Drive sera à l’affiche des salles françaises mercredi 5 octobre. Auréolé du Prix de la mise en scène lors du dernier festival de Cannes, le bolide de Nicolas Winding Refn, risque de laisser quelques spectateurs sur le bas-côté mais éblouira les autres plein-phares. Car, si son scénario, tout à fait convenable, est plutôt convenu, le film doit surtout s’envisager comme une expérience sensorielle. Winding Refn joue avec les codes du polar de manière quasi fétichiste. Profitons de ce prétexte pour revenir sur quelques unes des courses poursuites les plus marquantes – pour le pire ou pour le meilleur – offertes par le cinéma américain.
Bullit, à 200 km/h dans les rues de San Francisco
Coup d’œil dans le rétro. 1968, année de la sortie de Bullit. Le film de Peter Yates contient l’une des courses poursuite les plus célébrées du cinéma. Elle apparaît même comme une scène séminale qui influence, encore aujourd’hui, tous les réalisateurs se frottant aux films d’action. Une course poursuite sur grand écran, ce n’était pas nouveau ; de la comédie aux films policiers, elle se frayait un chemin dans tous les genres. En revanche, jamais, jusque-là, le public n’avait été plongé aussi intensément au cœur de l’action. En embarquant les caméras à bord de la Ford Mustang de Steve McQueen (qui interprète le rôle titre) ou de la Dodge Charger de ses poursuivants, le réalisateur assoit le public sur le siège passager pour une virée à 200 à l’heure dans les rues de San Francisco qui finira sur l’autoroute.
Trois semaines de tournage ont été nécessaires pour mettre en boîte cette séquence qui dure dix minutes à l’écran. Steve McQueen, qui aurait lui-même assuré la majorité de cette scène, l’a échappé belle : une anecdote fameuse raconte qu’un jour, lorsque la Mustang affichait 180 km/h au compteur, les freins ont brusquement lâché, contraignant l’acteur à jouer avec le frein à moteur. La musique de Lalo Schifrin – que l’on entend en introduction de la scène – et le montage faisant alterner le son des moteurs contribuent à la réussite de ce morceau de bravoure. A la fois spectaculaire et réaliste, cette course poursuite a placé la barre très haut.
French connection, duel épique voiture-métro !
Conscient que cette scène était très difficile à surpasser, William Friedkin a eu l’idée de la course poursuite entre une voiture et le métro aérien de New-York pour son French connection, sorti en 1971. Une séquence conçue par le cascadeur Bill Hickman – qui est également derrière celle de… Bullit – et qui a instantanément gagné ses galons cultes. Une scène tournée en cinq semaines, entre 10 heures et 15 heures, le créneau autorisé pour tourner sur Stillwell Avenue. La légende veut qu’une collision avec une autre voiture apparaissant à l’écran était involontaire mais qu’elle a été conservée au montage pour renforcer le réalisme de l’ensemble.
La fiche IMDb explique que le conducteur de cet autre véhicule venait de partir de chez lui et ignorait que le tournage d’une course poursuite était en cours. Evidemment, la production a dédommagé financièrement cet automobiliste. Il se dit aussi que Friedkin a monté cette séquence sur le rythme de Black magic woman, de Carlos Santana. La magie de la scène, en tout cas, elle, opère. Scotchant le spectateur à son siège, elle s’inscrit elle aussi comme une séquence d’anthologie.
Extrait de la fameuse course poursuite sur cette vidéo, à partir de 2’14 :
Police fédérale Los Angeles : nerveux, tendu, à contresens
En 1985, Friedkin se frotte une nouvelle fois avec brio à l’exercice pour Police fédérale Los Angeles. Polar emblématique des eighties qui, d’ailleurs, semble être l’une des références majeures de Drive, que ce soit par l’importance de Los Angeles, la bande son ou même… un choix typographique au kitsch assumé pour le générique. Le titre original To live and die in L.A. serait aussi un parfait sous-titre au film de Refn. Là encore, Friedkin livre une poursuite nerveuse, tendue, à contresens sur l’autoroute… et qui prendra encore une autre dimension lorsque l’identité des poursuivants sera révélée un peu plus tard. Six semaines de tournage ont cette fois-ci été nécessaires. Pour info, le tournage de Drive, qui comprend une course poursuite lui aussi, a été bouclé en sept semaines.
Boulevard de la mort, la course poursuite à l’ancienne
Revenons à une période plus contemporaine en empruntant le pont qu’établit Quentin Tarantino avec le cinéma des seventies dans Boulevard de la mort. Cet hommage aux films d’exploitation est nourri, comme toujours chez Q.T., de multiples références. La principale, ici, est Point limite zéro, de Richard Sarafian, sorti en 1971. C’est à bord d’une Dodge Challenger similaire à celle utilisée dans le road-movie cité plus haut que la bande de filles tente d’échapper à Stuntman Mike, le cascadeur psychopathe qui prend son pied (on est chez Tarantino) en faisant disparaître ses victimes dans de la tôle froissée. C’est une course poursuite à l’ancienne, réaliste et loin des effets spéciaux, qui clôt le film.
D’une exubérance fun, et féministe – les filles règlent violemment son compte à leur poursuivant qui les avait sous-estimées – c’est l’une des poursuites les plus jouissives vues sur grand écran ces dernières années. Et puis l’hommage aux séries-B des années 1970 se double d’un hommage aux cascadeurs. Zoé Bell, qui a notamment doublé Uma Thurman dans Kill Bill, joue son propre rôle. C’est à visage découvert que la cascadeuse peut montrer ses talents. La voir se mouvoir, allongée sur le capot avant de la Dodge en marche, se tenant simplement à une ceinture, grisée de vitesse et d’adrénaline, est un pur plaisir de spectateur.
Une vidéo hommage à Boulevard de la mort avec une bande son différente. Accrochez-vous !
Quantum of solace : un carton, mais pas grâce à la course poursuite…
A côté de ces modèles du genre, il y a les courses poursuites ratées. Non par un manque de moyens mais à cause d’un manque de lisibilité. Qui poursuit qui ? Qui tire sur qui ? Qui devance qui ? Ce sont des questions que l’on se pose devant bien des films d’action contemporains. L’une des pires – dont la déception est proportionnelle à ce que l’on peut attendre d’une production d’un tel rang – est sans doute celle qui ouvre Quantum of solace, le dernier James Bond en date. Une scène aussi déconcertante que le titre du film. Mark Foster, le réalisateur, semble avoir mal digéré le style Paul Greengrass à l’œuvre dans les Jason Bourne (La mort dans la peau, La Vengeance dans la peau) dont on a l’impression qu’il tente de s’inspirer. Cette course poursuite sur les bords du Lac de Garde, en Italie, est illisible mais cela n’a pas empêché le film de cartonner au box office.
La course poursuite sur cette vidéo, à partir de 0’40 :
The Dark Knight, des invraissemblances fâcheuses
Même un film hautement estimé et salué que The Dark Knight (de Christopher Nolan) n’échappe pas à certaines réserves. Dans une vidéo qui a circulé récemment sur la Toile, un monteur américain décortique la scène du transfèrement d’Harvey Dent d’une prison à une autre. En passant l’action au ralenti, il met le doigt sur de fâcheuses incohérences : voiture de police qui surgit de nulle part, Harvey Dent qui semble changer de place dans le fourgon, véhicule chutant du mauvais côté par rapport au sens de l’action, montage confus… Une accumulation d’erreurs et d’aberrations qui confèrent à la scène une dimension abrutissante. Et qui vient confirmer que la réussite d’une course poursuite tient davantage de son réalisme que de la pyrotechnie.