Adolescente vivant à Sarajevo, Iman (Asja Zara Lagumdzija) se prête au jeu « action ou vérité » avec ses camarades de classe. Lorsque la question du premier rapport sexuel arrive, la collégienne affirme avec aplomb avoir déjà passé ce cap avec Damir (Viktor Gataric), le garçon qui lui plait. En réalité, il n’en est rien.

Iman ne profite que temporairement de cette révélation tonitruante qui attire l’attention sur elle. Piégée par son mensonge, elle s’invente une grossesse imaginaire pour ne pas perdre la face. L’information fait le tour de l’école et l’adolescente se retrouve associée malgré elle à un scandale qui secoue alors l’ensemble du pays. Lorsque les parents d’élèves s’en mêlent, la polémique prend une tournure politique dans le collège.

Souvenir de voyage

Avec Excursion, Una Gunjak explore le traditionnel « coming of age » en interrogeant le passage à l’âge adulte d’une jeune adolescente à l’heure de la post-vérité. Une période d’autant plus complexe dans le carcan d’une société qui selon la cinéaste stagne depuis 30 ans. Pour Una Gunjak, la Bosnie-Herzégovine est à la croisée des chemins : coincée entre le passé socialiste traditionnel et une modernité libératrice incarnée par Iman dans le film.

Pour donner corps à cette confrontation, le film se déroule sur fond d’une histoire vraie, un énorme scandale qui a secoué le pays et traversé les frontières. Il y a quelques années, sept jeunes filles de 13 ans de la même classe reviennent enceintes d’un voyage scolaire de cinq jours. Reprise par les médias et les réseaux sociaux, la nouvelle choque et interroge des parents inquiets. Peu importe les circonstances, l’emballement médiatique est lancé et rien ne peut l’arrêter.

En plaçant cette affaire très médiatisée en tant que contexte, la réalisatrice focalise son propos sur les jeunes filles qui se sont retrouvées au cœur de l’affaire. Coincée par son mensonge de grossesse fictive, Iman se fait la porte parole fictive de ces adolescentes jugées et humiliées par les médias nationaux exportant l’image de jeunes bosniennes précoces à l’international. L’affaire est un parfait symbole de la schizophrénie de la société bosnienne entre sexualisation extrême du corps féminin et conservatisme.

Point de vue

Libre et audacieuse, Iman incarne cette jeunesse qui cherche sa place dans un environnement aux injonctions contradictoires. Excursion capte avec justesse cette urgence de grandir et de se faire accepter des autres avec une témérité frisant parfois l’inconscience, typiquement adolescente. Dans cette course à la validation des pairs, le passage à l’acte est considéré autant comme une victoire qu’une étape  redoutée.

La situation d’Iman, enfermée dans des mensonges de plus en plus étouffants, exprime cette pression qui pèse sur les adolescentes. Au nom des normes et des valeurs, cette violence écrase les jeunes filles qui deviennent malgré elles les symboles d’une société qui serait à la dérive. Alors que pour Iman, sa posture n’a pas d’autre but que de trouver sa place dans le collectif en étant désirée donc validée par ses pairs.

Privé d’intimité

Lorsque la nouvelle de la grossesse fantasmée d’Iman parvient aux parents d’élèves, c’est la panique générale. Alors qu’un voyage est justement prévu prochainement, des parents s’inquiètent que leurs filles reviennent de l’excursion avec un souvenir imprévu, à l’instar des sept jeunes filles imprudentes. L’occasion de noter que la responsabilité des garçons dans l’affaire n’est jamais évoquée, preuve d’un patriarcat conservateur bien ancré dans les esprits.

En mettant en scène un conciliabule de parents très protecteurs, Excursion rejoue au sein de l’établissement l’hystérie médiatique qui a déferlé sur le pays. Comme les médias, chaque parent a son avis sur la sulfureuse affaire et la grossesse supposée d’Iman. Et peu importe si sa mère tente de corriger le tir, la machine est lancée.

Au fur et à mesure que la polémique enfle, la perte de contrôle est totale. Le sujet devient politique et la nuance – voire la vérité – n’a plus vraiment d’importance. Derrière la crainte des parents se cache l’inconfort face à une sexualité naissante et jugée incontrôlable. De privée, la sexualité devient un sujet public, voire politique, dont chacun s’empare.

Plus de réseau

En refusant le statut de victime à Iman, Excursion joue la carte de la confrontation des générations. La soif de liberté de l’adolescente fait écho au conservatisme de la société reflété par les états d’âme de parents angoissés, marqués par le passé national. Entre eux et leurs enfants biberonnés aux réseaux sociaux, le fossé générationnel semble infranchissable : l’incompréhension est totale.

Ces réseaux ont évidemment une place importante dans la circulation des – fausses –  informations et l’emballement autour d’Iman. Pour la réalisatrice, cette génération Tik Tok possède des modèles qui offrent deux alternatives : devenir célèbre et riche – comme une fin en soi – ou quitter la Bosnie-Herzégovine. La crainte de l’influence des réseaux sur le développement de la jeunesse parcourt le film avec une vision pour le moins inquiète.

Au-delà du gouffre qui sépare les parents et leur progéniture, l’influence des écrans sur le lien entre les collégiens est posée. En réduisant le contact humain, est-ce la fin de la nécessaire empathie pour vivre ensemble ? Un parti pris peut-être ironiquement lui-même conservateur mais qui démontre les défis d’une jeunesse qui tente de trouver sa place dans un société tiraillée entre tradition et modernité.

Délurée et sensible, Iman est un personnage attachant qui incarne avec fraîcheur une jeunesse bosnienne rebelle et impatiente. Comme un antidote au scandale médiatique, Excursion propose une vision intime d’une adolescente qui cherche sa place. De quoi respirer un peu dans un climat injuste où seules les jeunes filles doivent rendre des comptes.

> Excursion (Ekskurzija), réalisé par Una Gunjak, Bosnie-Herzégovine – Croatie – Serbie – France – Norvège – Qatar, 2023 (1h33)