Si l’esprit Do It Yourself (DIY), littéralement "fais le toi-même" consiste aujourd’hui à coudre un patchwork, à fabriquer sa lessive ou encore à réparer tout seul ses water-closet, à l’origine était le punk. Ou plutôt les fanzines. Un fanzine surtout, celui de Mark Perry, créateur de Sniffin’Glue en 1976, feuille punk qui a surpris son monde à l’époque. Perry s’improvise journaliste, frustré par ce qu’il trouve dans les canards installés, NME notamment. « Dans chacun de ses éditos, il incite sans cesse ses lecteurs à passer à l’action. Pour lui, Sniffin’Glue fut une aventure profitable, raconte Fabien Hein, sociologue spécialiste du mouvement punk. Il a cru bon d’encourager les autres amateurs de punk autour de lui. »
Les amateurs, et les groupes punks eux-mêmes. Les Clash, Crass et les Sex Pistols émergent comme les leaders du mouvement. Ils n’avaient pas le choix : se faire aider, c’était prendre le risque de passer pour un naze. « La pression sociale est forte. L’une des premières exigences d’authenticité d’un punk est le DIY. Sinon, c’est un bouffon. » Alors les musiciens bossent comme des fous pour arriver au niveau. Des labels se créent, on s’improvise tourneur, producteur. « On voit toute une chaîne de coopération punk apparaître. Des acteurs qui montent en compétence. Ils étaient au départ des gens sans formation, et certains ont pu rencontrer des succès. »
Fabien Hein distingue trois catégories de DIY. On trouve dans le mouvement les anarcho-punk : "à bas le système !" Les DIY totalement apolitiques. « Ils veulent seulement faire et ne surtout pas s’emmerder avec des théories politiques. Ils ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Et ne voient pas dans le punk aucune rébellion ou revendication politique. »
Arrivent ensuite les faux-culs. Ceux qui n’y croient pas vraiment mais qui sont bien obligés d’y passer en attendant de trouver mieux. « Ils s’appuient sur les ressources dont ils disposent, un pis-aller en attendant de pouvoir trouver une maison de disque ou une multinationale qui s’intéresse à eux. » Les Clash et les Sex Pistols, qu’on connaît plus, sont de ceux-là. Ceci explique d’ailleurs cela : « Ils ont rapidement des relations avec les multinationales et se retrouvent vite déphasés avec leur propos. » Après l’âge d’or de la fin des années 70 au début des années 80, le punk recule, il n’est plus cohérent. Mark Perry aurait déclaré : « Le punk est mort le jour où les Clash ont signé chez CBS. »
Le fanzinat a-t-il, lui, respecté ses origines ?
Le DIY spirit étant né des fanzines, nous avons voulu savoir ce qu’il était devenu et avons posé la question à Loïc Gaume. Un type qui pendant des années, une fois par mois, allait distribuer des fanzines qu’il avait écrits, massicotés, photocopiés, agrafés. En 2010, il fait toujours tout tout seul mais s’autoédite avec une vraie maison d’édition, qu’il a créée, les Détails. C’est pareil, mais en plus pro. Pour lui, si le fanzine actuel consiste toujours à faire soi-même, une chose fondamentale à pourtant changer : « La mentalité n’est plus la même d’une part, mais surtout cette forme est passée du politique à l’artistique, c’est ce qui me semble le plus évident aujourd’hui. Ça se vérifie notamment avec le nombre de salons consacrés à l’autoédition. On vend son fanzine aujourd’hui, on ne le distribue plus pour faire passer des idées. Le fanzine s’est démocratisé avec des moyens d’impression plus faciles, et est tombé entre les mains des dessinateurs, photographes etc. Aujourd’hui, le fanzine a plus à voir avec l’édition indépendante qu’avec le tract politique. » En 2013, le fanzine se vend et tient salon. Il est sorti du ghetto.
Et ce n’est pas parce qu’on travaille en parallèle pour une maison d’éditions "capitalistique" qu’on est un vendu. Loïc Gaume est reconnu dans le milieu du fanzinat alors qu’il collabore avec l’Association dans la revue Lapin.
Le DIY serait donc moins sectaire. Et c’est sans doute l’une des raisons pour laquelle il a pu s’étendre de la scène underground au linge de maison. A moins que ce ne soit Internet ? A moins que ce ne soit la crise ?
Le DIY à l’heure du numérique
Dans leur chambre, les ados rêvent de gloire. Et ils comptent y accéder grâce au Web. Après tout, des produits "Web", on en connaît : Lorie, M Pokora, Grégoire… On est loin du punk, mais il faut savoir faire des concessions. Avec Internet, on apprend à gratter une guitare grâce aux tutoriels et on se diffuse tout seul. « On est plus dans le Do It Yourself mais dans le Podcast Yourself ! » Fabien Hein y voit d’ailleurs des similitudes avec l’avènement originel du DIY. « Dans les années 70, le coût des instruments s’est démocratisé. De même que le coût des studios. Et les home studio ont débarqué. On assiste à une démocratisation culturelle qui contribue au succès du DIY. »
Si quantité de jeunes ont profité de cet accès facilité à la musique, à la culture depuis 40 ans, la logique est exactement la même en 2013. Il est désormais possible de se produire et surtout de se diffuser, via les sites de partage de vidéo et les réseaux sociaux. Le web a boosté le DIY, en permettant une belle économie d’efforts. Même un paresseux pense avoir sa chance. D’où ce foisonnement d’artistes émergents.
Le DIY et la crise
Le bel argument de la démocratisation de la culture avancée, passons au triste contexte économique. Merci qui ? Merci la crise ! « Cette résurgence du DIY signifie que le monde va mal. Les individus trouvent des ressources ailleurs que dans celles qui leur étaient proposées jusqu’alors. L’essor autour du "je bricole", toutes ces fiches chez Castorama pour faire les choses soi-même sont de bons indicateurs. » Comparé à l’esprit punk, le jugement ne sera plus le même si vous faites appel à un plombier pour des toilettes bouchées. On ne dira pas, "quel bouffon" celui-ci, mais : "lui, il a les moyens".
La crise incite les individus à se débrouiller par eux-mêmes, à agir seuls, sans compter sur personne. Et ça ne concerne pas uniquement les menus travaux domestiques, cela s’applique à l’organisation de la société dans son ensemble. « Le succès de l’auto-entreprenariat, c’est la même chose. La crise ne connaît pas de règlement politique, donc on compte sur soi-même. Notre société est incapable de pourvoir en emploi ses citoyens, alors elle fait peser sur ses citoyens cette responsabilité. »
Les derniers punks peuvent donc dormir l’esprit tranquille, le DIY a encore de beaux jours devant lui.
> Do It Yourself ! Autodétermination et culture punk, Fabien Hein, le passager clandestin, 2012.