Chef d’orchestre de renommée internationale, Thibaut Desormaux (Benjamin Lavernhe) apprend qu’il est malade et qu’il a besoin d’une greffe de moelle osseuse. Il se tourne naturellement vers sa sœur mais découvre, ahuri, qu’ils ne partagent pas le même ADN. Sa mère lui révèle en effet qu’il a été adopté. Son espoir de guérison est désormais Jimmy Lecocq (Pierre Lottin), un frère surprise qui vit dans le nord de la France.
La rencontre entre le chef d’orchestre et l’employé de cantine scolaire jouant du trombone en dilettante dans une fanfare est un choc pour les deux frères enfin réunis. Alors que tout les sépare, la fratrie se trouve un langage commun, celui de la musique. Détectant les capacités musicales inexploitées de son frère, Thibaut se donne pour mission de réparer l’injustice du destin. Encouragé par ce frère inespéré, Jimmy se voit alors pousser des ailes.
Méli mélo
Sur le papier, le sujet du nouveau film d’Emmanuel Courcol peut, de prime abord, laisser perplexe. Dans de mauvaises mains, cette histoire de frère condamné devant nouer des liens avec un frère inattendu a un énorme potentiel de mélo indigeste. Un risque d’autant plus grand que le réalisateur met en lumière la différence de statut social sur fond d’une fermeture d’usine imminente. Cela fait beaucoup pour un seul film ! Et pourtant, En fanfare réussit à harmoniser ces thématiques, parfois de façon très touchante, sans fausse note.
Entre drame et comédie, cette histoire de fratrie séparée puis réunie par le destin entremêle habilement les sujets de prédilection du cinéaste : liens fraternels, hasard, choc des cultures et déterminisme social. Une rencontre inattendue autour de la thématique de la greffe de moelle, inspirée par Irène Muscari. Coordinatrice culturelle en milieu carcéral au Centre pénitentiaire de Meaux, elle a travaillé comme conseillère sur Un triomphe (2020) – lire notre critique -, le film précédent du cinéaste qui lui a proposé d’écrire ce nouveau projet à quatre mains.
En fanfare manipule les thématiques et les émotions sans jamais alourdir le propos. Comédie dramatique, l’histoire de Thibault et Jimmy est sur une ligne de crête. Un équilibre fragile qui plaît au réalisateur de Cessez-le-feu (2016) avec Romain Duris – lire notre critique – qui prend soin de désamorcer les moments dramatiques pour ne pas se complaire dans le pathos. Un numéro d’équilibriste qui fonctionne parfaitement grâce à un sens du tempo particulier.
Let the music play
Au cœur de cette découverte fraternelle, l’addiction au son est omniprésente. Métier sous les applaudissements ou passe-temps passion, la musique porte le film et les désirs des protagonistes. Grande musique classique remplissant les salles les plus prestigieuses du monde ou musique de fanfare populaire, en passant par la variété représentée notamment par Aznavour, les notes résonnent et rapprochent ces deux inconnus à travers leur passion commune pour le jazz.
La musique représente également une porte de sortie éventuelle pour Jimmy. Thibaut découvre en effet chez son frère mélomane des capacités qui dépassent le simple loisir. Il le convainc qu’il pourrait jouer du trombone à un niveau plus élevé et l’initie à la conduction d’orchestre. Et, pourquoi pas, un jour, il assure à Jimmy qu’il pourrait posséder sa propre école de musique !
Une ambition pour son frère qui prend la forme d’une réparation pour Thibaut qui ressent bien qu’il a eu énormément de chance de tomber dans la « bonne famille » d’accueil lors de la loterie de l’adoption. Mais ce rêve d’ascension sociale se heurte au réel qui s’invite entre les deux frères.
Do, ré, mi, fa, social
Le propos social n’est en effet jamais loin dans les discussions entre les deux frères. Leur situation est l’illustration ironique et cruelle d’un déterminisme social, relevé par l’annonce imminente d’une fermeture d’usine. Les mineurs de Walincourt sont sous la menace d’une fermeture définitive et la fanfare elle-même pourrait disparaître pour laisser sa place à des cours de danse country. Une thématique sociale que n’aurait pas reniée Ken Loach s’invite ainsi dans le récit.
Par conviction sociale ou dans le prolongement de ce sentiment d’injustice fraternel qui le hante, Thibaut s’engage à tenter de sauver l’usine. Avec une motivation quelque peu déconnectée de la réalité, son engagement vient appuyer une nouvelle fois le gouffre social entre les deux frères. Cet aspect de drame social ne fait pas pour autant basculer le film mais vient fragiliser la relation fraternelle. Malgré son regard social, En fanfare ne quitte jamais de vue la musique, élément ambigu d’un sentiment familial parfois difficile à assumer.
Une autre vie
La musique omniprésente dans le film agit comme un ciment mais aussi comme le révélateur de ce sentiment d’injustice qui parcourt le film. Si les deux frères mélomanes partagent leur passion pour la musique, leur façon de l’appréhender pointe le drame originel de leur séparation. Et s’ils avaient vécu chacun dans la famille d’accueil de l’autre ? Et s’ils avaient été adoptés ensemble ou tout simplement s’ils s’étaient rencontrés plus tôt ? Quelles auraient été leurs vies ?
Ces questions à la fois vertigineuses et insolubles planent sur cette relation qui ne tient qu’à un fil. Entre admiration réciproque et rejet de l’autre, non pour ce qu’il est mais pour ce qu’il représente. Cette tension entre Thibaut et Jimmy fonctionne et émeut grâce à l’interprétation impeccable de Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin, frangins crédibles et victimes d’un destin implacable.
En fanfare manipule avec grâce ce hasard qui crée les opportunités autant qu’il les détruit. L’envie de Thibaut de pousser Jimmy à sortir de sa condition est une réponse à ce destin cruel, entre culpabilité et quête de justice. Mais, contrairement aux musiciens d’un orchestre, le destin ne peut se laisser mener à la baguette.
Réunion improbable de deux frères que tout oppose, En fanfare joue la carte du drame intime et social avec la musique comme symbole d’une communion possible malgré les épreuves. Une œuvre telle une symphonie, entre légèreté et gravité, portée par une belle réflexion sur le lien fraternel et la cruauté d’un destin parfois dissonant et difficile à harmoniser.
> En fanfare réalisé par Emmanuel Courcol, France, 2024 (1h43)