Une manifestation de taille modeste qui ne prétend pas rivaliser avec les géants du genre, mais qui a su trouver son créneau, entre découverte de jeunes auteurs et regards rétrospectifs. Sans oublier les rapprochements féconds entre cinéma et musique entrepris chaque année. Nous avons extrait quelques noms, d’ici ou d’ailleurs, de la riche programmation 2015 du Festival international du film indépendant de Bordeaux.
Arnaud Desplechin
Que le Fifib lui consacre une rétrospective et l’invite pour une masterclass relevait au fond de l’évidence. D’un côté, un jeune festival, menant par ailleurs toute l’année un important travail avec les scolaires dans le cadre du Programme d’éducation cinématographique. De l’autre, un réalisateur qui fut dans les années 90 l’une des figures les plus marquantes du « jeune cinéma français » et dont le très beau dernier film s’intitule Trois souvenirs de ma jeunesse.
On reverra avec une émotion certaine des œuvres comme La Sentinelle (extrait plus haut) ou Comment je me suis disputé, dont la complexité et le souffle romanesque avaient peu d’équivalents dans le cinéma de l’époque. Si Desplechin n’a pas eu une influence aussi prégnante que les réalisateurs de la Nouvelle Vague – ou peut-être est-il encore trop tôt pour la mesurer -, ses premiers films auront sans doute fait naître des vocations, donné à quelques-uns l’envie de prendre à leur tour une caméra et de raconter des histoires.
On est aussi impatient de découvrir l’intime et rare L’Aimée (2007), présenté comme le versant documentaire d’Un conte de Noël. Et, surtout, de l’entendre défendre avec la passion qu’on lui connaît sa vision du cinéma (masterclass animée par Renan Cros, dimanche 11 octobre à 16 h au Théâtre Le Trianon).
Yorgos Lanthimos
Il y a deux ans, le Fifib proposait un petit focus sur le jeune cinéma grec, qui tenait en trois films d’une belle étrangeté : Attenberg d’Athina Rachel Tsangari, Canine et Alps de Yorgos Lanthimos. Si l’on n’a pas eu trop de nouvelles de la première depuis, le second semble sur une pente ascendante : son dernier film, The Lobster (en salles le 28 octobre), nouvelle dystopie grinçante et absurde nantie cette fois-ci d’un prestigieux casting international, était en compétition à Cannes cette année. Il fera l’ouverture de ce quatrième Fifib, le jeudi 8 octobre à 19 h au Rocher de Palmer, l’une des meilleurs salles de concert de la région bordelaise. La projection sera suivie d’une soirée électro avec Judah Warsky, Dabeull et Scratch Massive. Aura-t-on l’audace d’exécuter sur la piste les mêmes danses bizarres que les deux magnifiques héroïnes d’Attenberg (dont Lanthimos était coproducteur, interprétant également un second rôle) ?
Paul Hamy
C’est l’une des marques de fabrique du Fifib : chaque édition est annoncée par un très court métrage construit autour d’une égérie. Quand nous avions rencontré le programmateur Léo Soesanto l’an dernier, il nous avait dit qu’un changement de genre n’était pas exclu.
Après les magnifiques Adèle Haenel, Ariane Labed (actrice dans Alps et Attenberg) et Golshifteh Farahani, c’est donc un acteur qui a été choisi cette année – et une fille aussi, Jan Scott Melka. Paul Hamy est la nouvelle belle gueule non formatée du cinema français, qu’on peut actuellement voir dans un second rôle dans Maryland d’Alice Winocour. Le teaser du festival a été réalisé par Caroline Poggi et Jonathan Vinel, lauréats du prix du meilleur court-métrage au Fifib 2014 pour le très prometteur (et brillamment titré) Tant qu’il nous reste des fusils à pompe.
Saverio Costanzo
L’Italie sera présente en force cette année, avec l’actrice Valeria Golino à la tête du jury, deux documentaires (un court de Cécile Lapergue et un long d’Alain Bergala) sur Pier Paolo Pasolini, et une carte blanche donnée à Saverio Costanzo, réalisateur de quatre films dont La Solitude des nombres premiers et Hungry Hearts, dans le cadre du cycle "Vs". Le principe : choisir un autre cinéaste dont l’œuvre entretient des rapports, évidents ou plus secrets, avec la sienne. Costanzo a élu David Lynch (Eraserhead et Sailor et Lula seront projetés), dont il partage à l’évidence le goût pour la beauté (du) bizarre et les inquiétantes trouées dans le réel. Le réalisateur américain ne sera pas à Bordeaux (il a une nouvelle saison de Twin Peaks à préparer…), en revanche l’Italien devrait venir avec sa compagne, et actrice dans ses films, Alba Rohrwacher.
Mikhaël Hers
Déjà auteur de trois moyens-métrages et d’un long (Memory Lane, sorti il y a cinq ans), le Français Mikhaël Hers reste encore méconnu. Espérons que les choses changent avec son nouveau film, Ce sentiment de l’été (sans doute un clin d’œil à Jonathan Richman), qui sera sur les écrans en février prochain et est en compétition cette année au Fifib. On y retrouve ses thèmes habituels – le deuil, la disparition, l’errance existentielle, les relations amicales et amoureuses qui s’effilochent ou au contraire se construisent peu à peu – et une B.O. à tendance indie comme toujours formidable (Felt, The La’s, Pixies, Nick Garrie… et même Mac DeMarco en live). Mais il leur donne une ampleur inédite en déployant successivement son film dans quatre zones géographiques (Berlin, le quartier Nation à Paris, les bords du lac d’Annecy, et enfin New York), tous magnifiquement filmés en Super-16. Le "sentiment du lieu" (autant que celui de l’été), le rapport des personnages à l’espace, c’est ce qui fait toute la beauté et la singularité du cinéma discret, sans effets, de Mikhaël Hers. On envie ceux qui vont le découvrir.
Santiago Mitre
Reparti bredouille de la Semaine de la critique à Cannes cette année, l’Argentin aura-t-il plus de chance à Bordeaux ? Après El Estudiante, déjà en compétition au premier Fifib, en 2012, il revient avec Paulina, le portrait d’une enseignante (interprétée avec une grande intensité par Dolores Fonzi) fidèle à ses engagements jusqu’au sacrifice, ou à l’aveuglement. Santiago Mitre persiste dans un cinéma pas vraiment majoritaire aujourd’hui : très dialogué, politique à sa manière (explorant plutôt le doute et l’ambiguïté). Il plonge ses personnages dans des dilemmes moraux, somme toute universels malgré le fort ancrage dans le contexte argentin. Une belle promesse venue d’un pays dont la production, de Hugo Santiago à Pablo Trapero, de Lucrecia Martel à Diego Lerman, de Fernando Solanas à Lisandro Alonso, comble depuis des décennies les cinéphiles.
Corneliu Porumboiu
A peu près en même temps que l’Argentine, la Roumanie présentait au monde une brassée de jeunes réalisateurs passionnants, prenant à bras-le-corps le passé et le présent troublés de leur pays. Découvert en 2006 avec 12h08 à l’est de Bucarest (Caméra d’or à Cannes), satire grinçante et parfois très drôle interrogeant l’histoire officielle de la révolution de 1989, Corneliu Porumboiu, né en 1975, est sans doute l’un des plus doués. Ce maître de la fable morale pince-sans-rire le prouve encore avec Le Trésor, son dernier film que le Fifib présentera en avant-première (il sortira en mars 2016). On retrouvera également le cinéaste lors d’une masterclass animée par Olivier Père, le lundi 12 octobre à 14h au Théâtre Le Trianon.