Pour faire le lien avec des employés étrangers, Ariane (Ariane Castellanos) est recrutée en tant que traductrice par une usine dans la Vallée du Richelieu, une région agricole du Québec. Sur place, elle découvre le rythme infernal et les tâches harassantes imposées à ces ouvriers migrants en majorité guatémaltèques. Tiraillée entre compassion et peur de perdre son emploi, Ariane entreprend une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes.
Temporaires
Avec Dissidente, Pier-Philippe Chevigny continue son exploration du monde ignoré, voire méprisé, des travailleurs étrangers au Québec. Une suite logique à son court-métrage Tala (2013) où il s’intéressait aux aides ménagères philippines travaillant dans les familles bourgeoises québécoises. C’est lors de ce tournage qu’il découvre la communauté des migrants guatémaltèques.
Le statut de travailleur étranger temporaire est au cœur du système dénoncé par le réalisateur. Grâce à un accord entre le Canada et différents pays en voie de développement liés par des liens diplomatiques, des entreprises importent de la main-d’œuvre bon marché. Le Mexique, le Guatemala et les Philippines sont particulièrement concernés par ces échanges. Ces travailleurs sont notamment présents dans les champs et les usines de transformation alimentaire, cas évoqué dans le film.
Au départ, Dissidente devait être un documentaire mais, au fil des recherches, il est devenu évident qu’il serait impossible de faire témoigner les premiers concernés. L’autocensure impose une chape de plomb qui protège un système ayant besoin de ce type d’exploitation pour survivre. Le projet est donc devenu fiction sans perdre son analyse très pertinente des mécanismes permettant l’omerta.
Boulot, boulot, boulot
Ne parlant pas espagnol, le cinéaste s’est rendu en 2018 au Guatemala avec Ariane Castellanos qui s’est impliquée dans le projet bien au-delà de son rôle d’actrice en endossant le rôle de traductrice, pour de vrai. Les témoignages recueillis ont alimenté ce scénario où tout est basé sur des situations véritablement vécues.
Les lettres de recommandation font notamment partie de ce système. Les travailleurs ont intérêt à faire profil bas et ne pas se plaindre pour espérer pouvoir revenir d’une année sur l’autre et rentabiliser leurs trajets entre leur pays d’origine et le Québec. Sur les 60 000 travailleurs étrangers venant chaque année au Québec, la moitié vient du Guatemala.
Leur présence sur le territoire est conditionnée à leur statut de travailleurs. Loin de leur famille qui motive très souvent leur choix, ils sont uniquement considérés comme une force de travail. Sous pression, l’humain s’efface derrière les performances. Qu’ils viennent quelques semaines ou qu’ils restent 11 mois et 2 semaines, la durée maximum autorisée, ils sont immédiatement renvoyés dans leur pays une fois le contrat terminé. Cette migration constante qui dure pour certains depuis 15 ou 20 ans vient combler la demande de main-d’œuvre non qualifiée, de plus en plus en dehors de l’agroalimentaire.
Esclavage moderne
Dans le film, une des tâches récurrentes de ces travailleurs étrangers consiste à déboucher à coups de pelle une fosse constamment obstruée par des résidus du maïs. Un travail ingrat qui relève du labeur de Sisyphe tant la mission paraît vide de sens. Lorsque des travailleurs sont tombés malades à cause d’une grande promiscuité, la pandémie de Covid a mis en avant leurs conditions de travail.
Les médias ont alors commencé à s’emparer du sujet. Une prise de conscience relayée par un rapport spécial publié fin 2023 par l’ONU qui évoque alors un « terreau fertile pour l’esclavage moderne ». Manuel (Nelson Coronado) incarne dans le film ce travail qui rend malade. Malgré sa charge contre le système des travailleurs étrangers temporaires, Dissidente ne tombe cependant pas dans le manichéisme.
Stéphane, patron inflexible incarné par Marc-André Grondin qui fait face à Ariane, est à l’image de la subtilité du propos. Le système serait probablement plus facile à renverser s’il était personnifié par des salauds absolus. Les yeux fixés sur des résultats humainement impossibles à atteindre, il subit également cette pression mortifère. Et au bas de la pyramide, le poids devient insupportable.
Fiction très bien documentée, Dissidente pointe du doigt un système économique pervers dont chacun.e d’entre nous est à la fois victimes et responsables. Du cynisme des dirigeants à la responsabilité du consommateur, Pier-Philippe Chevigny alerte sur une vision humaniste qui se perd trop facilement en cours de route.
> Dissidente (Richelieu), réalisé par Pier-Philippe Chevigny, Canada – France, 2023 (1h30)