Voici huit ans, James Cochran, aka Jimmy C., présentait sa toute première exposition parisienne au Point éphémère, quai de Valmy. L’Australien avait alors 33 ans et Zidane donnait un coup de tête dans le torse de l’Italien Materazzi en finale de la Coupe du monde. C’est au Point éphémère qu’on le retrouve, accueillant et chaleureux malgré notre retard. Il semble juste en manque de caféine. Il y signera, ce soir là, le livre que la collection Opus Délits lui a consacré, Jimmy C – au cœur de la rue. Une signature qui a eu lieu juste après la défaite des Bleus en finale de la coupe du monde au Brésil. Une boucle rondement bouclée.
Jimmy C. aime ça, les sphères, les ronds, les cercles. Et dans un français quasi parfait – il a vécu un an à Paris en 2006, il raconte, après avoir enfin commandé un café, que « la sphère représente l’énergie, le cosmos et notre connexion au cosmos ». Actuellement, les sphères occupent une place importante de son travail, qui prend aujourd’hui une tournure poétique et allégorique. Les portraits sont toujours là, mais maintenant au premier plan, errent des sphères. Sur ce thème, Jimmy C. présente l’une de ses toutes dernières séries sur toile "Les filles avec les sphères", à la galerie Raison d’Art à Lille, dans le cadre d’une expo solo qui débute ce mardi 8 juillet. Sera aussi présent son cœur, très stylisé, en passe de devenir son totem.
L’art de Jimmy C., très détaillé et minutieux, nécessite des heures de travail. Une réalité qui se conjugue mal avec le fait de peindre dans la rue. L’artiste, un peu frustré, a trouvé une parade avec ce coeur. « J’étais "jaloux" de tous ces artistes qui travaillent très vite, avec des pochoirs par exemple. J’ai créé le cœur pour avoir une icône qui m’appartient et que je pourrais poser plus rapidement dans la rue. Il porte aussi un message, celui de partager l’amour. C’est mon état d’esprit en ce moment. C’est mon cœur. »
Des portraits pour humaniser la ville
Actuellement, on peut aussi voir l’une des œuvres de Jimmy C. au fort d’Aubervilliers dans le cadre de l’In Situ festival. Il y a réalisé un paysage urbain, un homme qui marche le long d’un fleuve. « C’est l’organisation du festival qui m’a demandé de faire un paysage urbain. Normalement, je n’en fais que sur toile. D’habitude, je réalise des portraits dans la rue pour redonner de l’humanité à la ville. Là, faire un paysage dans un paysage, c’était bizarre pour moi. Je suis vraiment étonné de voir combien cette œuvre a plu au public. » Et pour cause, quand on arrive dans l’allée où elle se trouve, à côté de FKDL, Guy Denning, Stéphane Carricondo, elle attire l'oeil immédiatement. Peut-être est-ce l’étonnante lumière qui s’en dégage. Ou alors ce paysage urbain, qui évoque Van Gogh, alors que c’est un type en jean et baskets, armé d’une bombe de penture qui l’a réalisée en 2014 ? Et si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que les milliers de lignes qui façonnent l’image viennent du corps de l’homme. « Elles rayonnent de son cœur. »
La bombe, Jimmy C. la apprise quand il était ado, au sud de l’Australie, à Adélaïde. « C’était par rébellion, et aussi parce que j’étais à la recherche de mon identité. À l’époque, j’étais dans le graff underground, issu de la culture hip-hop. C’était l’époque des blazes et du vandalisme. » Très vite, il est remarqué par les travailleurs sociaux qui lui proposent d’animer des ateliers de graffiti. Pendant 10 ans, il transmet ses connaissances au sein d’ateliers communautaires. C’est comme ça qu’il gagne sa vie. « Transmettre, c’est génial. Aujourd’hui, certains jeunes que j’ai formés sont eux-mêmes enseignants, et ils transmettent à leur tour ! »
Autodidacte, très attiré par le réalisme figuratif, le jeune James Cochran veut apprendre les techniques de la peinture traditionnelle et entre aux Beaux Arts, pour 4 ans d’études schizophréniques. « Je n’ai jamais arrêté de peindre les murs mais à l’école, je n’ai rien dit à personne. C’était comme avoir deux identités. La journée, je signais James Cochran sur mes œuvres. La nuit, Jimmy C. sur les murs. »
Du pointillisme au drip painting
Si son travail sur les couleurs est aujourd’hui intuitif, c’est là qu’il apprend la théorie des couleurs. « J’ai étudié comment obtenir la lumière et comment la faire vibrer. » Aujourd’hui, il s’est émancipé de la théorie et joue avec les couleurs de manière intuitive et spontanée. Et il réussit à faire jaillir la lumière des murs les plus gris du monde entier.
Jimmy C., c’est la lumière mais c’est aussi le pointillisme. Et si on aime dire de lui qu’il s’inspire des pointillistes français, c’est en fait dans ses racines, en Australie, qu’il a développé cet art si singulier. Un jour, un artiste aborigène lui demande s’il serait possible reproduire à la bombe et sur mur son art traditionnel, constitué de juxtaposition de petit point. Ensemble, ils travaillent sur plusieurs murs, « c’est un véritable déclic pour moi. Je suis retourné dans mon atelier et j’ai commencé les essais avec les points. Tout de suite, je suis allé vers le figuratif. C’est pour que mon style évoque la peinture européenne. »
Mais le pointillisme, on le retrouve dans la peinture européenne du XIXe et dans l’art traditionnel australien. Jimmy C. a beau avoir l’air timide, il ne veut pas rester discret. Après un an de pointillisme et une première exposition Aerosol Pointillism en 2004 à Adelaïde, il développe sa propre technique, le drip painting [ENG]. Une technique faite de taches et de coulures de peintures, pas simple quand on travaille à la bombe. « Cela donne du relief à la peinture et les coulures évoquent les larmes, c’est intéressant. »
La rencontre de James Cochran et Jimmy C.
Véritable ovni du street art, Jimmy C. a d’ailleurs mis du temps à s’y mettre. À 41 ans, il n’évolue dans ce milieu que depuis 2010, alors qu’il vit de sa peinture depuis le milieu des années 2000. Il a suivi un chemin à contre-courant. D’abord reconnu en galerie, et même si le milieu underground du graffiti australien le connaissait, il n'arrive dans le street art que plusieurs années plus tard. Un choix qu’il explique aujourd’hui : « J’étais très sceptique quant à ce mouvement, je le trouvais très commercial. Voir les mêmes pochoirs répétés partout, ça se rapprochait presque de la publicité ! » Et puis, il quitte l’Australie pour poser ses valises à Londres, dans le quartier de Shoreditch. C’est la révélation. « À Londres, on trouve tout ce que le street art fait de meilleur. C’est à ce moment que j’ai réalisé que c’était bête de passer à côté d’un tel mouvement. »
En quête de singularité, Jimmy C. voulait descendre dans la rue avec une vraie proposition artistique, ce qu’il a trouvé dans le drip painting. Dans l'art urbain, c'est aussi James Cochran et Jimmy C. qui se rencontrent. Tout de suite, ça marche très fort pour lui. Du pointillisme dans la rue réalisé à la bombe par un Australien qui survole son sujet avec maîtrise, talent et générosité, c’est remarquable. Tellement remarquable qu’il est aujourd’hui un incontournable de la scène mondiale du street art. Le gamin en quête d’identité qui graffait sur les murs d’Adélaïde a trouvé la sérénité avec le street art.
Ses portraits illuminent la ville et lui confèrent, partout où ils apparaissent, un supplément d’âme. Longtemps dans la rue, il a d’abord peint le visage de sans-abris qui ont croisé sa route. Souvent, il réalise le portrait de ses rencontres, des rencontres qu’il fait aux quatre coins du monde et qui nourrissent son travail. Pas étonnant que Jimmy C. se fasse des amis partout, c’est un type éminemment sympathique.
Et un type qui reste vigilant face au phénomène de l’art urbain, à sa popularité sur les réseaux sociaux et à la starification de ses artistes. « Je me demande aujourd’hui pourquoi les artistes peignent dans la rue. Il y en a tellement, j’ai l’impression que certains se mettent dans la rue sans avoir quoique ce soit à transmettre. On a une responsabilité en tant qu’artiste. Poser des œuvres dans la rue, c’est choisir de dire quelque chose. C’est ça la responsabilité de l’artiste. » Ses abonnés sur Instagram, il veut en faire quelque chose et que ce soit utile. Il vend ses coeurs, ses intermédiaires, il reversera ensuite une partie des gains à une oeuvre humanitaire. « C'est une expérience que je fais. Est-ce que je peux me passer de la galerie pour vendre mon travail ? ». Un chemin à contre-courant on vous dit…
> Jimmy C, au coeur de la rue, Brigitte Silhol et Nath Oxygène, Editions Critères, coll. Opus Délits, 2014