Dis Siri : où sont les femmes ?
Alan Turing, Elon Musk, Bill Gates, Steve Jobs… Réflechissez aux personnes qui ont façonné l’informatique, il est probable qu’aucun nom de femme ne vous vienne spontanément à l’esprit. Coder serait donc une activité masculine ? C’est le constat qui semble en tout cas s’imposer devant cette liste des « informaticiens et précurseurs de l’informatique » qui transpire la testostérone, pas vraiment besoin d’écriture inclusive ici, ordinateur semble se conjuger au masculin. Parmi plus d’une centaine de concepteurs, développeurs, chercheurs en informatique, mathématiciens et autres théoriciens seulement trois femmes, perdues dans cet océan très viril. Deux femmes scientifiques ayant travaillé pour le MIT figurent miraculeusement dans cette liste : Margaret Hamilton qui a créé avec son équipe le système embarqué du programme spatial Apollo — Neil et Buzz peuvent la remercier — et Barbara Liskov qui a inventé le langage de programmation CLU avec ses étudiants. L’identité de la troisième femme est encore plus étonnante. Il s’agit de Ada Lovelace, également connue sous le nom de comtesse de Lovelace. Née en 1815, la comtesse décédée à 36 ans est une pionnière de la science informatique. Elle a réalisé le premier programme informatique alors qu’elle travaillait sur la machine analytique de Charles Babbage, l’ancêtre de l’ordinateur. Attention au choc pour les masculinistes : le premier « programmeur » du monde était une femme, vivant au XIXème siècle. Et personne ne connaît son nom, en tout cas en France. Sa réputation semble meilleure dans les pays anglo-saxons et en Allemagne nous assure Wikipédia, ajoutant prudemment « notamment dans les milieux féministes ». Zut, on y était presque. Maigre consolation pour la comtesse, le langage de programmation informatique Ada porte son nom en son honneur. Mais pourquoi si peu de femmes depuis Ada Lovelace ? Se seraient-elles mystérieusement désintéressé des technologies ou ont-elles été invisibilisées par la société patriarcale ? Avec pour accroche Histoire.s, genre.s, technologie.s, le rugissant événement Computer grrrls devrait nous éclairer sur le sujet et remettre les geeks machos à leur place.
Exp.l.oser les technologies numériques
Fil rouge de l’événement, l’exposition de Computer grrrls réunit vingt-trois artistes et collectifs internationaux qui livrent leur regard critique et incisif sur les technologies numériques. L’occasion pour le visiteur de découvrir le rôle méconnu des femmes dès les origines de l’informatique et d’explorer leur rapport aux machines. Une histoire à se réapproprier pour mieux se projeter vers des scénarios numériques futuristes plus inclusifs. Réalisées par des artistes chercheuses, hackeuses ou makeuses, les œuvres présentées questionnent la place des minorités sur ce qu’est devenu Internet, les biais de genre — que l’on retrouve notamment sur Wikipédia —, la surveillance numérique ou encore le colonialisme électronique. De quoi faire réfléchir à l’évolution du web qui vient de fêter ses trente ans, récemment ébranlé par la tempête numérique liée à la Ligue du LOL et aux révélations qui en ont découlé. Retrouvez une sélection d’œuvres dans le diaporama en haut de cet article.
Quatre week-ends pour tout reformater
En complément de l’exposition, Computer grrrls propose quatre week-ends d’évènements — performances, rencontres, ateliers, concerts, projections — pour faire bouger les lignes de l’univers numérique. Le premier week-end baptisé De Ada à Alexa se penche, les 16 et 17 mars, sur l’histoire méconnue des femmes et de l’informatique, offrant un tour d’horizon des calculatrices humaines aux assistantes numériques. L’occasion de rédiger des articles Wikipédia avec les sans pagEs à la gloire des femmes qui ont compté dans l’histoire de l’informatique pour faire mentir le début de cet article, de participer à une masterclass Native Sessions x Computer Grrrls en partenariat avec Barbi(e)turix qui a carte blanche le samedi soir pour vous faire danser ou encore d’assister à une conférence illustrée de Claire L. Evans sur Les femmes qui font Internet ! entre autres réjouissances.
Vendredi 19 et samedi 20 avril, le second week-end, plus explicite, s’intitule Suck My Code et s’intéresse aux moyens de lutter contre les biais sexistes dans le langage informatique. Il sera là aussi question du « fossé des genres » sur Wikipédia et de rendre l’intelligence artificielle plus inclusive. Au programme : la projection de Génération Proteus (1977) de Donald Cammell, un salon de fanzines Grrrls Tech Zine Fair, une conférence-performance Naive Bayes raconte de An Mertens, une table ronde pour se demander si l’intelligence artificielle est sexiste et comment combattre les biais dans le code, une performance Wikifémia – en français dans le texte de Roberte la Rousse et une carte blanche au collectif Comme Nous Brûlons samedi soir pour la partie dancefloor avec Gazelle Twin.
Samedi 18 et dimanche 19 mai, Dea Ex-Machina fait le lien entre chair et numérique. Ce week-end revisite l’imaginaire de la femme machine et explore la question de la représentation du corps dans l’univers numérique. De la femme mécanique immortalisée dans l’imaginaire collectif notamment par le Metropolis (1927) de Fritz Lang aux sexbots, des cyborgs aux avatars, quelle vision de la femme dans l’espace numérique ? Eléments de réponses avec la conférence-performance Somatopologies, Possible Bodies de Femke Snelting et Jara Rocha, l’Atelier T.I.N.A. (There Is No Alternative) qui permet de composer des personnages de jeux vidéos non stéréotypés à partir d’un jeu de cartes expérimental, la perfomance (la peau²) de Chloé Lavalette, les conférences Cyborgs, sexbots et tulpas ou encore des projections de films parmi lesquels This Country Is Lonely de Jaco Bouwer (2019). Et côté musique, Planningtorock présente son nouvel album Powerhouse le samedi soir.
Le dernier week-end s’étend du 14 au 16 juin. Renouveau technoféministe explore les mouvements techoféministes en forte résurgence depuis 2014. Comment envisager la technologie en lien avec l’écologie et l’économie dans des environnements de plus en plus toxiques, en ligne et dans la « vraie vie » ? Pour y répondre une conférence et performance Afrocyberféminismes #7, Trans Black Resistance pour rendre hommage à Marielle Franco et aux résistances queer afrobrésiliennes, un nouvel atelier d’écriture avec les sans-pagEs sur le thème « Afrocyberféminismes », un atelier Autodéfense contre les nuisances technologiques (deux séances sont proposées à partir de 8 ans à 15h30 et à partir de 16 ans à 17h30), une rétrospective de films de Nathalie Magnan, pionnière du cyberféminisme et activiste des médias, et un atelier Création d’objets do it yourself pour lutter contre les douleurs technologiques avec Dasha Ilina. Et pour se déhancher, carte blanche à Dame Electric le samedi soir.
Hackeuse c’est pas fini
Si votre soif d’informations n’est pas rassasiée, Computer grrrls c’est aussi des concerts supplémentaires dont la soirée Computer Grrrls x The Peacock Society du vendredi 12 avril avec notamment CURL, le nouveau projet de Mica Levi, et Sapphire Slows en live. Mais aussi : une rencontre pour réfléchir à la dimension genrée du « jeu de l’imitation » avec la philosophe Gloria Origgi, des ateliers gratuits sur réservation avec les sans pagEs pendant les quatre mois de l’évènement et une invitation à la blockchain pour les femmes avec les Hackeuses. Des visites « point de vue » de l’exposition sont également proposées de mars à juin. Elles invitent des personnalités de l’art contemporain, des médias ou des chercheurs, sensibles aux thèmes abordés par l’événement, à porter un regard subjectif sur l’exposition à travers un parcours personnalisé. Si après tout ça vous pensez toujours qu’une femme n’a pas sa place devant un clavier d’ordinateur, votre cas est désespéré, alors qu’il n’était jusque là que désespérant.
Infos pratiques :
Exposition Computer Grrrls
Du mercredi 14 mars au dimanche 14 juillet 2019
La Gaîté Lyrique
3 bis rue Papin
75003 Paris
Tarif plein : 8€
Tarif réduit (moins de 26 ans, plus de 60 ans, demandeur.euse.s d’emploi) : 6€
Tarif adhérent : Gratuit + tarif réduit pour deux accompagnants
Gratuit pour les moins de 12 ans
Horaires
Du mardi au vendredi de 14h à 20h
Samedi de 14h à 20h
Dimanche de 12h à 19h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h.
Fermé le lundi