Expulsés du Soudan, ils témoignent

Expulsés du Soudan, ils témoignent

Expulsés du Soudan, ils témoignent

Expulsés du Soudan, ils témoignent

6 janvier 2012

Maryline Dumas et Mathieu Galtier sont deux journalistes français, indépendants, basés au Soudan. Ils viennent d'apprendre leur expulsion par les autorités du pays. Motif ? Un de leurs articles aurait déplu au gouvernement. Sauf que les autorités ont confisqué leur passeport. Et sans ce sésame, pas de retour en avion vers la France. Pour le moment, la situation est figée. Pour Citazine, ils racontent leur mésaventure.

Mardi 3 janvier, 10 heures, coup de téléphone : nous sommes convoqués au ministère de l’Information. Plus précisément à l’External information office, le bureau en charge des journalistes étrangers basés à Khartoum. C’est l’angoisse pour trois raisons :
– en 6 mois de présence à Khartoum, les coups de fil de ce bureau se comptent sur les doigts d’une main.
– l’interlocuteur n’était pas le directeur – notre grand « ami » Osman à qui nous avons habituellement affaire – mais un « secrétaire », ce qui rend la convocation plus officielle.
– nous n’avons pas été de gentils journalistes depuis quelques semaines.

Le jeudi précédent, nous avions été arrêtés à l’Université de Khartoum alors que nous couvrions une manifestation estudiantine. L’occasion de découvrir pendant quelques heures les bureaux de la Sécurité nationale – et leur table de ping-pong.
Quelques semaines plus tôt, nous avions publié un article sur la situation politique dans l’Etat de Kassala, à l’est du Soudan. Un reportage (ici en français) repris dans les journaux locaux qui a fortement déplu au gouvernement et aux représentants de l’Onu à Khartoum (et un petit bonjour au passage à monsieur Y.S du service communication de la PNUD).

Bref, on se sentait sur la sellette. D’autant plus que nous étions en cours de renouvellement de nos permis de résidence qui s’achevaient le 4 janvier.

Finalement, le rendez-vous s’est plutôt bien déroulé : quelques questions de pure forme sur l’incident de jeudi et la promesse de rédiger la lettre de recommandation (dont nous avions besoin pour renouveler nos permis de résidence) pour le lendemain. Rassurés, nous laissons nos passeports.

Mercredi 4 janvier, 12h30, coup de téléphone : cette fois-ci c’est le bon. « Votre visa se termine aujourd’hui, vous devez partir ! » On se précipite au bureau d’Osman. Tout miel, il nous annonce que nos passeports sont entre les mains de la Sécurité nationale et qu’on nous les rendra au moment de notre départ.

La raison ? « Vous êtes restés trop longtemps au Soudan. » Et sinon la vraie raison, Osman, c’est quoi ? « Ca ne dépend pas de moi ». Trois semaines de stress et de tergiversations s’arrêtent net. L’aspect pratique reprend le dessus :
« Vous devez partir aujourd’hui ou demain. Prévenez-moi quand vous avez le numéro de votre vol.
– Ok. Mais on a besoin de nos passeports pour acheter nos billets Osman.
– Non mais on vous les rendra à l’aéroport.
– Oui mais Osman, pour acheter nos billets, on a besoin de nos passeports.
– Bon. Quand vous êtes à l’agence de voyage, appelez-moi, j’appellerai la Sécurité et ils vous enverront quelqu’un avec vos passeports. 
»

Après avoir attendu nos passeports près de deux heures à l’agence, nous avons finalement réservé nos billets : Qatar Airways, départ jeudi 20h55, arrivée à Paris vendredi 13h10. Hassan, le « monsieur Sécurité » – qui est accessoirement celui qui nous a interrogé lors de notre arrestation à l’Université – nous donne rendez-vous jeudi à 18 heures à l’aéroport. Il repart avec nos passeports.

« Le gouvernement exige le départ de deux journalistes français »

Jeudi 5 janvier, 17h30, aéroport : nos passeports sont là, dans les mains d’Omer, un collègue d’Hassan. Chemise rose pâle, très sympathique mais incapable d’aligner deux mots d’anglais. Direction le guichet d’embarquement de Qatar Airways. Et là, c’est le drame.

On refuse notre embarquement. Omer nous emmène au bureau des visas. Un policier nous signifie que nous avons besoin d’un exit visa pour quitter le pays.
Lorsque nous avons quitté Osman la veille, il nous avait affirmé : « Nous restons amis, n’hésitez pas à m’appeler si vous avez un problème à l’aéroport ». Très bien, appelons-le : « Mais les exits visas, ce n’est pas de mon ressort, c’est votre problème. » Oui, sauf que sans passeport depuis mardi, c’était un peu difficile de faire les démarches….
Benoitement, nous pensions que la Sécurité, qui souhaite si ardemment notre départ, l’aurait organisé.
Une dizaine de coups de fil plus tard, Omer nous explique qu’il a annulé nos billets d’avion, qu’il s’occupe de nos exit visas samedi (vendredi est un jour férié pour les Musulmans) et que nous pourrions partir dimanche, « Inchallah ». Et il s’en va aussi sec.

Et nous, nous nous retrouvons comme des c… L’ambassade de France entre ensuite en scène. Le premier Consul nous rejoint à l’aéroport. Nous lui expliquons la situation. Impuissant sur le moment, il nous demande de le tenir au courant. Depuis le matin, l’ambassade nous a appelé à deux reprises pour savoir si tout allait bien. Les diplomates avaient lu la Une du journal local Al Ahdath. Le tire est explicite : « Le gouvernement exige le départ de deux journalistes français. » Le ministère des Affaires étrangères y déclare officiellement que l’article sur Kassala est la raison de l’expulsion.

Vendredi 6 janvier, 16 heures, restaurant : Nous écrivons ces lignes. Nous attendons. Et nous attendrons demain aussi.

> Mise à jour :

Samedi 7 janvier, grâce à l’ambassade de France, nous avons réussi à obtenir nos exit visas (moyennant quand même 140 euros). Nous devrions donc partir ce dimanche à 20h55 (18h55, heure de Paris) et arriver à 6h35 à Paris.

Encore ?