« Il y a autant de condescendance de la part du Parisien envers la banlieue, qu’envers la province, affirme la sociologue Stéphanie Vermeersch, chargée de recherche au CNRS, et travaillant notamment sur les couches moyennes contemporaines, la ségrégation et la mixité sociale. Mais "banlieue" est un terme vague, qui ne renvoie pas à une réalité uniforme. » En effet, peut-on comparer Neuilly et Drancy ? Sceaux et Rosny sous Bois ? Si les "cités" fréquemment incriminées existent bel et bien, s’il existe, sur certains territoires, une véritable insécurité, le terme "banlieue" semble trop souvent employé à mauvais escient.
Rappel : la "banlieue" désigne, depuis le Moyen-Âge, le périmètre d’une lieue, entre ville et campagne, sur lequel s’exerce le droit de ban (tutelle juridique de la ville). Depuis toujours, comme le rappelait l’historienne Annie Fourcaut dans un article paru en 2006 dans l’Histoire (N°313) un an après la fameuse « crise des banlieues », ce mot « traîne avec lui la déclinaison du rejet, un ensemble d’images à la fois confuses et fortes, comme celle des Barbares qui campent aux portes de nos cités ». Autant de Barbares-Banlieusards (Babas ?) qui, aujourd’hui, franchissent quotidiennement, ou non, la muraille-périph’ pourtant censée protéger les Parisiens (Bobos ?) de leurs assauts.
A en croire les journaux, au delà du "périph’", exceptions faites de Neuilly, Levallois-Perret, Vincennes ou Boulogne-Billancourt pour n’en citer que quelques unes, c’est la zone. Oui… Généralement pour un Parisien, qu’il soit natif de la ville ou qu’il vienne de province, la banlieue « C’est loin ». C’est « pas rose » et « morose ». « Ca craint ». La banlieue, « c’est mort ». Un truc de no-life. La banlieue ? Des grands ensembles. Les Banlieusards ? Jeunes à casquettes, familles ou descendants d’immigrés…Bref, des pauvres. Le RER ? Un coupe-gorge. Autant de clichés, dont certains ont pu être relevés par la sociologue Stéphanie Vermeersch dans le cadre d’une enquête menée auprès d’habitants du 9e arrondissement de Paris, plutôt au profil « cadre sup’ ». « Ils ont peur de la banlieue, du RER, des ’groupes de jeunes’… Les Parisiens ont cette idée que de l’autre côté du périph’ ‘c’est dangereux’. » On prépare même psychologiquement les salariés, dans certaines entreprises déménageant en banlieue, à aller y travailler. C’est dire.
Et pourtant… La "banlieue" revêt un grand nombre de paysages et de visages. On y retrouve par exemple la bourgeoisie urbaine avide de grands espaces, de forêts… Par ailleurs, dans les années 1960-1970, habiter en périphérie était même le modèle dominant dans la société française. Les grands ensembles, aussi critiqués soient-ils aujourd’hui du fait de l’insalubrité de certains aujourd’hui, étaient à l’époque une opportunité, pour les classes populaires, d’échapper… à l’insalubrité de certains logements parisiens. Pour les classes moyennes, c’était le rêve du pavillon, du jardin, voire du chien. Bref… La banlieue, c’était "in". Mais ça, c’était avant.
Quand le stigmate devient emblème
Que les Parisiens se rassurent… La banlieue s’éloigne. Après avoir renvoyé manu militari les classes populaires aux frontières de la capitale, voilà que nombre de ceux qui n’ont plus les moyens de se loger intra-muros, les repoussent désormais encore un peu plus loin. Avis aux Barbares-Banlieusards : les colonisateurs-bobos auront votre peau ! Alors que les Forts Neuilly, Boulogne, Levallois-Perret, et Vincennes, entre autres, sont déjà réquisitionnés depuis longtemps, voilà que les villes de Montreuil et Pantin se retrouvent infestées par ces ex-Parisiens, ravis de constater que, parfois, le métro dépasse le fameux périph’. Et demain, ce sera le tour d’Aubervilliers. En effet, la jonction Porte de la Chapelle – Front Populaire de la ligne 12 du métro, vient d’être inaugurée. Gageons que, bientôt, le nom de cette nouvelle station qui nous renvoie à la fameuse coalition des partis de gauche en 1936, nous paraitra incongru.
Ce phénomène de "gentrification", cette migration des "bobos" vers la très proche périphérie anciennement réservée aux classes populaires, peut même amener à transformer le stigmate en emblème. « Vivre en Seine-Saint-Denis, ‘dans le 9-3’, peut être perçu comme une fierté, confirme Stéphanie Vermeersch. Mais surtout par ceux qui ont les moyens d’être protégés de la précarité. Ces privilégiés qui voient la pauvreté au quotidien, mais ne la subissent pas. Ils sont d’autant plus méfiants concernant les clichés véhiculés au quotidien par les médias : ‘banlieue = cités = problèmes’. » Et la sociologue de citer un article dans lequel un journaliste s’étant rendu à Rosny, prétendait qu’en banlieue, tout le monde connaissait la réalité de la violence, de la drogue, de la prison. « Mais non ! », s’exclame-t-elle.
Parfois les Parisiens, de souche ou d’adoption, osent aller plus loin que la proche périphérie, plus loin que le métro, après avoir connu la palpitante vie parisienne… C’est notamment le cas de Mathias, 42 ans, qui a grandi dans le 9-3, puis vécu à Paris, ensuite à Vincennes, et finalement retourné à… Rosny. « La première raison était financière… J’en avais assez de vivre dans 45m2 pour un loyer de 1200 euros par mois. Et nous avions une envie d’enfant. Aujourd’hui, nous vivons dans du neuf. » Un véritable progrès, surtout quand on connaît l’état de la plupart des logements dans la capitale.
L’immobilier… Le premier facteur d’évasion du Parisien. Selon le Clameur (http://www.clameur.fr/lpd.htm ), le loyer moyen à Paris est de 23,8 euros/m2. Dans les Hauts de Seine (92), le second département le plus riche de France, il descend déjà à 19,8. Il est de 16 euros dans le Val-de-Marne (94), 15,6 dans les Yvelines (78), 14,8 en Seine-Saint-Denis (93) et dans le Val d’Oise (94), puis 14 dans l’Essonne (91) et 13,5 en Seine-et-Marne (77). Une véritable prime à l’éloignement… Si seulement le Parisien savait où situer ces départements sur une carte.
Symbole de la banlieue : le RER
Le hic, c’est qu’une fois que l’on a retrouvé un espace vital convenable, à prix décent, reste encore, surtout pour ceux qui travaillent à Paris, de subir la corvée du transport. « Le RER E est censé être à 15 minutes de la Gare du Nord, explique Mathias. A priori, sur le papier, ce n’est pas insurmontable. Sauf qu’il y a un problème tous les 3 RER, quand ils ne sont pas annulés. » D’ailleurs, l’enfer du RER ne cesse de faire l’objet de satires. « Il y a le ‘Paris-Paris’, et le ‘Paris-métro’. Le second est ‘admissible’, sourit Stéphanie Vermeersch. Même si les quartiers aux alentours du métro sont désormais inaccessibles. Le vrai symbole de la banlieue c’est le RER. » Mais, s’il est indéniable que l’amélioration des transports en Ile-de-France est un chantier considérable, tous les habitants de la périphérie ne prennent pas nécessairement la direction de Paris au quotidien. « Pour les Parisiens, la norme idéale, c’est Paris. Mais pour nombre de banlieusards, Paris n’est qu’une centralité parmi d’autres ».
Et non… Paris n’est pas le centre de la France, de la Terre, encore moins du cosmos intersidéral. Non, on ne se fait pas forcément égorger, voler, violer, on ne tombe pas nécessairement malade quand on met le pied dans un « train de banlieue » (en tout cas, pas plus que dans le métro). Ca peut même être sympa le RER. Oui, cher Parisien, il y a une vie au delà du périphérique, où il est possible de trouver un emploi et d’être heureux.
La banlieue, « ça craint » ?
Si cafés et librairies lui manquent, Mathias ne regrette absolument pas son choix. « Il y a un ‘fantasme’ de l’insécurité en banlieue… Sauf qu’ici, nous n’avons jamais été ennuyés. Les gens sont mêmes plus sympas… Il existe une forme de convivialité populaire que je n’avais pas retrouvé à Paris depuis longtemps… » Anne, 39 ans, désormais provinciale après avoir vécu à Paris, mais aussi à Saint-Denis (93), se déclare même « amoureuse ». Non pas de la capitale, mais de « la région parisienne ». « J’ai adoré Saint-Denis et ne m’y suis jamais sentie en insécurité ! Par contre, je me souviens avoir eu très peur en étant suivie dans le 5e arrondissement… » Elle précise cependant avoir vécu dans le centre-ville, et non pas à proximité des fameuses "cités". Elle ajoute avoir « toujours été à l’aise dans les milieux populaires », et pour elle, c’est plutôt le 16e arrondissement qui est « mort ». Pour Tibo, 30 ans, qui n’a jamais vécu en centre-ville. « Les Parisiens s’embourgeoisent. Pour certains il n’est pas question de passer une soirée en banlieue, le RER leur fait peur. D’autres ont peur de descendre en dessous de la Seine, pour eux c’est aussi la banlieue. Pour ma part, cela me fait plus peur d’être dans le centre… Ca me donne l’impression d’être enfermé. »
Parce que la banlieue, c’est aussi le Bois de Vincennes (94), le Parc de Sceaux (92), ou, plus loin, la forêt de Fontainebleau (77). Autant de lieux où il est possible de faire son footing hebdomadaire sans pester contre les marcheurs, renverser un enfant ou écraser la queue d’un chien. Autre cliché répandu : en banlieue il serait impossible d’avoir une vie sociale… Sauf que les ex-Parisiens que Stéphanie Vermeerach a pu interroger, vivant désormais en périphérie, ont au contraire déclaré qu’ils nouaient des relations bien plus denses depuis qu’ils avaient déménagé… Quand à la vie culturelle, pour ceux qui en sont friands, elle n’est pas si loin puisque Paris reste à proximité. « Ce qui est drôle c’est que, d’un côté comme de l’autre, son propre mode de vie est considéré comme étant le meilleur. »