Lorsque l’auteure P.L. Travers crée le personnage de Mary Poppins en 1934, elle n’imagine certainement pas que son œuvre sera un jour adaptée au cinéma. C’est sans compter sur l’engouement de deux lectrices, les filles de Walt Disney, qui font promettre à leur père de donner vie à la gouvernante magique sur grand écran. Méfiante envers Hollywood et réfractaire à l’univers Disney, P.L. Travers refuse catégoriquement pendant 20 ans les propositions de collaboration, jusqu’au jour où…
Dans l’ombre de Mary débute en 1961 alors que les livres de l’écrivaine ne se vendent plus. Poussée par la nécessité, elle répond (enfin) à contrecœur aux sollicitations de Walt Disney. P.L. Travers fait le voyage de Londres à Los Angeles pour rencontrer le gourou du dessin animé mais impose ses conditions : elle aura le dernier mot sur le film et ne signera la cession des droits de son œuvre qu’une fois satisfaite du scenario.
L’équipe Disney va alors vivre deux semaines infernales : l’auteure, froide et distante, s’avère être franchement hostile au film tel qu’il est prévu. Le créateur de Mickey Mouse devra déployer toute sa force de persuasion pour obtenir sa confiance et découvrir le secret familial qui se cache derrière l’histoire de Mary Poppins.
Une « Mary », deux visions
Les rapports entre P.L. Travers (Emma Thomson) et Walt Disney (Tom Hanks) sont tendus et teintés de défiance. L’auteure menace à de multiples reprises de quitter la table des négociations si ses exigences ne sont pas respectées. Elle a une opinion sur tout : le comédien Dick Van Dyke, pressenti pour jouer le rôle de Bert le ramoneur, ne lui convient pas, Mr. Banks, le père de famille, ne devrait pas porter de moustache, ou encore, demande plus surprenante, la couleur rouge ne doit pas apparaître dans le film. Elle est également hostile à la présence de chansons et de dessins animés, sur ces points Disney saura imposer sa vision. Ces divergences artistiques entre l’équipe pleine d’entrain et l’écrivaine rabat-joie sont l’occasion de savoureuses passes d’armes.
Le film alterne, assez habilement, entre la préparation mouvementée du futur classique de Disney et l’enfance de P.L. Travers. On découvre, au fur et à mesure, les raisons de certaines objections de l’auteure. Loin d’être de simples caprices, elle souhaite protéger une œuvre intimement liée à son histoire personnelle. Inspirées par une gouvernante ayant existé, les aventures littéraires de Mary Poppins contiennent, entre les lignes, la tragique histoire du père de l’auteure.
Le film permet également de mettre en avant les frères Sherman (Jason Schwartzman et B.J. Novak), premières victimes de l’intransigeance de l’écrivain. Compositeurs et paroliers, on leur doit les partitions de nombreuses productions Disney dont Merlin l’enchanteur (1963), Le livre de la jungle (1967) ou encore Les Artistochats (1970). Difficile d’imaginer ce qu’aurait été Mary Poppins (1964) sans ces morceaux récompensés par l’Oscar de la meilleure musique originale et celui de la meilleure chanson originale pour Chim Chim Cher-ee (dont voici la version française).
Si la réalisation est plutôt classique, Dans l’ombre de Mary puise son équilibre dans un scenario bien construit qui lève progressivement le voile sur l’histoire familiale méconnue de P.L. Travers et un traitement du sujet qui n’est pas aseptisé comme on aurait pu le craindre pour une production Disney.
Mené par un casting solide et rythmé par des chansons qui titillent évidemment une corde nostalgique et sensible, ce film devrait vous distraire et probablement vous faire verser une petite larme (voire plusieurs). Une chose est sûre, vous ne regardez plus jamais Mary Poppins de la même façon.
> Dans l’ombre de Mary, la promesse de Walt Disney (Saving Mr. Banks), réalisé par John Lee Hancock, Etats-Unis / Angleterre / Australie, 2013 (2h05)