Exarchia : quartier de la contestation bohème

Exarchia : quartier de la contestation bohème

Exarchia : quartier de la contestation bohème

Exarchia : quartier de la contestation bohème

7 août 2012

Sixième étape de notre tour des quartiers du monde, Exarchia (prononcez ExarKia), à Athènes, en Grèce. Coincé entre la place Omonia, tristement réputée depuis quelques années pour ses allures de ghetto et ses trafics en tous genres, et le quartier "riche" de Kolonaki, le quartier est réputé "appartenir" aux anarchistes, et artistes bohèmes aux idées contestataires. Parfois qualifié de "Quartier Latin" pour son vivier d'intellectuels et ses maisons d'édition, en référence au Saint-Germain-des-Prés parisien, Exarchia n'en a pourtant absolument pas l'allure. C'est ici que la protestation ayant conduit à la fin de la dictature des Colonels en 1974 a démarré. Là aussi que le jeune Alexandros Grigoropoulos a été abattu par un policier, provoquant alors les célèbres émeutes de décembre 2008, dont les images ont été diffusées dans le monde entier.

Vue d'Exarchia depuis la colline de Strefi | Photo Audrey Minart

« No photo, no photo ! » C’est ce que vous risqueriez d’entendre si, d’aventure, l’envie vous prenait de vous balader, accoutré ou non de la panoplie du touriste, dans le quartier d’Exarchia. Ici, on prône toutes les libertés… sauf celle de photographier. Qui sait, un informateur de la police se cache peut-être en vous ?

Sachez-le. Lorsque vous quittez les grandes avenues d’Athènes pour vous enfoncer dans Exarchia, vous pénétrez dans une enceinte où la police grecque, persona non grata, ne circule presque plus… préférant désormais l’encercler.

Strié de ruelles encadrées par des murs recouverts de graffiti, Exarchia regorge aujourd’hui de cafés, de restaurants, de librairies… mais surtout d’anarchistes. Et si Exarchia est un haut lieu de la contestation, les visiteurs peuvent s’y promener sans crainte.

Les graffiti couvrent les murs du quartier | Photo Audrey Minart

Les premières habitations et la place Exarchia (représentée par un triangle formé par les rues Thémistockleous, Stournari et Spirou) ont vu le jour en 1865, lorsque des travailleurs venus des îles des Cyclades ont souhaité poser leurs valises à proximité d’Athènes.

Plan d'Exarchia

Le futur Exarchia est alors une banlieue peu peuplée, où l’on ne s’aventure guère. Il faudra attendre les prémices du XXe siècle pour que le quartier prenne son nom de baptême, dérivé d’« Exarchos », nom d’un épicier grec réputé pour son huile d’olive bon marché

Exarchia au début du XXe siècle | Photo Audrey Minart

Une tradition contestataire

Dès la fin du XIXe siècle, Exarchia se développe grâce à l’implantation à proximité de l’université Polytechnique, et de l’université de droit. Dans la foulée, librairies et maisons d’édition s’y multiplient, en faisant un site intellectuel fréquenté par de nombreux étudiants et professeurs. C’est ici qu’éclate la première manifestation étudiante en… 1879. C’est à Exarchia que l’on trouve refuge pendant la Seconde Guerre mondiale, et aussi que naît, en novembre 1973, la rébellion qui aboutira l’année suivante à la chute de la dictature des Colonels.

Une tradition contestataire qui n’a toujours pas perdu de sa vigueur. Le 6 décembre 2008, un manifestant âgé de 15 ans est abattu par un policier. En quelques heures, Alexandros Grigoropoulos devient un martyr pour de nombreux jeunes Grecs, qui décident alors de déclarer la guerre aux autorités. Pendant un mois, le pays se retrouve sous le feu de très violentes émeutes. Le policier sera finalement condamné pour meurtre fin 2010. Sur le lieu du meurtre, un mémorial rend aujourd’hui hommage à l’adolescent.

Mémorial pour Alexis Grigoropoulos | Photo Audrey Minart

De nos jours, c’est généralement autour d’Exarchia que les affrontements entre émeutiers et policiers grecs se poursuivent, souvent jusqu’à la tombée de la nuit… Parfois au-delà. Ces jours-là, le quartier est enfumé par les gaz lacrymogènes, que la police lance en représailles aux cocktails Molotov. Il peut arriver que des habitants, parfois sexagénaires, leur lancent des bouteilles de verre depuis leur balcon, furieux de les voir pénétrer dans un quartier où ils ne sont pas les bienvenus. Et au milieu des feux de joie que deviennent alors les bennes à ordures, ici et là déambulent riverains et habitués, affublés d’un masque à gaz pour les mieux équipés, ou dont le contour des yeux est simplement recouvert de poudre de Maalox, censée diminuer les effets du gaz.

Dans le vieux Exarchia | Photo Audrey Minart

Mais Exarchia est également connu pour la multiplicité de ses initiatives, notamment dans les centres sociaux, où l’on dispense par exemple des cours de grec aux migrants.

Entre bohème et underground

À côté, et en lien avec ce bastion de la contestation, Exarchia se distingue également par une véritable tradition culturelle et artistique, le plus souvent axée vers la modernité, si ce n’est l’avant-garde.

En 1933, le premier bâtiment de plus de deux étages, architecture typique des îles, est construit par l’architecte Panagiotakos Kyriakos. Le moderne "Bâtiment Bleu", en référence à sa couleur originelle (il est aujourd’hui blanc, et délabré), a même été inspecté par Le Corbusier, qui l’a qualifié de « très beau ».

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De nombreuses personnalités y habiteront par la suite : l’écrivain Renos Apostolidis, l’acteur Dimitris Horn, ou encore l’actrice et chanteuse Sophia Vembo. « Avant la dictature, Exarchia ressemblait un peu à un Greenwich village, avec ses poètes, ses musiciens, ses acteurs, ses nombreux théâtres », explique un riverain. Un quartier bohème qui en garde encore aujourd’hui les traces, malgré les stigmates.

Car en effet, les amateurs de Rebétiko, musique à la sonorité orientale très appréciée à Exarchia, seront en partie supplantés dans les années 1980 par le mouvement punk. Une période marquée par les violences, destructions, rixes entre bandes… et par les premiers mouvements de réquisition.

Dans le vieux Exarchia | Photo Audrey Minart

Symbole de l’entremêlement du culturel et de l’esprit contestataire : VOX, le premier cinéma de plein air d’Athènes situé place Exarchia, a été réquisitionné l’hiver dernier. Les responsables, anarchistes et anti-autoritaires, tentent d’y créer un centre social.