Après une période de deuil dévastatrice, Raoul (Christophe Paou) se rend à Marseille sur les traces d’Agnès, sa fille décédée d’une overdose pendant une fête. Sur place, il découvre que tout ce qu’elle lui avait raconté de sa vie est un tissu de mensonges. Déboussolé par ces révélations, Raoul tente d’approcher les amies d’Agnès qui pourront l’éclairer sur qui était réellement sa fille.
Il rencontre ainsi Tina (Angèle Metzger) et les autres membres de la bande de filles avec qui Agnès a enregistré un disque, Fotogenico. Le précieux vinyle ayant immortalisé la voix de sa fille sous le bras, Raoul tente de recoller les morceaux de souvenirs épars. Le père encombrant tente de s’incruster dans cet univers avec l’idée de remonter le groupe à tout prix. Une initiative qui rencontre une indifférence totale.
Bande sonore
Avec Fotogenico, Marcia Romano et Benoît Sabatier signent leur premier film « classique » après trois long-métrages autoproduits avec les moyens du bord. Journaliste pour Technikart, Rock&Folk, Gonzaï ou encore France Culture, Benoît Sabatier admire certains films pour leurs BO imparables : Phantom of the Paradise (1974), La Fièvre du samedi soir (1977), Midnight Express (1978)… Collaboratrice sur l’écriture de films pour Emmanuelle Bercot, François Ozon, Xavier Giannoli ou encore Alice Winocour, Marcia Romano l’assure, la musique a eu un rôle déterminant dans leur rencontre. Encore plus que le cinéma !
Rien d’étonnant à constater dans ce trip endeuillé l’importance de la musique déjà présente dans leurs films précédents. Une mise en avant du son pour venir rééquilibrer la production de films musicaux français, notamment sur l’électro et le rock, pas assez qualitatifs à leur goût. Au cœur de cette quête paternelle post-mortem, l’album enregistré par Fotogenico, le groupe d’Agnès, est pour Raoul un souvenir précieux. Une trace tangible d’une fille disparue trop tôt et une façon de la faire revivre à travers son obsession de reformer le groupe.
Faux groupe, vrai son
La BO de Fotogenico et les morceaux du groupe d’Agnès sont confiés au groupe Froid Dub. Ce son très efficace à l’esprit post-punk et aux tonalités synthétiques accompagne Raoul dans sa collecte d’informations qui n’ont rien de réconfortantes. De déconvenues en refus, le père endeuillé a bien du mal à se faire une place dans cet univers qui le dépasse totalement.
Dans toute cette confusion, la découverte par Raoul du disque de sa fille est une véritable révélation. Agnès n’est plus cette junkie dont il ignorait les tourments, morte tragiquement, stupidement, lors d’une fête. L’existence de ce testament sonore est au cœur de l’esprit du film : tant qu’il y a du son, il y a de l’espoir ! C’est en tout cas ce qu’espère le père éploré. Raoul se lance alors dans cette tentative autant désespérée que poétique de faire revivre sa fille à travers la musique.
Girls band
L’enquête paternelle de Fotogenico vient contrebalancer la vision habituelle de Marseille. Entre comédie et drame, la recherche d’une vérité qui lui échappe pousse Raoul dans les entrailles d’une cité qui peut paraître un peu artificielle. Un ressenti dû au parti pris des cinéastes de rendre hommage aux comédies italiennes des années 60 et 70. Le titre Fotogenico est d’ailleurs un clin d’œil à Sono Fotogenico (1980), comédie signée Dino Risi.
Mais les cinéastes l’assurent, ce Marseille là existe bien. Choc générationnel, Fotogenico prend un malin plaisir à plonger ce père de 50 ans complètement paumé dans une Cité de femmes. Une façon pour Marcia Romano et Benoît Sabatier de casser l’image « bonhommes, foot, pizza, hip hop » qui colle selon eux à la cité phocéenne. Benoît Sabatier l’assure, il retrouve actuellement à Marseille une ambiance qu’il a connu au Pulp, mythique club lesbien, où il a officié en tant que DJ.
Dans cet univers de bande de filles qui se passent très bien des hommes, Raoul découvre les mensonges de sa fille mais aussi un mode de vie particulier. Fotogenico baigne dans cette ambiance rafraîchissante où la liberté à tout prix prime sur la réussite sociale. Une atmosphère qui déroute le père dépassé par les évènements mais qui l’intrigue également. Après tout, qu’a-t-il de plus à perdre ?
Des sons pour un décès
Inspiré par la perte de plusieurs proches et notamment un ami mort d’une overdose, Fotogenico pourrait laisser présager un mélo plombé par le pathos. Il n’en est rien. Au contraire, la quête de ce père totalement à la ramasse tend vers quelque chose de lumineux malgré l’indicible douleur de perdre un enfant. Rythmé par les sons électroniques et les déboires burlesques de Raoul, ce trip marseillais évite miraculeusement de sombrer dans le désespoir grâce à un second degré omniprésent.
Ce décalage constant sauve le film de l’apitoiement notamment grâce à la prestation du charismatique Christophe Paou, formidable outsider qui traîne sa dégaine aux quatre coins d’une ville qui ne fait que le rejeter. Très gênant pour les amis d’Agnès mais aussi attachant, le père se fait peu à peu une place au sein de cette bande de filles qui oscille entre rejet et tendresse. Dans cet univers finalement très humain, même LeKooze (John Arnold), le dealer aspirant écrivain qui fournissait Agnès, possède ce côté attachant, malgré tout.
Porté par un burlesque assumé et l’idée romantique d’une musique salvatrice, Fotogenico charme par son esprit tendrement décalé. Un trip musical au rire désespéré qui règle son deuil en acceptant l’idée qu’une fois la vie terminée il n’y a rien de mieux à faire que la célébrer en musique. Une dernière danse de résilience en somme.
> Fotogenico réalisé par Marcia Romano et Benoît Sabatier, France, 2024 (1h36)
