« J’expliquais un jour que si Donald passe son temps les fesses à l’air, c’est parce qu’il en est resté au stade anal. Dans les commentaires, un étudiant en psychologie, furieux, a écrit que c’était une honte de dire des choses pareilles. Je n’ai pas répondu. J’ai pensé que c’était trop surréaliste de débattre du cul de Donald. » Marion Montaigne, illustratrice, dessine la science sur son blog Tu mourras moins bête, sous-titre, mais tu mourras quand même ! Le ton est donné. Messieurs les bien-pensants, passez votre chemin ! Ici, on rit de la mort, des morts, des maladies et des vieux. On parle de cul comme on parle astronomie. Le trait et la langue de la dessinatrice, petite et discrète, sont sacrément bien pendus.
Tu mourras moins bête a été lancé durant l’été 2008. « Personne ne s’en souvient mais c’était un été pourri. Je n’avais pas de boulot, alors j’ai décidé de mettre mes dessins en ligne. » Le blog démarre doucement. Un jour Boulet, dessinateur et blogueur influent, le conseille sur son propre site. Pari gagné, elle avait la reconnaissance de ses pairs. Aujourd’hui c’est près de quatre cents internautes qui affluent chaque jour. Une véritable prouesse puisqu’un emploi du temps chargé ne lui permet de publier qu’une seule fois par mois. « Mais je livre des billets bien dodus. »
Le concept est, à chaque fois, identique. La scientifique fantoche répond à la question d’un lecteur, souvent fantoche lui aussi. Pragmatique : « Cher prof, si lors d’une mission vers Mars, l’un des astronautes venait à mourir. Que ferait-on du corps ? » Ou plus graveleux : « Hier, après le repas, ma femme m’a demandé de la baiser comme une bête. S’il vous plaît, dites-moi ce que je dois faire. Hubert C. »
Questions d'internautes
« Souvent les lecteurs me posent des questions, mais malheureusement, je peux rarement répondre. J’ai besoin de thèmes visuels et drôles sur lesquels je peux tenir sur une vingtaine de cases. » Un jour, un lecteur lui a demandé pourquoi les crottes d’yeux de son chat étaient noires. « Bon, ça doit être la saleté mais c’est bizarre puisque les nôtres sont jaunes… A mon avis, c’est parce qu’ils sont plus prêts du sol… Mais comment je peux tenir sur un sujet pareil ? » On aimerait pourtant la voir à l’œuvre, le début d’explication suffit à mettre l’eau à la bouche !
Quand elle a débuté, la spirituelle Marion avait déjà pas mal de dessins en stock. Tous inspirés de ses lectures ou des documentaires qu’elle a vus. Tous ont un point commun, ils traitent d’un thème scientifique. Médecine, balistique, astronomie, aéronautique, tant de domaines qui l’émoustillent, l’inspirent et déchainent un humour tantôt bon enfant, tantôt caustique. Elle est passionnée, ne supporte pas qu’on lui mente et déteste ne pas comprendre. Un (tout) petit côté préceptrice et la voici lancé dans un blog scientifique. « C’est incroyable de se dire qu’on a deux kilos de peau morte sur le corps. C’est fascinant, j’ai besoin de le dire aux autres ! »
Elle rencontre des scientifiques, fouille sur la toile, hante les bibliothèques. Car la demoiselle ne raconte pas que des polissonneries, elle donne aussi de vraies informations. Citazine l’a d’ailleurs découverte dans l’émission scientifique de France Inter, La tête au carré, décrite comme une vulgarisatrice scientifique !
Des bêtises, mais pas que
Quand elle énonce des faits scientifiques, elle les source toujours. « Il y a tellement de bêtises dans ce que je dis que je préfère indiquer mes sources quand ce n’est pas le cas. Et ces sources sont complétées par les commentaires de mes lecteurs scientifiques. » Car même des scientifiques la suivent et interagissent de bon cœur sur son blog.
Ses thèmes de prédilection : la médecine, l’astronomie et les erreurs dans les films. Impossible de ne pas l’imaginer lancer un laconique « ça s’peut pas » devant Chéri, j’ai rétréci les gosses. « C’est impossible de rétrécir un être humain. Il faudrait enlever le vide entre ses atomes et ses molécules. Et on plus, on ne perd pas en masse. Nos jambes se casseraient. C’est comme si on posait un hippopotame sur des allumettes ! » Et John Woo alors ? Il a fait n’importe quoi dans Volte-Face : « il devrait y avoir des rejets de greffe et le héros devrait prendre des médicaments ».
Grâce au blog, Marion est aujourd’hui sur des rails, autant qu’on puisse l’être en free-lance. Il marche si bien qu’il sera édité en version papier, avant la fin de l’année, aux éditions Ankama. Actuellement, elle dessine pour des magazines et est scénariste pour la deuxième saison de Mandarine and Cow, un dessin animé adapté d'une bande dessinée. D’ailleurs pour ses albums, elle est toujours scénariste et illustratrice. « C’est difficile pour moi de dessiner sur un scénario que je n’ai pas écrit. »
Elle a publié cinq albums. Le dernier est sorti en septembre dernier, La vie des très bêtes, tome 2. Tous abordent des thèmes de biologie ou de sciences naturelles ; les bêtes, les changements physiques à l’adolescence, etc. Elle aurait adoré être biologiste mais ne pensait pas être à la hauteur d’une carrière scientifique. D’ailleurs, elle ne se voyait pas non plus dessinatrice : « je ne croyais pas qu’on pouvait en faire un métier ! » Pas d’artiste dans la famille pour la pousser. Le dessin est un passe-temps, et rien d’autre. Et puis, tout à fait par hasard, au fil de ses lectures, Marion Montaigne apprend qu’illustrateur, c’est une vraie profession !
Bac en poche, elle entre à l’atelier de Sèvres, poursuit avec Estienne, école de dessin à Paris, XIIIe. Caustique et légère, elle donne l’impression que tout lui est arrivé par hasard. « On dessine tous des maisons quand on est petit. Moi, je n’ai jamais arrêté. » Pourtant, la jeune fille réussit le concours d’entrée à la formation "dessinateur d'animation" des Gobelins. Mais l’illustration, ce n’est pas son truc. En poste à TF1 jeunesse, elle l’apprend à ses dépends. « J’aimais la partie création, mais la partie technique, non merci. » Elle avoue elle-même manquer de rigueur.
Elle dessine, à l’instinct, spontanément. Elle aime les textes courts et les traits qui pulsent. « Je dessine aussi vite que ça va être lu. » Elle croque sur papier, le geste vif, et colore à l’aquarelle. Si le dessin est raté, elle recommence à côté, aussi vite que la première fois. Pour le blog, elle numérise ensuite les dessins et les met en ligne. « C’est une galère à nettoyer, il y en a partout. » La blogueuse nous montre ses planches, qui sont en fait les versos de feuilles déjà utilisées. On la soupçonne d’être brouillonne, la friponne. Mais, comme une résolution du 1er janvier, elle semble décidée à faire dorénavant des brouillons. Trente ans, l’âge de la maturité ?
Une bande d'illustrateurs
C’est dans un grand atelier parisien, Cité de l’ameublement, dans le XIe arrondissement, que les idées arrivent. Douze illustrateurs en free-lance se partagent cet espace qu’ils louent au père de l’un des occupants, un grand loft où on aime trinquer. « Oui, le vendredi soir, on a le droit. » On y sent battre l’émulation et la jeunesse inspirée. Leur atelier Manjari & Partners est aussi le nom de leur association. « C’est classe, ça fait américain. »
Marion parle alors de ses petits camarades, de leur talent, du propriétaire des lieux, dessinateur pour le cinéma, Jean-Marie Vivès, qu’elle trouve également très talentueux. Et puis encore d’un autre talentueux, Thomas Cadène, scénariste du feuilleton dessiné et quotidien Les autre gens, pour lequel dessine également Marion. Sa curiosité, tous azimuts, se destine aussi aux autres. Sieurs Igor et Grichka Caniche ne nous contrediront pas. Tous deux l’interpellent sur Tu mourras moins bête, en décembre dernier : « Chère professeure, mon frère et moi regardons souvent dans la même direction et nous demandons ce qu’est un MEB ». Le microscope électrique à balayage ? C’est pas sorcier !
Mis à jour le 23 février 2011 : rectification du nombre de visiteurs quotidiens sur le blog (400 et non 2 000).