« On se trouve dans le donjon de Maîtresse Cindy, un lieu unique où on pratique les relations sadomasochistes. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les jeux. Des personnes soumises qui aiment l’humiliation à des personnes plus masochistes. » Au-dessus de la place Clichy, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le donjon de Maîtresse Cindy est installé dans une ruelle depuis pratiquement treize ans. Situé au fond d’une cour, il faut descendre des escaliers pour atteindre l’entrée et sonner. La porte s’ouvre sur un espace sombre et souterrain de près de 300 m², totalement dédié au sadomasochisme. La maîtresse des lieux portent ses cheveux blonds très courts. Combinaison de cuir bleu, moulante, bottine de cuir blanc, haut perchée. « C’est un lieu mythique ici, c’est le dernier grand donjon parisien qui ferme ses portes. »
Donjon ? Une expression consacrée pour désigner un endroit où se pratiquent les relations sadomasochistes. Pas de château, de tour, de pierres anciennes ou de meurtrières. D’ailleurs, Maîtresse Cindy lui préfère le terme « espace ». Aujourd’hui, elle veut passer à autre chose, fermer le donjon et vivre une autre aventure. Elle n’en dévoilera pas davantage mais elle insiste : cette fermeture est délibérée. « C’est une belle aventure mais j’ai envie de prendre du recul et de m’accorder du temps. (…) Quand j’ai annoncé que je fermais, j’ai reçu une avalanche de mails, d’appels, de messages, comme si une pluie de météorites s’était abattue sur le milieu SM. »
Elle a alors décidé d’organiser une vente. Petit et lourd matériel, vêtements, mobilier, objets, éléments de décoration, elle vend tout, ou presque. Les prix sont fixés de 5 euros, pour une jupette d’écolière, à 4 000 euros pour les plus grosses pièces.
Et c’est une sacrée collection qui défile au gré des atmosphères. « Ce sont des choses que j’ai conservées depuis près de vingt ans que je pratique cette sexualité. Des objets découverts au cours de promenades, dans une boutique, que je pense à détourner, des éléments fabriqués ici, des cadeaux, des vêtements de mes partenaires de jeu. »
Une scénographe du sadomasochisme
Elle a pensé ce lieu comme une scène de théâtre où l’on vient jouer selon une mise en scène bien rôdée. « C’est une mise en espace du corps, de la lumière, des volumes, des décors. » Son nom de scène lui a été inspiré par l’artiste photographe américaine Cindy Sherman, qui se met elle-même en scène dans ses œuvres.
Début de la visite. On pénètre dans une première salle, la pièce classique. Atmosphère bleutée où sont exposés de multiples fouets mais également du matériel lourd, délirant d’ingénierie. Une fesseuse et une fouetteuse retiennent tout particulièrement l’attention. Toutes deux ont été réalisées à quatre mains, par Maîtresse Cindy et l’un de ses partenaires de jeu. La première a conceptualisé les machines, le second les a réalisées. « La fouetteuse est télécommandable à distance et peut fouetter le corps de bas en haut. Elle est ludique, fonctionnel et esthétique et il n’y en a pas deux pareilles ! » Cette pièce étonnante est déjà réservée par le Musée de l’érotisme. « Il voulait tout me prendre, mais j’ai refusé. »
A côté se dresse la fesseuse, une table où l’on peut se tenir allongé ou devant laquelle on s’agenouille pour offrir ses fesses. Avec des accessoires interchangeables en fonction de l’envie du partenaire, la fesseuse fesse.
Cindy parle de « machines robots ». Tout ceci est futuriste, très inventif et créatif. On imaginait la machine à fouetter aux allures baroques, avec un coussin de velours rouge, mais non. Maîtresse Cindy ne veut pas user jusqu’à la corde les clichés sadomasochistes. « Je suis maîtresse dominatrice d’un homme moderne et contemporain. » Elle n’aime pas les stéréotypes, n’a pas de croix de Saint-André[fn]La croix de Saint-André est très souvent utilisée dans les pratiques sadomasochistes.[/fn] et veut surtout innover, sans cesse. « Je joue dans mes scénographies avec la technologie. » Avec la technologie, mais aussi la lumière et le son puisque chaque espace du donjon est sonorisé de manière à créer différentes ambiances sonores. Notre hôtesse est aussi artiste performeuse, et était courtière en art plastique avant de se consacrer au sadomasochisme. Elle a toujours conservé un lien étroit entre ces deux disciplines.
On comprend alors pourquoi Maîtresse Cindy se revendique scénographe et pourquoi ce donjon est si réputé. Car même pour ceux qui ne donnent pas dans la badine ou le bondage, elle est tout de même connue. Et elle a su porter le sadomasochisme hors de ses murs, vers des lieux grands publics. On note une performance au Centre George Pompidou, en 2001. « Une maîtresse SM au Centre George Pompidou, payée par le contribuable », lance-t-elle, sourire en coin. Et un documentaire que France Culture, peu réputée pour ses pratiques sadomaso, lui a consacré en 2006. « Ce lien entre l’art et le sadomasochisme m’a permis de proposer des séances sadomasochistes très différentes de ce qu’on propose habituellement. »
Un dernier coup d’œil à la table d’élongation et son caisson d’isolation, encore une pièce unique, avant de pénétrer dans le Severity college. « C’est une atmosphère de salle de classe où mes élèves dissipés viennent prendre leur leçon. Chaque élève a ses affaires dans son casier. »
Mobilier scolaire, jupettes d’écolières, ardoises et tableau noir. Ambiance studieuse sous peine de tâter de la badine et la maîtresse est intraitable.
Objets uniques
Autre espace, autre ambiance avec la salle médicale. Blouse blanche, speculum, table d’examen, mobilier hospitalier… Là encore, se tient fièrement l’une des machines folles du donjon de Maîtresse Cindy. Il s’agit cette fois de la pénétreuse. Et si la fesseuse fesse, la pénétreuse pénètre. « Elle offre la possibilité d’interchanger les godes en fonction du jeu. C’est une machine réglable pour pouvoir s’adapter à tous les physiques. » Plus loin se trouve un carcan, réalisé pour son usage personnel, qui enserre poignées, tête et chevilles. Le matériel lourd impressionne, mais la multitude d’objets rares, insolites, souvent très esthétiques est également remarquable : un fouet d’Orient dont le manche est entièrement marqueté, un autre petit fouet qui, lui, provient d’une abbaye cistercienne… Et un crucifix, annonciateur de la dernière salle. « Un lieu où je reçois les confessions dans ce confessionnal en chêne du XIXe siècle. Il s’est dit et fait beaucoup de choses ici. »
Salle de classe, salle médicale, confessionnal : retrouve-t-on toujours les mêmes mises en scène dans les jeux sadomasochistes ? « Il y a des thèmes récurrents oui, mais il ne faut pas s’arrêter aux clichés et aux stéréotypes. Les fantasmes sont partout. On n’a pas à se freiner et à s’enfermer. » D’ailleurs ces installations, mises en lumière, décors et ambiances ont été revisitées régulièrement tout au long de ses treize ans d’activité. « Un jour, j’ai reconstitué une salle de sport, avec de vraies machines, un peu détournées… Une autre fois, j’ai dressé un cirque avec une piste aux étoiles et j’y domptais mes partenaires de jeu. »
Il en a vu ce donjon, des pratiques SM, mais pas que. Expositions, photographies, vidéos, performances artistiques. Un univers très riche et captivant. « Dans le milieu, je suis une dominatrice cinglée prise pour un ovni, parce que je n’ai pas du tout une manière habituelle de jouer, de pratiquer et de présenter les choses. »
Le donjon de Maîtresse Cindy fermera ses portes et ne sera pas repris. Dernier coup d’éclat en janvier 2012 : une performance durant laquelle Maîtresse Cindy détruira un mur du donjon. Ceux qui le voudront pourront repartir avec un morceau de ce donjon mythique. Puis, tombée de rideau.
> La vente se tient vendredi 16 décembre de 15 heures à 21 heures au donjon, au 7, rue Ganneron, 75 018 Paris.
Mise à jour le 12 février 2013.