Et si la garce faisait avancer le monde ?

Et si la garce faisait avancer le monde ?

Et si la garce faisait avancer le monde ?

Et si la garce faisait avancer le monde ?

25 janvier 2013

A son approche, nos poils se hérissent, notre pouls s’accélère, notre visage se crispe… « Quelle garce ! ». Prononcer le terme, les dents serrées, n’apaise qu’à peine étant donné le ressentiment qu’elles sont capables de susciter. Et pourtant… C’est bien la « garce », unanimement détestée, dont l’écrivain Jean-Noël Liaut, vient de faire l’éloge.

Scarlett O'Hara, garce parmi les garces dans "Autant en Emporte le vent".

Elle ne semble s’épanouir qu’en trompant, blessant, transgressant. Il est aisé de la haïr… Trop peut-être. C’est pourquoi faire l’éloge de la garce, comme vient de le faire l’écrivain Jean-Noël Liaut, est un pari risqué.

Risqué parce qu’il pourrait bien agacer les ligues féministes. Risqué aussi car  « garce » ne désigne pas une personne précise, et il en existe plusieurs définitions. « De mauvaise vie », « mauvaise ou très désagréable », « Jeune fille ou femme en général, souvent avec une nuance admirative pour son aspect physique (« Une belle garce ») », selon le Larousse. « Nuance admirative »…

"Eloge des garces" de Jean-Noël Liaut.

Car oui, traiter une femme de « garce » implique souvent plus qu’une condamnation. Par ailleurs, la garce étant qualifiée de telle pour ses préjudices envers autrui, l’emploi du terme est nécessairement caractérisé par la subjectivité. L’écrivain et journaliste Jean-Noël Liaut nous fait partager la sienne* : et s’il était possible de les admirer ? L’insolente « thèse » s’efforce justement d’immiscer le doute dans nos esprits. La Marquise du Deffand, célèbre salonnière contemporaine de Louis XV, les écrivaines Vita Sackville-West et Virginia Woolf, en couple au début du XXe siècle, l’actrice Arletty, tombée amoureuse d’un Allemand sous la Collaboration, Bette Davis… et tant d’autres personnalités, dont l’auteur a dressé le portrait, nous y invitent.

La garce, une « salope » ?

Parmi les critères retenus pour qualifier une personne de « garce », on retrouve : un grand nombre de conquêtes, un certain manque de respect pour les règles, une inclinaison pour la provocation, la transgression… La garce ? Une putain, dont le lit est « une vraie boîte aux lettres », selon un ami de l’écrivaine américaine Dorothy Parker. En un mot : une « salope ». On lançait d’ailleurs bien à Arletty : « Salope ! Collabo ! On aura ta peau ! ». Le psychanalyste Jean-Michel Louka, auteur de Féminin Pluri-elle, et de Singuli. Petit vade-maecum de psychanalyse, rapproche également les deux insultes. « « Salope » est plus vulgaire bien sûr, et davantage axé sur le sexuel. »

Pour Jean-Nöel Liaut, la garce est aussi « angoissée et frivole », « intolérante à la frustration », donnant dans « l’instrumentalisation de la séduction », « (aimant) le drame », ayant le « courage de déplaire »« ‘Quand elle vous sourit, on a l’impression qu’elle rédige mentalement votre épitaphe’, résumait un témoin à propos de la féroce Louella. » (Parsons). « La garce (…) sait que la compassion et la bienveillance sont des denrées rares ; elle ne compte donc que sur elle-même et ses sortilèges pour parvenir à ses fins. » La garce, une dure à cuire, une « méchante », une insensible… Une femme refusant le rôle imposé à son sexe. Elle ne reste pas à « sa place » de petit être silencieux, aimant, obéissant, (fade ?) ? La garce ! 

Arletty | Photo DR

Les égéries de Jean-Noël Liaut, généralement femmes d’esprit, aiment également les bons mots… Arletty se défendait avec panache : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! ». L’actrice américaine Hedda Hopper saluait ses assistants d’un « Bonjour, esclaves ! ». A propos de son troisième mari Georges Sanders, qui affirmait qu’elle passait trop de temps sous le sèche-cheveux, Zsa Zsa Gabor répliquait : « Lorsque j’étais mariée à George, nous étions tous deux amoureux de lui. J’ai fini par ne plus l’aimer, ce qui ne fut jamais son cas ».

La « garce », une hystérique ?

« Qui traite les garces de ‘garces’ généralement ? », demande Jean-Michel Louka. « Les hommes ! Et les femmes ‘légitimes’, les ‘épouses’, celles qui jouent leur jeu. » Rappelant que le terme « garce » dérive du masculin « gars », le psychanalyste insiste : « On l’emploie quand on s’est fait avoir. Quand la femme ne joue pas le jeu de son genre… » En gros, quand elle préfère « faire l’homme ». « Ce monde d’hommes ne leur convient pas, elles mettent donc un coup de pied dedans… et, finalement, le font avancer. » Quand les hommes préfèreraient le laisser tel quel. Les garces, jouent alors dans la société le rôle de « locomotives ».

Et ce comportement, selon Jean-Michel Louka, pourrait être l’une des nombreuses expressions des femmes à « structure hystérique », autrement dit de femmes (même si l’hystérie toucherait aussi les hommes) qui, sans être névrosées, se sont toutefois structurées psychiquement sur ce mode.

Nelly Oleson, merveilleux personnage de "la Petite Maison dans la Prairie". | Photo DR

Une version qui va à l’encontre de la définition de l’hystérie dans l’imaginaire collectif. Cette définition qui puise sa source dans l’Histoire (hystérie vient du grec « hystera », soit « utérus », organe qui se déplacerait dans le corps de la femme du fait du manque de relations sexuelles, selon le très sérieux Aristote). Selon le sens commun, souvent celui des hommes, « hystérique » ne s’adresserait donc qu’aux femmes, même si Sigmund Freud assurait que nous étions tous de potentiels hystériques, peu importe notre sexe. Par ailleurs, toujours dans l’imaginaire collectif, ces femmes sont nécessairement des folles, comme les  « grandes hystériques » du XIXe siècle exposées sans scrupule aux yeux de tous par l’illustre neurologue Jean-Martin Charcot [fn]Voir, à ce sujet, le film d’Alice Winocour Augustine, sorti en salles en novembre 2012.[/fn]. Autant de femmes qui, rappelons-le, étaient à l’époque écrasées sous le joug masculin et à qui on ne prêtait jamais l’oreille… d’où la démarche freudienne qui consiste en grande partie à leur laisser librement la parole. 

Quelles autres femmes pourraient être « taxée » d’hystérique ? Une « salope », une « allumeuse », a fortiori histrionique et révoltée… en bref, une garce. Finalement, les termes « garces » et « hystériques », que l’on explique ou non le premier par le second, auraient au moins un point commun : être un moyen parmi d’autres de renvoyer les femmes à leur rôle de « femmes », tel qu’imposé de longue date par la suprématie masculine, et dont des résidus subsistent toujours. Aurait-on idée d’insulter ainsi un homme cumulant les conquêtes, et s’exprimant avec théâtralisme ?

Voilà qui pourrait un peu réhabiliter les garces, du moins aux yeux des défenseurs de l’égalité des sexes. N’ayez crainte Messieurs. Quand bien même l’insulte serait réhabilitée, vous vous empresseriez d’un dénicher une autre.

> Eloge des garces, Jean-Noël Liaut, Editions Payot, janvier 2013.