« En prison, pas de projet social »

« En prison, pas de projet social »

« En prison, pas de projet social »

« En prison, pas de projet social »

19 mai 2011

Pour en finir avec les conditions de détention indignes des prisons françaises, l'architecte Augustin Rosenstiehl propose d'avoir une réflexion portée sur l'architecture pénitentiaire et son organisation interne. Entretien.

La France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour ses pratiques pénitentiaires et les traitements dégradants imposés. Ancien collaborateur à la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP)[fn]L’OIP, à travers des enquêtes internes, dénonce la loi du silence carcéral qui règne en France et alerte l’opinion publique sur les situations constatées sur le terrain.[/fn], l’architecte Augustin Rosenstiehl (agence SOA) porte un regard critique sur le monde carcéral actuel, en pointant notamment du doigt l’architecture pénitentiaire et son organisation interne.
Dans un ouvrage[fn]Construire l’abolition, Augustin Rosenstiehl et Pierre Sartoux, coédition Ecole D’architecture Paris Malaquais – URBS Editions, 2006.[/fn], coécrit avec Pierre Sartoux, il avait déjà fait des propositions pour transformer et réaménager la maison d’arrêt de Fleury-Merogis (Essonne), la plus grande d’Europe avec près de 2 900 places.
Pour lui, la prison française est réduite à un système de surveillance, devenue invivable pour les détenus. Au cœur de sa réflexion : le rôle essentiel des travailleurs sociaux pour "une sanction plus humaine et socialement plus constructive". Entretien avec un architecte engagé.

Pourquoi, en tant qu’architecte, s’être intéressé à la problématique des prisons ?

La prison, c’est tout un pan de notre société qui est délaissé, oublié depuis le XIXe siècle. Quand on s’y intéresse, on constate qu’il y a énormément de chaînons manquants entre la société dans laquelle on vit et le modèle des prisons que l’on utilise aujourd’hui. Ces modèles nous renvoient à une société ancienne, une société qui n’existe plus. Les prisons contemporaines ne prennent pas en compte les problématiques actuelles qui concerne l’idée d’enfermement. Nous sommes dans la punition, pas dans la sanction.

Attendez-vous une prise en compte de la classe politique ?

A l’heure actuelle, il n’y a pas d’engagement politique. Ni sur la notion de peine, ni sur le modèle carcéral. On ne s’intéresse pas à ces sujets. Il y a comme un vide depuis le XIXe siècle, qui a été comblé, par défaut, par des ingénieurs de l’administration pénitentiaire. Ce qu’il faut, c’est que les politiques prennent cette problématique en main. Dans les programmes des partis politiques, ce qui concerne les prisons, c’est le néant, il n’y a pas de projets de fond. C’est un système figé, rien ne bouge.

Que reprochez-vous principalement à l’architecture pénitentiaire française ?

On a totalement omis de définir les espaces de la prison conformément à leurs fonctions sociales, ce qui empêche les détenus d’avoir une vraie vie sociale en dehors du caïdat et des relations de survivance. J’insiste sur le fait qu’en développant ces espaces, en les remettant à leur place et en réintégrant les codes élémentaires de vie en société, on pourra trouver une alternative à l’enfermement tel qu’il est conçu à l’heure actuelle. Il faut en finir avec l’isolement total du détenu.
Aujourd’hui, l’alternative principale à la détention, c’est le bracelet électronique. Ou alors, on invente des établissement de semi-liberté, dans le but de diviser, de faire des proportions selon la dangerosité. Jamais on ne décide de revoir le système à la base. L’administration pénitentiaire et l’Etat se contentent de parler d’activités positives prises en charge en prison (la lecture, les ateliers de travail, etc.). Mais le quotidien du détenu, lui, non. On ne s’occupe pas de sa vie de tous les jours.

Qu’est-ce qui est le plus urgent aujourd’hui ?

D’abord, définir ce qu’est une peine. A quoi elle sert, est-ce que l’on inflige ou non. Christian Demonchy, architecte (il a participé à la conception architecturale de plusieurs établissements pénitentiaires dont la prison expérimentale de Mauzac en 1985, NDLR), dit par exemple que "le détenu exécute sa peine" ! Ce sont des termes contradictoires, comme si le détenu s’exécutait lui-même !
En second lieu, il faudrait demander à une équipe de réfléchir sur des programmes pénitentiaires. Aujourd’hui, ils sont réalisés par défaut, c’est ce qui reste du modèle panoptique[fn]Le modèle panoptique est un type d’architecture carcérale imaginée par le philosophe britannique Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle. Ce dispositif repose sur le principe de la cellule individuelle et le poste central d’observation. Ce dernier permet au surveillant, installé dans une tour centrale, d’observer sans être vu les cellules agencées autour de lui.[/fn]. La prison cellulaire, par exemple, est apparue sans véritable volonté. Dans le bagne, la cellule, c’était la punition. De même, le projet de vie sociale en prison a toujours été interdit ; or, une des missions de l’administration pénitentiaire, c’est de permettre la réinsertion des détenus, mais cette phase n’a jamais été définie.

Vous insistez sur la nécessité d’un nouveau système fondé sur une organisation sociale interne de la prison plutôt originale : l’autogestion…

Il ne faut pas confier la gestion de la vie carcérale uniquement à l’administration pénitentiaire. Au lieu d’infantiliser les détenus, favorisons leur responsabilité. L’appartenance à plusieurs réseaux sociaux est très importante, en prison comme ailleurs. Elle est d’autant plus forte si l’ensemble de l’établissement est en cogestion entre travailleurs sociaux, détenus, surveillants, personnel de santé et associations extérieures (Croix Rouge, Ligue des Droits de l’Homme, etc.). C’est un système qui permet de développer la communication entre ces groupes, donc de discuter, de se concerter.
Aujourd’hui, la loi demande aux détenus de donner leur avis sur la qualité du service qui leur est proposé. C’est hallucinant ! Au lieu de se prendre en main, ils sont pris en main. Cela met les prisonniers dans une situation d’arbitres. On les empêche de faire, mais on leur donne la possibilité de râler. C’est dément.

Pour vous, le problème des conditions de détention se situe, d’un point de vue architectural, dès la conception de l’établissement ?

Un bâtiment pénitentiaire, c’est d’abord une demande, un programme. Comme je le disais, ce programme n’a jamais été saisi par les politiques. C’est donc l’administration pénitentiaire qui les fait réaliser par des ingénieurs. On veut construire une prison, donc on va empêcher les détenus de s’évader. On va également réaliser un endroit où ils vont se promener, un autre où ils vont avoir telle activité… Mais chaque lieu (cellule, couloir, salle de gym) est une prison. Une prison dans la prison. C’est un empilement de programmes. Personne n’a pris la peine de dire qu’il fallait un espace de sociabilisation. Un espace extérieur où les gens se croisent en allant d’un lieu à un autre. Il n’y a pas de projet social global, l’objectif est principalement sécuritaire.

« Les prisons sont fondées sur le modèle de l’internat »

Qu’est-ce qui vous exaspère le plus dans les prisons françaises actuelles ?

La cour de promenade. C’est la première chose qu’il faut abolir. Normalement, la prison est un lieu de vie avec une architecture qui définit un lieu pour une activité précise. Si la cour de promenade était supprimée, ça nous obligerait à tout reprendre. Qu’est-ce qui resterait ? Les couloirs intérieurs, l’espace contrôlé par les matons. Or, le couloir, c’est un espace où personne ne se croise, c’est juste le lieu de transfert d’un point à un autre, d’un lieu fermé à un lieu fermé, du logement au parloir, etc.
Aujourd’hui, les prisons sont fondées sur le modèle de l’internat avec comme alternative au logement, la promenade ! Comment peut-on parler de réinsertion quand on parle de promenade ? On l’utilise dans les unités d’Alzheimer mais pour des raisons bien précises !

 

N’avez-vous pas envie ou pensé à vous impliquer dans des actions, des missions engagées par les pouvoirs publics ?

On m’a proposé d’y participer, j’ai refusé après avoir beaucoup réfléchi. Je pense qu’il est difficile d’être à la fois sur le terrain et d’avoir des théories sur la prison comme les miennes. On est tellement loin de l’évolution qu’on souhaite, loin du début de la recherche de l’expérimentation. C’est difficile de se révolter et de participer en même temps. Aujourd’hui, il y a une absence totale d’intérêt et de questionnement sur ce sujet. Ce que je vois dans les prisons, c’est l’inverse de ce que je souhaite.

Pour vous, les actions menées par les pouvoirs publics sont donc insuffisantes ?

C’est de la poudre aux yeux. Ou ce ne sont que des alternatives pour certaines catégories de détenus, des délinquants sexuels qui sont réputés dociles, etc. Agir de la sorte, cela revient à prendre les dix premiers de la classe dans un établissement, dire qu’on a beaucoup travaillé, qu’on a inculqué les bonnes valeurs, et que maintenant, ils filent droit.

Qu’est-ce qui pourrait faire changer les choses ?

La France a accumulé un tel retard qu’il faudrait un événement de poids ou une forte condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme. Avec des chiffres significatifs, qui obligent à prendre conscience de l’ampleur de ce qui se passe dans les prisons et qui montrent que ce qui est fait n’est pas la bonne solution. Un taux de récidive énorme par exemple, par rapport à celui de l’Allemagne. Un pays voisin qui permet d’avoir une situation comparable.

Le fait d’embellir les cellules, les rendre plus esthétiques pour que le détenu se sente mieux, pour vous, cela n’a aucune incidence ?

C’est uniquement fait pour rassurer l’opinion publique. On rappelle le côté sécuritaire et on met en avant le traitement humain des détenus. On prétend que ce sont des conditions plus humaines. Au final, on continue à bâtir des établissements à l’ancienne, auxquels on donne une petite touche de design et des codes esthétiques de la société de consommation. Auprès de l’opinion publique, on passe un message qui fonctionne. Il suffit de montrer une cellule lumineuse, du mobilier neuf, etc. Bref, une belle photo de la cellule intérieure. Ce ne sont que des raffinements esthétiques. Mais l’effet est totalement inverse et pervers. Car la prison est conçue sur un mode sécuritaire, de surveillance. Tout cet univers d’esthétisme n’est qu’abstraction. C’est ce qu’il ne faut surtout pas faire.

Alors, que faut-il faire sur le problème de la vétusté des cellules ?

Il faudrait aller dans une brocante ou chez Leroy Merlin et retaper les lieux un peu comme on le ferait de façon instinctive. Ca serait vraiment la meilleure chose qui puisse arriver.

 

> Retrouvez « La réinsertion, c’est du pipeau », l’interview de Arthur Frayer, un jeune journaliste qui a infiltré le milieu carcéral français en tant que maton.