête, la montre du doigt et se gargarise de cette prouesse. Plutôt à gauche, il est en fait déçu. Et de fait, bien plus déçu par la gauche que par la droite. C’est donc à coups d’articles, de tweets, statuts et autres commentaires vachards que le cheapster cultive un poujadisme 2.0. Car lui s’exprime au delà des terrasses de la rue Tiquetonne. Il a un pouvoir, celui d’être entendu. Pourfendeur de la «société du spectacle», il est en réalité un ces acteurs les plus remuants qui, à force de mégoter, crache sur les médias, les politiques, l’artiste, le tout-un-chacun… Tout cela à la force du second degré. Une néo-élite qui revendiquerait cependant des goûts simples, presque adolescents.
Néo beauf classieux
Car, paradoxalement, le cheapster met un point d’honneur à se réapproprier tout ou partie d’une certaine culture populaire et sublime le cheap en cool. Il prendra, par exemple, un malin plaisir à se checker au Mcdo de Max Dormoy un dimanche à 11h du mat’. Fuck the brunch. La veille, il n’aura pas raté une miette de la journée de championnat qui aura vu son équipe fétiche (Paris, Nantes ou Manchester) planter quelques pions. Musicalement, il était rock/indie mais repique goulument, depuis quelques années maintenant, dans le rap et a largement contribué au retour de hype du RnB. Coté fesse et coté mec, le cheapster, maqué ou pas, est un gros consommateur de porno et, de fait, aime plutôt bien les gros seins. La chirurgie esthétique ne le dérange pas, au contraire. Excepté pour le dernier exemple, le cheapster se décline dans une version aussi bien masculine que féminine. Les filles s’appropriant ici gaiement une culture (junk food, foot, rap et même jeux vidéo) qui était jusqu’à présent considérée comme la chasse gardée des hommes.
En réalité le cheapster du haut de ses 30-35 ans tente de rompre nonchalamment avec la superficialité apparente de son prédécesseur en se réappropriant la culture de ses 15 piges. Pipi, caca, Proust. Du coup vestimentairement, ce n’est pas si simple. Il y a ce sweat à capuche gris qu’il aime tant et qui commence à se détendre. Puis ses Nike air. Puis c’est tout. Le reste c’est pas important. Quand il a des poils, il a une barbe qu’il n’entretient pas. La main dans le slip, le cheapster a les attributs du machiste sans les idées qui vont avec. Hédoniste, le cheapster est un genre d’ado érudit qui renoue sans complexe avec ses amours d’antan. Sa nonchalance intellectuelle et sa position sociale lui permettent d’exister au delà des terrasses branchouilles et des journaux féminins. Et les limites de son engagement s’expliquent aussi probablement par la difficulté d’exister et de truster les likes ou le retweets dans des milieux (journalistico-interneto-intello) qui érigent parfois le nihilisme comme valeur refuge…