Ils ne pouvaient rêver meilleur spot. Depuis que Starck a ouvert son restaurant Ma Cocotte au cœur du marché Paul-Bert, on ne jure plus que par les Puces de Saint-Ouen. C’est pourtant le hasard qui a conduit le jeune couple à se fixer ici et, plus généralement, à se lancer dans la gastronomie sur pneus.
Tout part d’un projet de fin d’études : surfant sur la vague de la street food qui fait rage outre-Atlantique et en Asie où elle a pas mal voyagé, Perrine Arby planche sur un projet de food truck, ourdissant des business plan dignes d’un Marc Zuckerberg et obtenant, pour son travail, les faveurs des jurys. On imagine la suite : plutôt que de se terrer dans quelque open space pour y subir des burn-out, la jeune diplômée décide de donner vie à son projet. Le succès du Camion qui fume, qui attire les gourmands par légions depuis son ouverture en novembre 2011 par une native de San Francisco (berceau du food truck), est le déclic. Si cette Kristin Frederick triomphe, pourquoi pas elle ? Ni une, ni deux, Perrine convainc son petit ami, qui par chance a grandi dans une cuisine sous la coupe d’un père brasseur, et crée avec lui À la tête du client.
De moins en moins d’autorisations
Mais les choses se compliquent : sous la pression de restaurateurs auvergnats bougons, la mairie de Paris, assaillie de demandes d’autorisation depuis que la mode du food truck a pris, décide de limiter le nombres des licences qu’elle accorde. Convaincue qu’un marché est à conquérir (une personne sur quatre “consomme à emporter”, selon les statistiques), et en attendant d’obtenir le carré de bitume où pouvoir garer un camion, Perrine ne baisse pas la garde.
Elle enfourche son vélo, tandis que Guillaume prépare burgers et tartares dans leur propre cuisine, juste à l’entrée des puces. Succès total : depuis qu’ils ont entamé leur première "tournée" au mois d’août dernier, le téléphone n’arrête pas de sonner, du samedi au lundi (jours de marché). La clientèle, composée à 99% d’antiquaires, bons vivants notoires mais qui ne peuvent quitter leurs stands, se trouve très bien d’être servie sur place en prenant l’apéro. Quinqua dans leur majorité, ils ne transigent pas sur la gastronomie.
Et c’est le secret du food truck tel que désormais conçu : offrir pour une dizaine d’euros un repas de qualité en se spécialisant dans un plat unique, mais réussi. Pain frais, steak de boucher, frites maison et même confit de canard ou foie gras dans les grands jours : on est loin de la frite surgelée salie de ketchup ou de la gaufre rassise aux alvéoles saturés de saindoux. Le commentaire d’Anne Fleur, laissé sur Facebook, est sans appel : "Le meilleur tartare de ma vie, des frites incroyables."
La qualité dans les camions
À l’instar des Cantine California, Goodies, Caravane dorée, Le Réfectoire et autres food trucks de la capitale, À La tête du client se fait un point d’honneur de faire adorer ses plats du jour à ses clients, que Perrine tutoie et appelle par leurs prénoms. Il n’empêche : nos jeunes chefs ne se limiteront pas à ce succès. Des territoires sont à conquérir, notamment les parkings des grandes entreprises, lesquelles affluent en périphérie et dont la demande d’un tel service émane des salariés eux-mêmes, las de la calamiteuse bouffe de cantine. C’est pourquoi, quand Perrine ne se fait pas les mollets à vélo, elle se bat pied à pied au côté de Guillaume pour obtenir gain de cause, d’autant que leur camion devrait être livré au mois de février prochain.
On lui demande quel avenir elle augure pour les food trucks : s’ils sont la gastronomie de demain, ou s’ils disparaîtront au prochain revers de mode. Perrine et Guillaume se lamentent sur le système français qui n’a de cesse de décourager l’entrepreneur, à l’inverse d’une ville comme Sydney qui finance de telles initiatives, mais ils restent optimistes. Optimistes, même si le vélo de Perrine a été volé juste avant notre reportage. Qu’à cela ne tienne, elle le sait, bientôt, elle aura son camion !